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En Australie, menace sur les Aborigènes

Un confinement qui vulnérabilise les femmes autochtones victimes de violence

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Le confinement exigé en mars par le gouvernement australien met en danger les victimes de violence conjugale. Les femmes autochtones en première ligne. L’histoire coloniale et la crainte de subir de la discrimination découragent les appels à l’aide.

« Nous prévoyons une augmentation considérable du nombre de délits de violence conjugale », a prévenu Dean cWhirter, commissaire de l’État du Victoria, chargé de la violence familiale. En effet, depuis le début de la crise du coronavirus, les associations australiennes de soutien aux victimes ont enregistré une hausse importante des demandes de logements d’urgence. Certains auteurs de maltraitance utilisent l’excuse du confinement pour agresser leur famille. « Ils menacent leur femme, prétextant qu’elles pourraient contracter le virus, explique Kelsey Hegarty, professeure à l’Université de Melbourne et présidente de Family Violence Prevention. Avec les restrictions gouvernementales d’isolement, cela devient plus difficile pour elles de s’échapper. »

Chaque semaine, une Australienne meurt sous les coups de son conjoint ou ex-compagnon, selon l’association Our Watch. Une femme sur trois a déjà vécu des violences physiques depuis l’âge de 15 ans. Chez les femmes aborigènes, les chiffres sont encore plus inquiétants : elles sont trois fois plus sujettes à être victimes de violences que des non-Autochtones et trois sur cinq ont déjà subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un conjoint. En 2014-2015, elles étaient 32 fois plus susceptibles d’être hospitalisées à la suite de violences. Rien que dans l’État du Victoria, les violences familiales parmi les Aborigènes ont triplé en 10 ans, rapporte la police.

Plus vulnérables encore

« Une crise majeure comme celle de la COVID-19 provoque du stress, de l’isolement et, parfois, la perte d’un emploi, ce qui décuple les risques de violence conjugale », ajoute Kelsey Hegarty. Et cela, alors même que les Autochtones vivent déjà avec la peur de contracter le virus. Selon plusieurs organisations aborigènes, il serait catastrophique que l’épidémie touche ces peuples. Avec une espérance de vie inférieure au reste de la population (l’écart est de 8,6 ans pour les hommes), les Aborigènes ont une propension aux maladies chroniques.

L’explosion de la COVID-19 dans leur milieu de vie produirait des effets dévastateurs. « Les logements surpeuplés constituent un sérieux problème dans ces communautés. Dix personnes ou plus peuvent habiter dans une maison, et cela les expose davantage aux risques », déplore Kyllie Cripps, originaire de la communauté Pallawa et chercheuse à la Faculté de droit de l’Université de Nouvelle-Galles-du-Sud. Des arguments qui ont poussé le Territoire du Nord à fermer ses frontières. Cette nouvelle réglementation crée pourtant des tensions. « Les victimes qui souhaitaient s’échapper ne peuvent plus le faire et elles refusent de contacter la police par peur d’être l’objet de discrimination. »

Le contexte historique de la colonisation marque encore les Autochtones, qui font toujours face au racisme, à la pauvreté ou bien à des traumatismes intergénérationnels. Ces facteurs empêchent de nombreuses personnes de signaler les délits de violence.

Ils seraient 120 000 à vivre dans des communautés reculées, principalement en Territoire du Nord (Australie-Occidentale, ouest du pays) et au nord du Queensland (partie nord-est d’Australie). Le contexte historique de la colonisation marque encore les Autochtones, qui font toujours face au racisme, à la pauvreté ou bien à des traumatismes intergénérationnels. Ces facteurs empêchent de nombreuses personnes de signaler les délits de violence. Certaines Aborigènes ne font pas confiance au pouvoir judiciaire et redoutent de voir leurs enfants arrachés à leur famille. Les blessures des « générations volées » au XIXe siècle, où des enfants aborigènes étaient enlevés pour être envoyés vivre chez les Blancs, continuent de hanter les communautés.

Impact sur les refuges

Les nouvelles législations pour lutter contre la COVID-19 ajoutent un obstacle aux victimes qui souhaiteraient obtenir de l’aide. L’adoption d’un projet de loi portant sur des mesures d’urgence dans l’État de Nouvelle-Galles-du-Sud a modifié l’ordonnance prise par la police en cas de violence. « Cette ordonnance peut exiger à l’auteur des sévices de quitter le logement, mais où se rendra-t-il alors? questionne Kyllie Cripps. Parfois, la personne violentée ne souhaite pas rester dans le ménage, car elle ne s’y sent pas en sécurité. Elle cherche à trouver un refuge, mais souvent, il n’y a plus de place. »

Pour répondre à la demande, le gouvernement étatique a débloqué 34 millions de dollars australiens pour des services aux victimes de violences conjugales, principalement des logements d’urgence. Le gouvernement fédéral a également promis la somme de 150 millions de dollars. Une goutte d’eau dans la mer, alors que les associations d’aide aux personnes maltraitées connaissent des coupes budgétaires draconiennes depuis quelques années. C’est le cas des Services juridiques nationaux de prévention de la violence familiale, qui représentent les victimes autochtones. Début mars, ils avaient signé une lettre commune, avec 80 autres organisations, pour demander au gouvernement plus de moyens pour lutter contre les violences familiales.

Les refuges s’avèrent plus que jamais un service essentiel. Le coronavirus a cependant transformé la méthode d’accueil, comme au Refuge pour femmes autochtones, à Darwin. « Nous informons les femmes et les enfants des règles de distanciation sociale et leur demandons de ne pas voir leur famille pour ne pas contracter le virus, explique la directrice du centre, Regina Bennett. Certaines viennent de communautés reculées où l’anglais est leur deuxième ou troisième langue. »

La survie par le Web

De son côté, Kelsey Hegarty et son équipe de recherche se sont associées à des Aborigènes Wadawurrung, dans le Victoria, afin de mettre en place Burndawan (« En sécurité »), un outil en ligne pour aider les victimes. « C’est culturellement approprié pour eux, en matière d’images utilisées, d’interface et de langue. Ils ont davantage confiance en cet outil qui répond à leurs besoins », atteste la chercheuse. Depuis son lancement, ce programme a assuré le suivi d’au moins 23 personnes. Si le confinement a engendré une augmentation de 10 % du nombre de délits de violence conjugale dans le pays, plusieurs États ont commencé à assouplir leurs mesures d’isolement. Une porte de sortie possible pour plusieurs victimes.

Édition ⬝ Juin et Juillet 2020