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Briser le double silence des femmes immigrantes

À Québec, une formation pour la communauté d’accueil

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Tobias Gonzales (unsplash.com)

Il est déjà difficile, pour une femme victime de violence, daller chercher de laide. Cest encore plus difficile pour certaines femmes immigrantes, qui doivent surmonter des barrières linguistiques, une méconnaissance de leurs droits, une ignorance des ressources locales et, bien souvent, une crainte de la police. Pour sensibiliser une foule dintervenant·e·s de la communauté daccueil à ces questions, la Maison pour femmes immigrantes de Québec offre des formations dans la région depuis maintenant 20 ans.

C’est lorsque Paula* est arrivée au Québec que les comportements violents de son conjoint ont pris une nouvelle ampleur. Il fallait tout recommencer à zéro et les émotions de son partenaire lui faisaient des bleus dans l’âme et sur le corps. La violence verbale s’infiltrait même dans leurs cours de francisation.

« C’est le professeur qui a commencé à me dire que tout ce que je vivais, c’était de la violence. Ses paroles sont entrées dans ma tête », raconte Paula. À l’époque, Paula se sent prisonnière : si elle quitte son mari, qui paie toutes les factures, comment loger et nourrir ses trois enfants? Un jour, des professeurs découvrent des marques de ceinture sur le dos de l’un des enfants. Au matin, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) se tient sur le pas de la porte. « Voulez-vous embarquer avec les enfants? » a-t-on demandé à Paula, qui a saisi l’occasion pour tourner la page.

La nouvelle arrivante est partie avec les enfants dans une maison d’hébergement pendant trois ou quatre mois. « Je ne savais pas qu’ici au Québec, on avait des allocations familiales, dit-elle. À la maison d’hébergement, ils m’ont expliqué mes droits et j’ai décidé de divorcer, avec la garde totale de mes enfants. Ils m’ont aussi dit que je devais rentrer à l’école, et j’ai fait des études. » Les années ont passé. Aujourd’hui, Paula travaille dans une maison d’hébergement et aide d’autres femmes à sortir de la violence.

S’attaquer aux obstacles structurels

« On ne peut pas dire que les femmes immigrantes sont plus victimes de violence, mais elles sont plus vulnérables », observe Nahid Ghafoor, intervenante à la Maison pour femmes immigrantes et formatrice sur l’intervention en milieu interculturel. Ces formations ont longtemps été nommées « double silence », en raison de la double couche de barrières qui vont emmurer les victimes immigrantes dans le silence.

« Quand on travaille sur l’émancipation, c’est de la même façon qu’avec les femmes québécoises, sauf que les femmes immigrantes font face à beaucoup plus de difficultés sur le plan économique, par rapport au manque d’emploi, à la discrimination, aux problèmes de la langue ou des différences culturelles », détaille Nahid Ghafoor.

Ces formations ont longtemps été nommées « double silence », en raison de la double couche de barrières qui vont emmurer les victimes immigrantes dans le silence.

Elle ajoute qu’il arrive que des femmes sans statut légal évitent de dénoncer par crainte de se faire déporter ou parce qu’elles associent les policiers à la répression vécue dans leur pays d’origine. « C’est vrai que la culture joue un rôle, surtout dans la façon dont on intervient », croit Nahid Ghafoor. Elle ajoute qu’il est important de défaire les mythes alléguant que la violence dans les familles immigrantes prend sa racine dans « la culture », et que ce sont les obstacles structurels qui empêchent les femmes immigrantes d’aller chercher de l’aide.

D’ailleurs, une fois que la victime de violence est dans la maison d’hébergement, les intervenantes vont s’attaquer à ces obstacles structurels dans leur accompagnement. Elles la guident et l’incitent à entamer une démarche d’immigration et, le cas échéant, à déposer une demande de statut migratoire de protection contre la violence conjugale. Outre l’accompagnement psychologique aux victimes et à leurs enfants, les intervenantes aident les femmes à trouver un revenu, un logement et elles les dirigent vers des cours de francisation.

Des formations pour la communauté

Nahid Ghafoor ne compte plus le nombre de personnes qu’elle a sensibilisées à la violence vécue par les femmes immigrantes au cours des 20 dernières années. Elle estime avoir donné des formations à plus de 500 étudiant·e·s en techniques policières, avant qu’une formation en violence conjugale ne fasse partie du programme.

En partenariat avec la Ville de Québec, elle a formé nombre de personnes provenant d’organismes communautaires ou des services sociaux, ou encore d’étudiant·e·s universitaires. Aux intervenantes, elle donne des outils pour améliorer la communication et établir des relations de confiance dans un contexte interculturel.

Nahid Ghafoor roule également sa bosse dans les cours de francisation destinés aux nouveaux arrivants. « C’est une bonne chose parce que, dans les classes de francisation, il y a des hommes aussi. Ils voient la question de la criminalisation de la violence conjugale, les différentes formes de violence, et les conséquences sur les femmes et les enfants », observe-t-elle.

Le nombre d’heures ou de jours de formation s’adapte aux besoins, les formations étant données à la demande. En 20 ans, la situation a changé, constate l’intervenante, qui souligne que la formation a été adaptée aux nouveaux enjeux et aux nouvelles lois en lien avec la violence. « Il y a pas mal d’améliorations, les gens du milieu sont plus sensibilisés, on reconnaît davantage que c’est un problème », explique Nahid Ghafoor. Les femmes cherchant de l’aide sont plus jeunes, et elles dénoncent à présent une diversité de formes de violence.

En 20 ans, l’intervenante a aussi observé l’émancipation de femmes immigrantes qui ont réussi à sortir du cycle de la violence et qui, comme Paula, contribuent à aider d’autres femmes dans des situations de violence. « Il y a des histoires de réussite, qui nous encouragent à continuer », dit Nahid Ghafoor avec espoir.

* Ce prénom est fictif pour protéger l’identité de cette femme.

Besoin d’aide?

Vous sentez votre sécurité menacée?

N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle ou un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

Édition ⬝ Novembre 2021