En Suisse, le contexte exceptionnel de la pandémie de COVID-19 impose aux futures mères de penser autrement la fin de leur grossesse. Au-delà de la question « où accoucher? », elles doivent s’adapter à des suivis médicaux version 2.0 ou encore à des retours à la maison ultra-accélérés. Avec, parfois, de belles surprises à la clé.
Ça commence par un coup de fil de la maternité. « On ne va pas pouvoir maintenir le rendez-vous prévu la semaine prochaine. Ni le reste du suivi prénatal. On fait de la place pour les patientes atteintes de la COVID-19 et on ne garde que les femmes ayant une grossesse à risque. Il va falloir prendre rendez-vous avec votre gynéco. »
Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), la plus grande maternité de Suisse, la prise en charge a été bouleversée dès le début du confinement, à la mi-mars. Le personnel soignant a été invité à annuler ses vacances, une aile entière a été réservée aux patientes contaminées par le coronavirus, les droits de visite ont été limités au père et le retour à la maison se fait désormais au plus vite.
« Je me suis dit que j’avais une chance de chat noir d’être enceinte de mon premier enfant pendant la plus grande pandémie mondiale depuis un siècle »
, raconte Claire, 34 ans, qui avait prévu d’accoucher en juin aux HUG. « Ils m’ont expliqué qu’ils avaient mis en place des partenariats exceptionnels avec les cliniques privées de la ville pour accueillir les patientes dont les grossesses n’étaient pas à risque. Ils ont été très rassurants, mais ça a quand même été déstabilisant à entendre. »
Claire a demandé conseil à son gynécologue : hôpital ou clinique? « Il m’a répondu : “De toute façon, si vous arrivez à la maternité avec des contractions, ils ne vont pas vous mettre à la porte.” »
Bien noté.
Autre effet négatif de la COVID-19 : l’éloignement des proches à un moment de la vie où on ressent le besoin de leur présence.
Sarah, 39 ans, dont l’arrivée du deuxième enfant est prévue début mai, s’était inscrite à la Clinique des Grangettes, à Genève, en début de grossesse : « J’avais envie de me faire plaisir et de profiter de leur prestation hôtelière, ayant accouché aux HUG la première fois. Mais il faudra faire une croix sur certains services. »
Sarah a dû se résoudre à annuler les repérages des lieux avec son mari et sa fille, puis à accepter que ni celle-ci ni sa mère ne pourraient lui rendre visite. « La pouponnière est fermée, tous les soins se font en chambre pour éviter les contacts, le séjour est écourté et, apparemment, le personnel prend la température des parents à l’arrivée. »
Changement de plan

Laurence Juillerat, présidente de la section Vaud-Neuchâtel-Jura de la Fédération suisse des sages-femmes
Redoutant non seulement l’absence du père au moment de l’accouchement, mais aussi les risques de contamination à l’hôpital, certaines futures mamans ont envisagé, au début du confinement, de changer leurs plans en faveur des maisons de naissance, ou même de donner naissance à domicile. « Dans les premiers jours, on a entendu des choses diverses, ce qui a évidemment amené beaucoup d’angoisses »
, analyse Laurence Juillerat, présidente de la section Vaud-Neuchâtel-Jura de la Fédération suisse des sages-femmes. « Mais dès que les maternités ont donné des consignes claires, les couples qui hésitaient sont revenus à l’hôpital, la philosophie d’un accouchement en maison de naissance ne se prêtant pas tellement à un choix de dernière minute. »
Au-delà de la question « où accoucher? »
, qui n’est, en soi, pas un détail, ce contexte exceptionnel impose d’autres réaménagements, notamment une bascule du dispositif d’accompagnement vers le numérique. « On a été très créatifs »
, poursuit Laurence Juillerat, faisant référence au suivi pré et postnatal assuré sur Skype ou sur Zoom, individuellement ou en groupe. « On a accompagné les familles au mieux, et celles-ci ont été très reconnaissantes. Comme elles sont confinées chez elles, les rendez-vous en vidéoconférence favorisent une petite bouffée d’air dans la semaine. »
Un des aspects clés du suivi prénatal consiste à préparer les parents à un retour accéléré à la maison : « On doit leur expliquer qu’ils vont peut-être sortir quelques heures après l’accouchement, ce qui n’était pas forcément leur choix au départ »
, dit Laurence Juillerat.
Ana Almeida Heymans, pédopsychiatre dans un cabinet d’accueil périnatal à Genève, témoigne d’une situation similaire. « Dès qu’on a fermé le cabinet, la question de l’accueil s’est posée. La permanence du jeudi après-midi, qui se fait normalement en personne, est maintenant assurée par téléphone. Par contre, d’autres activités de groupe ont été annulées : l’éveil psychomoteur, les massages… »
Pour la médecin, les angoisses les plus importantes des futurs parents sont liées au risque de contagion. Sarah abonde dans ce sens : « Mon mari, qui est chercheur dans le domaine des maladies tropicales, a très vite pris la situation au sérieux. Donc, depuis fin février, j’ai arrêté de travailler – comme conseillère en insertion professionnelle, mon métier, c’est de recevoir des gens – et je ne vais quasiment plus faire les courses pour minimiser les risques. Malgré tout, la COVID-19 a été détectée dans deux classes de l’école de ma fille, et on l’a appris un peu par hasard… »
Composer avec l’éloignement
Autre effet négatif de la COVID-19 : l’éloignement des proches à un moment de la vie où on ressent le besoin de leur présence. « Le post-partum est une période où on se sent seule, pendant laquelle il est très important d’avoir de l’aide de sa maman ou de sa belle-mère »
, constate Ana Almeida Heymans. La mère de Sarah, qui vit en Haute-Savoie, un département français limitrophe de la Suisse, devait venir une semaine début mai s’occuper de sa petite-fille. Mais, avec la fermeture partielle des frontières et le confinement, sa visite semble désormais compromise. « C’est hyper-délicat de laisser la petite à quelqu’un. Pour elle, bien sûr, c’est perturbant, et puis on se pose la question : si on la confie à des ami·e·s et qu’elle leur transmet le virus ou, à l’inverse, qu’elle l’attrape en les côtoyant? On s’est même demandé s’il ne valait pas mieux que j’aille seule à la maternité pendant que mon mari s’occupe d’elle »
, témoigne Sarah.
Cette angoisse se manifeste aussi dans le foyer de Claire : « Aucun des quatre grands-parents n’habite en Suisse et, en plus, ils sont dans la tranche d’âge des plus de 65 ans, qui risque d’être la dernière à ne plus être confinée. Donc, on ne sait pas trop quand on peut s’attendre à les accueillir, ou à leur rendre visite. »
Ana Almeida Heymans discerne toutefois un effet positif de la COVID-19 : « Les papas sont plus présents, car même s’ils n’ont pas de congé de paternité, beaucoup se retrouvent en télétravail. »
En Suisse, pays à la traîne sur cette question – les pères n’ont droit qu’à un seul jour de congé de paternité, comme pour un déménagement –, ce pourrait être le début d’une petite révolution sociale.