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L’égalité vue par Marlène Schiappa

Il n’existe aucun pays au monde où les hommes accomplissent en moyenne plus de travail non rémunéré à la maison que les femmes. Aucun.

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Ministères sociaux / DICOM / Lewis JOLY / SIPA

Fondatrice du webzine Les Pasionarias en 2007, Marlène Schiappa a d’abord embrassé une carrière de journaliste avant d’ouvrir une agence de production Web, puis de se lancer en politique. Entre mai 2017 et juillet 2020, elle est secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations auprès du premier ministre français. Le 6 juillet 2020, elle est nommée ministre déléguée à la Citoyenneté auprès du ministre de l’Intérieur. Experte en droits des femmes pour la Fondation Jean-Jaurès, elle écrit régulièrement des tribunes sur son site Web. En , elle a publié un rapport très fourni intitulé COVID-19 : menaces sur les femmes dans le monde. Son constat : la crise liée à la pandémie se répercute négativement sur les droits et la situation des femmes et fait craindre des reculs importants en la matière, à court comme à long terme. Idées choisies.

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Quel est l’impact de la pandémie actuelle sur l’égalité entre les femmes et les hommes?

Simone de Beauvoir écrivait qu’il suffirait d’une crise sociale, économique ou religieuse pour remettre en cause les droits des femmes. Cette menace de remise en cause existe, elle est là, nous la voyons.

La mettre au jour, c’est déjà la combattre. Recenser, secteur par secteur, les épées de Damoclès pointant au-dessus de la place des femmes dans nos sociétés, c’est permettre de s’en débarrasser. Bien sûr, cela implique un esprit de sororité et de solidarité au sein des groupes mobilisés pour les droits des femmes, qu’il s’agisse de la société civile, du secteur privé, d’organisations non gouvernementales (ONG) ou de gouvernements.

Cela implique aussi de ne rien laisser passer des idéologies d’infériorité des femmes par rapport aux hommes, idéologies qui permettent à toutes ces menaces d’exister. Ensemble, nous devons les affronter avec détermination, pour nous-mêmes comme pour les générations qui viennent.

Qu’est-ce qui vous a profondément agacée pendant le confinement?

Les habituelles injonctions sur l’apparence des femmes ont toujours cours : les plaisanteries grossophobes sur leur silhouette « avant/après » le confinement, expliquant à quel point les femmes grossiront, et donc deviendront indésirables aux yeux des hommes, fleurissent sur les réseaux sociaux. Et ces commentaires qui mentionnent également – comme un drame – les racines et les cheveux blancs des femmes dus à la fermeture des salons de coiffure, ou encore l’absence d’accès à des soins d’épilation dans plusieurs pays…

Il ne s’agit évidemment pas ici de juger les pratiques individuelles des unes ou des autres, mais de mettre l’accent sur ces injonctions incessantes pesant sur les femmes.

Pourquoi la présence de femmes dans le débat public est-elle capitale à l’heure de la COVID-19?

Il n’a fallu que quelques jours pour que les combats menés depuis des générations, inscrits à l’agenda public de tous les pays occidentaux, risquent de dégringoler. Partout dans le monde, sans même le vouloir, des magazines ou des journaux ont proposé des unes ou des dossiers « men only » sous prétexte que « nous sommes en crise ».

Les femmes sont pourtant plus présentes en nombre « sur le terrain » (dans les hôpitaux, auprès des personnes âgées plus sujettes à la COVID-19), plus actives dans le soin aux familles et plus nombreuses dans l’enseignement. Par conséquent, elles seraient par nature plus fondées, en tant que groupe, à formuler des observations concrètes issues de leurs expériences [de terrain] et à imaginer des pistes de solutions. Ou, à tout le moins, disons qu’elles le seraient autant que les hommes. Elles sont pourtant partiellement écartées des processus de décision formels ou informels pendant la pandémie.

Quand les femmes et les féministes sont moins représentées dans ces processus, certains sujets demeurent dans l’ombre. Il est rare qu’une assemblée exclusivement masculine aborde spontanément les questions de l’endométriose, de l’épuisement maternel, de la préparation à l’accouchement en confinement ou de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) – saluons ici les quelques hommes de pouvoir engagés pour les droits des femmes qui, eux, le font.

Quelle serait l’une des plus grandes menaces pour les femmes lorsqu’une crise comme celle que nous vivons survient?

Déjà menacés avant la pandémie par des sphères de plus en plus puissantes et offensives dans le monde, les droits sexuels et reproductifs des femmes risquent un recul immédiat et à long terme si l’on regarde ailleurs pendant trois mois.

Autre enjeu, celui du partage des tâches familiales…

Habituellement, partout dans le monde, la répartition des tâches éducatives et domestiques s’organise de manière très déséquilibrée entre les femmes et les hommes. Et ce, indifféremment du « temps libre » ou du niveau de rémunération de chaque personne. Il n’existe aucun pays au monde où les hommes accomplissent en moyenne plus de travail non rémunéré à la maison que les femmes. Aucun.

Édition ⬝ Juin et Juillet 2020