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La cyberintimidation : une forme réelle de violence

Résister ensemble

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La violence en ligne envers les femmes – la cyberintimidation – demeure un sujet de l’ombre, alors que les réseaux sociaux et le Web sont omniprésents dans nos vies. Si la portée des réseaux permet l’avancée des valeurs féministes, on y retrouve inévitablement des modèles de comportements violents et de haine qui visent spécifiquement les femmes. Entre progrès sociaux et liberté d’expression sans réserve, comment contrer le harcèlement en ligne?

Au Canada, en janvier 2021, Twitter comptait 6,45 millions d’utilisateurs actifs, dont 37,4 % d’utilisatrices. Avec plus de 500 millions de Tweet envoyés chaque jour, les femmes ont trouvé dans les réseaux sociaux un moyen de communication imparable. Comme l’explique Mélanie Millette, professeure au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du chantier sur l’antiféminisme au Réseau québécois en études féministes (RéQEF), il y a eu dans les 20 dernières années une politisation des réseaux sociaux.

« Les médias sociaux ont changé la donne en matière d’accès à l’information, d’avancée d’idées complexes, parfois beaucoup plus radicales, qui amènent dans les chaumières des connaissances auparavant stockées dans les rangées des bibliothèques universitaires. »

En plus de l’accès libre et gratuit à l’information grâce notamment aux travaux de blogueuses, les réseaux sociaux permettent l’échange personnalisé entre les militantes et la sphère publique. Anna Toumazoff, activiste féministe française des plus médiatisées de sa génération, en témoigne.

« Ce que j’appelle le militantisme, c’est répandre une parole, la rendre accessible au grand public. Les réseaux permettent de créer une intimité avec les gens, de vulgariser nos idées et de les partager avec notre communauté, qui les partagera en retour. Un peu de féminisme au quotidien entre nos mains, c’est colossal pour la cause. »

L’omniprésence de la cyberviolence

Mélanie Millette, professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM et membre du RéQEF

Outre l’effet de regroupement que permettent les réseaux pour les causes féministes – pensons au mouvement #MeToo –, une nouvelle forme de violence contre les femmes s’est parallèlement répandue : la cyberviolence. Selon une enquête mondiale de Plan International Canada soulignée par l’Afeas, 62 % des jeunes femmes canadiennes disent être la cible de messages explicites, de photos pornographiques, de traques en ligne et d’autres formes d’abus inquiétants.

En moyenne, ce sont 3 jeunes femmes sur 5 qui estiment être victimes de harcèlement en ligne fréquemment (25 %) ou très fréquemment (35 %). La cyberintimidation prend plusieurs formes, comme le dénigrement, l’isolement, les insultes, les rumeurs ou les menaces.

Le langage abusif et insultant, la mise dans l’embarras volontaire, la honte du corps, le harcèlement sexuel et le harcèlement criminel sont des manifestations de cyberviolences vécues par plus de 50 % des femmes. Ces femmes sont souvent réduites au silence : 19 % d’entre elles affirment avoir l’intention de cesser de publier des contenus qui expriment leur opinion et 8 % quitteraient la plateforme sur laquelle elles ont été victimes de harcèlement.

Mélanie Millette explique que cette violence, personnelle et publique, se fait souvent à visage découvert. « Il faut arrêter de penser que les gens qui attaquent les femmes sur les réseaux sont des trolls, des avatars, des anonymes. C’est faux… On voit des messages hyperviolents faits de manière tout à fait publique. »

La diversité ciblée

Le rapport Toxic Twitter d’Amnesty International révèle que les femmes de couleur, les femmes issues de minorités ethniques ou religieuses, les femmes lesbiennes, bisexuelles ou transgenres – ainsi que les personnes non binaires – et les femmes handicapées souffrent disproportionnellement de ces violences.

« L’approche intersectionnelle permet de constater l’effet dramatique de la violence en ligne. Selon les plateformes, les femmes ont d’ores et déjà deux fois plus de risques de se faire harceler en ligne que les hommes. Ces chiffres décuplent pour les femmes racisées. »

Toujours selon Mélanie Millette, la cyberviolence contre les femmes a tendance à être minimisée, en raison notamment des héritages de la philosophie occidentale qui conçoit le virtuel comme un espace non réel. Cependant, le harcèlement en ligne engendre des conséquences bien réelles, comme en témoigne Anne Toumazoff, qui doit périodiquement prendre une pause des réseaux sociaux pour son bien-être.

La présence des femmes dans le cyberespace vient avec un coût à l’engagement, qui découle d’un ancrage social profond.

« Du fait de mon statut médiatique, je suis la cible de beaucoup de haine de ces mecs. Je reçois des messages spécifiques qui parlent beaucoup de viol, certain propos de défiguration. Je suis entraînée à l’EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), une technique de déchocage traumatique. »

La présence des femmes dans le cyberespace vient avec un coût à l’engagement, qui découle d’un ancrage social profond. Selon Anne Toumazoff, « ça tient au sexisme et au fait qu’en tant qu’activiste féministe, on essaie de dénoncer et de changer le statu quo. »

Des solutions collectives

Que faire contre ces violences genrées en ligne, et à quelle échelle agir? Selon la professeure à l’UQAM, la réponse à cette question est à trois niveaux. Juridique d’abord, au moment même où le Québec débat de l’instauration d’un tribunal spécialisé pour traiter les violences sexuelles. Sur le plan des plateformes elles-mêmes ensuite, et de leur efficacité algorithmique à bloquer les comportements violents avant même qu’ils n’apparaissent en ligne. Enfin, à un niveau général, où nous devons absolument être de bon·ne·s allié·e·s.

« C’est souvent difficile de faire la part des choses entre se préserver soi-même et défendre la cause. Les mecs, jetez-vous dans l’allée si vous pensez que c’est quelque chose que vous pouvez faire! », lance Mélanie Millette.

Pour Anne Toumazoff, « l’activisme sur le cyberterrain, le militantisme en ligne, ça marche. On a vu trop de choses autour de nous pour nous arrêter. C’est une forme de révolte parce que les histoires qui nous arrivent, qui arrivent à nos copines, qui arrivent à tout le monde, tout le temps, ça rend fou et au bout d’un moment, il faut agir globalement, tout simplement ».

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N’hésitez pas à faire appel à des ressources d’accompagnement comme SOS violence conjugale (disponible 24 h sur 24, 7 jours sur 7), une maison d’hébergement, Info-aide violence sexuelle ou un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de votre région. En cas de besoin immédiat, contactez la police en composant le 911.

Édition ⬝ Novembre 2021