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Convergence, aux sources de la violence conjugale

Gaspésie : les hommes face à leur responsabilité

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Temps estimé de lecture :5 minutes

En Gaspésie, le petit organisme Convergence s’est donné une mission de longue haleine : aider les hommes agressifs à reconnaître leur pleine responsabilité dans les violences conjugales, histoire de ne plus recommencer.

Hughes Bujold parle d’un ton posé. Dans la voix de cet intervenant, on discerne des années passées à examiner le comportement des hommes violents. Les excuses pour passer à l’acte contre une conjointe ou une ex-conjointe, il les a toutes entendues.

La plupart des individus qu’il reçoit dans son bureau de New Richmond viennent à la suite de la demande d’un·e agent·e de probation, d’une ordonnance de la cour ou d’une forte recommandation de la DPJ – donc rarement de leur plein gré. Cela signifie qu’ils ont déjà posé des gestes, et sont à risque d’en poser d’autres, sur la même personne ou sur une future conquête.

La violence conjugale fait partie des motifs qui ont poussé 120 Gaspésiens à franchir la porte de l’organisme l’année dernière, sur un total de 334 messieurs rencontrés (soit plus du tiers). Selon les chiffres de Convergence, 101 enfants ont été témoins de cette violence et 40 % des usagers vivent sous le seuil de pauvreté.

« Quand on reçoit un homme, il passe un gros questionnaire d’évaluation portant principalement sur la violence conjugale », explique Hughes Bujold. Commence ensuite la partie plus difficile : « travailler à ce qu’il reconnaisse la pleine responsabilité de ses comportements violents ».

La tâche de l’intervenant consiste à déterminer le « système de justification » de l’agresseur, pour mieux le déconstruire. « Un geste que l’on justifie devient légitime », résume le travailleur social, et une telle justification permet à son auteur de se déresponsabiliser.

Lutter contre les prétextes et les stéréotypes

Hughes Bujold, intervenant

Les diverses manières de justifier sa violence ont comme point commun de rejeter la faute sur l’environnement : certains feront porter le blâme à l’alcool ou à d’autres substances; d’autres évoqueront la bilatéralité de la violence dans leur couple. On pourra aussi entendre des phrases comme « Elle aurait dû arrêter de faire ceci » ou « Elle avait juste à m’écouter », laissant entendre que c’est la victime qui est coupable.

À cela s’ajoutent des stéréotypes de genre bien ancrés dans la société : « Il faut souvent changer l’image de la femme qu’ont les hommes qui passent dans nos services, déclare Hughes Bujold. C’est-à-dire l’image de la femme traditionnelle, soumise et moins compétente que lui dans tous les aspects de la relation. »

Une fois la responsabilité acceptée et certains préjugés débusqués, la phase suivante s’enclenche généralement naturellement : l’homme parvient à développer une empathie envers sa victime, et il peut élaborer des stratégies de protection (ne plus se mettre dans des situations où il dérape) ou de communication non violente.

La démarche est parfois très longue. Hughes Bujold donne l’exemple de Charles (nom fictif), un homme « qui se nourrissait de violence » du point de vue tant social que conjugal et qui consulte Convergence depuis 2014. « Ça a pris énormément de temps avant qu’il reconnaisse ses comportements violents, témoigne l’intervenant. La reconnaissance sur le plan social a été plus rapide, sans doute parce qu’elle fait davantage partie du code du vrai gars, pour qui il est normal de se battre. La honte associée à la violence conjugale est toute autre. »

Depuis deux ans, un déclic s’est produit chez Charles. Il ne considère plus les policier·ière·s et les juges comme des fous qui refusent de le comprendre, il a changé de réseau social et a cessé de consommer. Parallèlement, il a appris à gérer sa colère, par exemple en faisant de l’exercice ou en appelant un intervenant pour en parler. Résultat, il a récemment récupéré la garde de ses enfants.

Aller chercher toujours plus d’hommes

Hughes Bujold regrette toutefois que le bassin d’hommes auquel il a accès soit limité. Il n’y a que très peu d’échanges entre l’association À cœur d’homme (qui réunit 31 organismes comme Convergence au Québec) et le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, soutient-il. Pourtant, c’est dans le présent que les conjoints de ces femmes sont violents, avec un fort risque de récidive.

« Il faut souvent changer l’image de la femme qu’ont les hommes qui passent dans nos services. C’est-à-dire l’image de la femme traditionnelle, soumise et moins compétente que lui dans tous les aspects de la relation.  »

– Hughes Bujold

Convergence a toutefois d’autres projets. Créé il y a 10 ans, l’organisme a élargi sa palette de services pour s’adresser aux pères en rupture de relation et aux hommes en situation d’itinérance ou de mal-être. Il arrive à couvrir presque toute la péninsule grâce à cinq points de service (New Richmond, Gaspé, Chandler, Sainte-Anne-des-Monts et Carleton-sur-Mer).

Ce mois-ci, Convergence va ouvrir sa première maison d’hébergement à Sainte-Anne-des-Monts. Elle sera membre du Réseau Maisons Oxygène, qui vient en aide aux papas en difficulté voulant consolider le lien avec leurs enfants. Dans ce lieu, les intervenants vont avoir une certaine proximité avec les hommes hébergés, ce qui permettra d’évaluer s’ils sont à risque de violence.

Côté sud de la Gaspésie, Hughes Bujold travaille à la mise en place d’une clinique mobile afin de partir à la rencontre des hommes. « Une roulotte qu’on installerait dans la cour d’une quincaillerie, où se trouveraient un médecin et des intervenants, histoire de montrer qu’il n’y a pas de honte à demander de l’aide », dit-il, convaincu que cela pourrait réduire le nombre de suicides ou de violences conjugales.

Il se souvient d’un homme qui lui a dit avoir hésité pendant près d’un an à l’appeler. « Malheureusement, quand il a enfin pris le téléphone, c’est parce que la situation avait dégénéré. » C’est une autre caractéristique de la gent masculine que la clinique mobile tentera de déconstruire : penser qu’on peut régler ses problèmes tout seul…

Besoin d’aide?

Vous sentez votre sécurité menacée?

N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle ou un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

Édition ⬝ Novembre 2021