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Gisella San Miguel : comme un phare

Enseigner et transmettre, d’un optimisme à l’autre

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Bandeau :Photo : © Cindy Boyce

« Les enseignantes changent des vies concrètement. Il faut parler des beaux côtés du métier! » Entretien avec Gisella Karina San Miguel Raffo, une enseignante au primaire motivée et motivante, qui se tient droite, et qui affiche confiance et optimisme devant les défis de la profession.

Gisella Karina San Miguel Raffo est enseignante de 4e année du primaire dans la région de Montréal. Née au Pérou, elle a su très tôt qu’elle voulait enseigner. « J’ai eu une enfance plutôt difficile, mais j’ai eu la chance de croiser la route d’enseignantes – au primaire, au secondaire et à l’université – qui ont changé ma vie, qui m’ont marquée de façon vraiment positive. J’ai rapidement eu envie de rendre la pareille à d’autres enfants », explique-t-elle candidement.

Après avoir travaillé aux États-Unis, la vie la mène jusqu’à Montréal, ville pour laquelle elle a un véritable coup de cœur. Elle s’y installe avec son premier enfant et son mari et apprend le français. « C’était en 2005, quelques mois après que le service des garderies offert durant les cours de francisation eut été interrompu. Disons que ç’a rendu mon apprentissage pas mal plus difficile », avoue-t-elle. Elle cumule les petits boulots puis, après moult efforts, elle obtient ses équivalences et, enfin, devient enseignante dans une école primaire. D’abord en tant que suppléante (« à temps plein, les écoles manquaient de bras déjà à ce moment »), puis avec une permanence.

Valoriser la profession

Malgré les difficultés – que la grève récente a mises en évidence –, l’enseignante de 44 ans et maman de 2 enfants est catégorique. « J’adore mon métier. C’est une profession absolument valorisante, qui me comble encore aujourd’hui. De toute évidence, le contexte est difficile : on manque de tout! Mais moi, je ne manque pas d’enthousiasme. J’arrive à l’école de bonne humeur, prête à entreprendre ma journée et à aider mes élèves à réussir, à apprendre et à devenir de bons citoyens. »

À son avis, même si les enseignantes (85 % du personnel professionnel en enseignement au primaire sont des femmes) doivent composer avec le manque criant de ressources dans les écoles, enseigner reste un métier gratifiant, quoiqu’encore peu valorisé.

« On a besoin d’attirer les jeunes dans la profession en leur octroyant des conditions de travail qui sont alléchantes, c’est certain. Mais aussi en leur faisant comprendre à quel point c’est un métier important… et l’fun! On voit directement l’effet de notre travail et ça fait du bien. »

L’équilibre de soi

Elle avoue cependant que d’apprendre à trouver un équilibre entre sa vie professionnelle et personnelle est parfois ardu.

« Comme dans tous les métiers du soin, typiquement féminin, on parle de l’enseignement comme d’une vocation. Mais même si on est une enseignante dévouée, qu’on veut tout donner à ses élèves, on doit se mettre des limites pour ne pas se brûler complètement. Je l’ai appris au fil du temps. Si je suis vidée, je n’aide plus personne. Les enseignantes marchent sur un fil de fer. À cause du manque de ressources, on sent qu’on doit toujours en faire plus, mais à un certain point, c’est impossible. Il faut d’abord prendre soin de soi. »

Elle se fait un point d’honneur d’aider les stagiaires et les jeunes collègues qu’elle côtoie à trouver cette balance entre le don de soi et le repos.

« On pense encore que les femmes donnent, prennent soin des autres de façon plus naturelle. J’explique toujours à mes stagiaires qu’être enseignante, c’est une job. Un emploi. Pas un travail bénévole. Si elles travaillaient dans un bureau, elles ne regarderaient pas leurs courriels le week-end. Pourquoi le feraient-elles en tant qu’enseignantes, alors? Il faut faire attention et décrocher quand on le peut, pour continuer à avoir de l’énergie à consacrer à ses élèves, à son perfectionnement et – oui, parfois! – à des projets extrascolaires avec ses petits. »

En mai 2023, la classe de Gisella a participé au documentaire Les héritières, réalisé à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil du statut de la femme. Le film a été lancé officiellement le 30 novembre dernier à l’Office national du film du Canada.

Ayant elle-même vécu la tornade de l’immigration, Gisella souhaite maintenant faire profiter les élèves nouvellement arrivés de sa compréhension, de sa patience et de son aide. « Je travaille avec des élèves aux profils très multiples, très diversifiés et, comme je comprends la réalité des nouveaux arrivants, j’essaie de donner un petit coup de main aux élèves, mais aussi aux parents. On peut vite juger un parent qui n’est pas très présent, ou qui se sent perdu dans l’environnement scolaire québécois, mais je comprends très bien le fait qu’ils peuvent être pris dans plein d’autres problèmes concernant leur immigration, leur intégration. Je leur offre de la bienveillance. »

Des avancées

Connaissant tous les problèmes soulevés lors de la grève de 2023, il peut sembler difficile de parler « d’avancées » dans le domaine de l’éducation au Québec. « Dans certaines écoles, les enfants ont leur classe dans le gymnase, par manque d’espace! On part de loin… » Pourtant, Gisella reste optimiste.

« J’ai remarqué des avancées dans mon domaine en matière de droits des femmes ces dernières années. Il y a plus de femmes en position de pouvoir, comme directrices ou conseillères pédagogiques, par exemple. On parle beaucoup plus de conciliation famille-travail, et on a aussi plus de ressources – comme des livres pour enfants – pour enseigner l’égalité, l’inclusivité, la tolérance. Ce n’est pas tout rose, mais ce n’est pas tout noir, non plus! »

Elle remarque également que, depuis la grève, plusieurs parents se sont rangés du côté du corps enseignant. « C’est comme si ça avait ouvert les yeux à plusieurs personnes sur les conditions qu’on offre à nos enseignantes, mais aussi à nos élèves. Les parents comprennent aujourd’hui qu’on se bat pour être plus présentes pour leurs enfants, plus en mesure de leur offrir une éducation de qualité. »

Lorsqu’elle aborde l’avenir de sa profession, Gisella avoue qu’elle aimerait évidemment plus de ressources pour mousser la réussite de tous ses élèves, peu importe leurs besoins particuliers, et espère qu’il y aura une communication plus claire entre les « têtes dirigeantes au sommet » et les enseignantes sur le terrain.

« On se sent souvent incomprises. Il y a un fossé entre les idées que les dirigeants proposent et la façon de les appliquer dans notre réalité. » Et quand on lui demande ce qu’on lui souhaite à elle, pour la suite de sa carrière, elle répond du tac au tac : « Je veux enseigner pendant encore très longtemps! Transmettre mes valeurs à mes élèves, les voir atteindre leur plein potentiel, c’est vraiment ce qui me passionne. » Et c’est évident.

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