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Pakistan : les femmes payent le prix fort du confinement

Photoreportage

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photos : © Arezoo

Comme de nombreux pays, le Pakistan est aux prises avec la crise sanitaire provoquée par la pandémie de coronavirus. D’abord réticent à imposer un confinement, le premier ministre de cet État, Imran Khan, a finalement ordonné aux plus de 200 millions d’habitant·e·s de rester à la maison. Dans un pays où le secteur informel représente plus de 70 % des emplois, les conséquences risquent d’être particulièrement difficiles, notamment pour les femmes.

Selon une estimation faite par le gouvernement, environ huit millions de personnes pourraient être touchées de plein fouet par cette crise sanitaire et économique. Parmi elles, les femmes des classes populaires sont particulièrement vulnérables. Nombre d’entre elles font le ménage ou s’occupent des enfants dans des familles plus aisées. Du jour au lendemain, elles ont été contraintes d’abandonner leur travail et ont été subitement privées du modeste salaire qu’elles parvenaient à gagner.

Ces femmes, dont certaines sont veuves, divorcées ou seules responsables du foyer, ne bénéficient d’aucune sécurité financière et craignent pour leur survie. Le gouvernement souhaite mettre en place un système qui permettrait aux familles les plus affectées de recevoir une somme de 12 000 roupies (environ 102 $). En attendant, les femmes dans le besoin dépendent de la solidarité familiale, mais surtout des distributions de nourriture organisées par des particuliers. Aujourd’hui, être victimes de la faim les inquiète plus qu’être contaminées par la COVID-19.

Portraits

Ambreen a 20 ans. Elle habite avec ses cinq frères, ses deux sœurs, une belle-sœur et ses parents dans une petite maison composée de deux pièces. Comme c’est l’aînée, elle travaille pour soutenir sa famille. Elle fait le ménage dans une maison cossue à quelques kilomètres de chez elle. Elle travaille de 9 h à 17 h et gagne 6 000 roupies par mois (environ 50 $). Quand le confinement a été déclaré, les personnes qui l’emploient lui ont dit : « On ne sait pas qui tu fréquentes chez toi, donc ne viens plus! » Depuis, elle n’a pas touché de salaire. Ses parents vont parfois mendier et récupérer des rations de nourriture distribuées par des particuliers sur les routes. Elle a peur du virus et sort très peu. La maison qu’elle habite n’a pas d’arrivée d’eau et elle doit aller en chercher à la pompe à quelques mètres de chez elle.

Faiza ne connaît pas exactement son âge, car elle n’a jamais eu de papiers d’identité. Elle suppose qu’elle a entre 36 ans et 40 ans.

Faiza ne connaît pas exactement son âge, car elle n’a jamais eu de papiers d’identité. Elle suppose qu’elle a entre 36 ans et 40 ans parce que son fils aîné est âgé de 19 ans. Elle est mère de six enfants : quatre garçons et deux filles. Son mari, qui est beaucoup plus âgé qu’elle, n’a pas de revenus et c’est elle qui est chargée de subvenir aux besoins de sa famille. Elle est employée comme femme de ménage deux à trois heures par jour et gagne 5 000 roupies par mois (environ 42 $). La dernière fois qu’elle est allée travailler, on lui a demandé de rentrer chez elle et d’y demeurer. Elle n’a pas touché d’argent en avril et il ne lui reste plus rien de son salaire du mois de mars. Deux jours avant notre rencontre, elle a passé la journée sur la route à attendre une distribution de nourriture. Elle a pu obtenir de l’huile, de la farine, du sucre, du lait, des pois chiches, des lentilles et du sel. Elle espère qu’elle pourra tenir la semaine avec ce qu’elle a reçu. Elle ne sait pas ce qu’est un virus, mais elle a compris que cela rend malade et elle a peur.

Halima Bibi est née en . Elle a 74 ans. Veuve depuis plus de 40 ans, elle est mère de deux fils. L’un d’eux vit avec elle, ainsi que son épouse, leur fils de deux ans et sa belle-mère. Comme il n’a pas d’emploi, il compte sur sa mère pour ramener de l’argent à la maison. Halima Bibi est femme de ménage. Malgré sa vue qui a beaucoup baissé et son âge, elle continue à travailler. Il y a environ trois semaines, on lui a demandé de rester chez elle « à cause d’une maladie ». Elle ne sait pas vraiment ce que c’est, mais elle a remarqué que beaucoup de personnes dans son entourage avaient cessé leurs activités. « Moi, je suis pourtant en bonne santé! »

Nosheen a 20 ans. Elle habite avec ses deux frères, ses quatre sœurs, sa grand-mère et ses parents dans une unique pièce qui donne sur une petite cour. Depuis l’âge de 10 ans, elle se rend chez la même famille dans un quartier aisé de la capitale. Elle y fait le ménage tous les jours entre 8 h et 17 h. Elle gagne 12 000 roupies par mois (environ 102 $). Son père est journalier et ne travaille pas régulièrement. C’est donc elle qui soutient financièrement toute la famille. Depuis l’annonce du confinement, elle n’est pas retournée faire le ménage et n’a pas touché d’argent en compensation. Elle aimerait bien retrouver son gagne-pain, car, bientôt, elle et sa famille ne sauront plus comment subvenir à leurs besoins. Elle n’a pas peur du coronavirus : « On habite les uns sur les autres. Il viendra forcément et il faudra le combattre! Ici, on a plus peur de la faim que de ce virus! »

Rihanna Kausar a 60 ans. Elle vit avec sa sœur à Rawalpindi, à quelques kilomètres de la capitale, Islamabad. Les deux sœurs n’ont jamais été mariées, car leurs frères ne souhaitaient pas que les biens de la famille puissent être répartis (et ainsi leur échapper) si elles fondaient un foyer. Rihanna s’occupe d’un élevage de gallinacés qu’elle a installé sur le toit de sa maison. Elle vit de la vente d’œufs. Depuis le confinement, les gens n’osent plus venir, et elle a perdu plus de 50 % de sa clientèle. Elle craint que la situation ne s’améliore pas de sitôt.

Shazia habite avec son fils de sept ans dans le quartier de Rawalpindi. Il y a quatre ans, son mari est parti travailler comme chauffeur à Sharjah (aux Émirats arabes unis). Il a cessé de lui donner des nouvelles et ne lui envoie pas d’argent. C’est donc elle qui est chargée de subvenir aux besoins de leur fils. Elle a ouvert un salon de beauté dans l’une des pièces de sa maison. En temps normal, elle gagne autour de 30 000 roupies par mois (environ 246 $), mais, depuis le confinement, elle n’a eu aucune rentrée d’argent. Ses parents tentent de l’aider un peu, mais c’est grâce à la générosité de quelques particuliers qui distribuent des denrées de base qu’elle parvient à se nourrir et à nourrir son fils.