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Mieux protéger les femmes autochtones

De l’intervention à la prévention à Val-d’Or et La Tuque

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Temps estimé de lecture :5 minutes

À Val-d’Or et La Tuque, des organismes offrent des programmes pour mieux protéger les femmes autochtones contre toute forme de violence. Leur approche holistique et culturellement sécurisante profite aux femmes vivant tant en milieu urbain qu’en communauté. Des projets auxquels participent même parfois les hommes.

Dans son rapport complémentaire sur le Québec, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) a révélé que les femmes autochtones sont davantage victimes de violence familiale, d’homicides entre conjoints et d’une violence plus grave ayant des impacts plus marqués que les autres groupes de femmes au pays.

Elles sont aussi plus nombreuses que leurs homologues allochtones à avoir reçu des soins médicaux, à avoir pris congé de leurs activités quotidiennes en raison des agressions, à avoir vécu au moins 10 épisodes distincts de violence de la part du même agresseur et à avoir craint pour leur vie. Dans les faits, selon les chiffres avancés dans ce même rapport, ce sont entre 70 % et 95 % des femmes autochtones au Canada qui vivent ou ont vécu de la violence.

Mikizi

À Val-d’Or, en 2015, la communauté a été secouée d’apprendre que des policiers ont, dans le passé, été parmi les agresseurs de ces femmes vulnérables. Le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) L’étoile du nord, qui apportait déjà des services aux femmes autochtones, a choisi d’élaborer un programme d’intervention et de prévention mieux adapté à leurs besoins et réalités.

« Avec notre projet Mikizi, nous avons embauché une intervenante autochtone qui a apporté son aide à la fois en milieu urbain et dans les communautés. Elle travaillait avec une approche holistique, avec la roue de médecine, entre autres. Elle organisait des cercles de partage et participait à des cérémonies traditionnelles », explique l’intervenante communautaire Judy Lafontaine.

« Nous croyons que les femmes autochtones sont les plus habilitées pour faire les interventions dans ce programme, mais le recrutement est extrêmement difficile. Les intervenantes sont rares et très sollicitées. »

– Judy Lafontaine, intervenante communautaire

Grâce au projet Mikizi, financé à hauteur de 100 000 $ par année par le Secrétariat aux affaires autochtones du Québec, le CALACS de Val-d’Or a aidé 66 femmes depuis 2016. Et ce, dans le cadre de 200 rencontres totalisant 472 heures d’intervention. Malgré les besoins et la pertinence du programme, l’avenir du projet Mikizi est incertain, indique Judy Lafontaine. « Nous croyons que les femmes autochtones sont les plus habilitées pour faire les interventions dans ce programme, mais le recrutement est extrêmement difficile. Les intervenantes sont rares et très sollicitées. On se les arrache d’un organisme à l’autre. Et dans le meilleur des mondes, il nous en faudrait deux. Une pour l’intervention et une autre juste pour s’occuper de la prévention. »

Manikewin : mobiliser les hommes

À La Tuque, le Centre d’amitié autochtone a choisi de faire participer les hommes à la lutte contre la violence faite aux femmes, grâce à son projet Manikewin (qui veut dire « construction »). Depuis le 1er décembre 2020, ce programme sensibilise les hommes et les jeunes garçons de 12 ans et plus par le biais d’activités culturellement sécurisantes, explique la directrice, Laurianne Petiquay. « On veut [entre autres] susciter une réflexion auprès des garçons et des hommes autochtones à l’égard du problème de la violence conjugale et créer des espaces pour qu’ils se sentent en confiance et à l’aise d’exprimer leurs réflexions et leurs sentiments. »

La création d’un cercle d’hommes a permis aux participants de se confier et de s’entraider. Ce moyen a aussi aidé le personnel du centre d’amitié à mieux déceler leurs besoins. Le programme de prévention de la violence s’est donc tourné vers des activités culturelles en forêt, comme une expédition en canot sur la rivière Saint-Maurice, un cours d’eau significatif dans l’histoire des Atikamekw.

« La prévention de la violence, ce n’est pas seulement de parler de la violence. C’est aussi de donner des outils à ces hommes-là, comme la communication respectueuse. Le canot permet beaucoup d’apprentissages sur la vie à deux et la vie conjugale, comme le respect envers l’autre et l’écoute », illustre Laurianne Petiquay.

Favoriser le collectif

Édith Cloutier, directrice générale du CAAVD

Le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or (CAAVD) utilise, lui aussi, une démarche semblable. L’organisme espère obtenir du financement pour son projet Wabigoni (qui signifie « fleur ») en vue de renforcer la prévention de la violence auprès de ceux qui sont à risque de commettre des gestes violents ou qui en sont victimes. Néanmoins, ce travail s’effectue déjà par le biais d’une panoplie d’autres activités sociales et communautaires, considère la directrice, Édith Cloutier. « Dans le monde autochtone, c’est à travers le collectif que se passe la création de filets de sécurité et d’entraide. Notre job, à nous, c’est donc de créer des espaces communautaires collectifs qui favorisent ce genre d’action là. »

Actuellement, ce sont surtout les femmes qui répondent positivement aux services offerts, admet Édith Cloutier. « Les hommes sont difficiles à mobiliser », dit-elle. En revanche, son équipe constate que les activités d’artisanat proposées au cercle de femmes permettent d’aller bien au-delà que de la simple création. « Le but, c’est de réunir des femmes entre elles. Ce n’est pas “venez vous asseoir et on va parler de vos problèmes de violence”. Ça ne marche pas, ça, pour nous. Dans la vision culturellement pertinente et sécurisante, c’est de créer des liens de confiance et quand une femme vit une crise, elle a un filet de sécurité. »

Comprendre les violences passées

Malgré l’année de pandémie qui vient de passer, 786 personnes différentes, principalement des nations Anicinabe (algonquine) et Eeyou (crie), ont fréquenté régulièrement les services du CAAVD en 2020-2021. Chaque mois d’octobre, le centre organise la Vigile des sœurs par l’esprit, en vue d’honorer la mémoire des femmes autochtones assassinées ou disparues au Canada. Lors de l’édition de l’an dernier, ce fut entre autres l’occasion d’entendre les témoignages résilients de 11 femmes autochtones ayant subi des traumatismes reliés aux pensionnats… lieux d’origine de tant de violence encore vécue aujourd’hui.

Besoin d’aide?

Vous sentez votre sécurité menacée?

N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle ou un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

Édition ⬝ Novembre 2021