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Madone Murray : une vie à servir les gens

La restauration, un milieu en transformation

Date de publication :

Au restaurant St-Hubert de Rimouski, un visage familier. Cela fera bientôt 21 ans que Madone Murray y sert la clientèle fidèle de la ville et celle de passage dans la région. Celle qui a soufflé ses 60 bougies en décembre dernier calcule qu’elle travaille depuis plus de 40 ans dans la restauration. Elle témoigne d’un milieu exigeant, d’un métier qu’elle aime et d’un monde qu’elle a vu se transformer.

« J’ai commencé à 16 ou 17 ans, au Castor, le restaurant d’un motel aux abords d’une rivière à saumon. On avait une clientèle de pêcheurs. Mon frère travaillait là aussi. Il venait me chercher pour m’y conduire. Je faisais la plonge pour le déjeuner et plein d’autres tâches. Il me ramenait à la maison après. »

Madone Murray a ensuite décroché un emploi dans un resto-bar à temps partiel, puis à temps plein. On connaît la suite de l’histoire. « Je ne pensais pas passer le restant de ma vie dans ce métier, je trouvais ça difficile au début. Aller au-devant des gens, prendre la parole, me présenter, j’étais plus gênée… »

De carrière à temporaire

Si à une certaine époque le travail de serveuse en était un comme les autres, il s’est graduellement transformé avec le temps. « Aujourd’hui, c’est un travail de transition, une job temporaire. Les jeunes ne l’envisagent pas à long terme. Ils ne feront pas ça pendant 30 ans. Et le rapport avec la clientèle change aussi. Pour certaines personnes, le souci du bon service n’est pas le même, quelques-unes le font avec diligence, mais pour les autres, ce n’est pas plus que ça… » Et ce n’est pas qu’une impression. Plusieurs le remarquent en salle et les fidèles préfèrent se faire servir par les serveuses plus expérimentées.

Chez Madone Murray, on sent une pointe de nostalgie. « Les temps-pleins, ça n’existe plus. Les autres ne feront pas ça des 10, 15 ou 20 ans. Les patrons le savent aussi. Ça va être difficile pour eux quand les serveuses de ma génération vont partir à la retraite. Et puis avant, on avait des standards, pour l’habillement, la coiffure… ça prenait un minimum de décorum. On ne portait pas de jeans et on n’avait pas de piercings quand j’ai commencé! »

Se battre pour de meilleures conditions

Elle a connu l’époque où les menus du jour étaient affichés à 3,25 $ : la soupe, le plat principal, le dessert et le café. C’était aussi l’équivalent de son taux horaire. C’est dans ces années qu’elle a fait face au chômage à 75 $ par semaine, parce que le restaurant était en rénovation.

Elle se remémore une bataille qu’elle a menée, au milieu des années 80, contre le gouvernement qui accusait les serveuses de ne pas déclarer tous les pourboires. « On recevait des lettres, certaines ont même reçu des appels où on les menaçait de venir les collecter. Nous, à Rimouski, on est allé aux petites créances pour nos pourboires. On a gagné sur toute la ligne. On nous a remboursés avec intérêts. J’ai encore le jugement chez moi, raconte-t-elle avec fierté. C’était un débat plus social que financier. Devant un juge, contre le gouvernement, on n’était pas grosses dans nos culottes. » Mais ces femmes que l’on accusait d’être de mauvaise foi ont changé bien des choses avec cette décision qui a fait jurisprudence.

Aujourd’hui, on calcule les pourboires pour la Régie des rentes, on prend en compte l’ancienneté. Madone Murray travaille quatre jours par semaine. Le salaire de base (auquel s’ajoutent les pourboires) est le même pour tout le monde. Elle profite de sept semaines de vacances, des jours fériés, etc.

« Ce sont plusieurs avantages que je n’ai jamais eus avant. Quand j’ai commencé, s’il en arrivait une plus belle, une plus fine, elle venait prendre les quarts de travail payants. Ça ne se fait plus aujourd’hui, on ne laisserait pas faire ça. Le rapport avec les employeurs s’est amélioré aussi. Même à 60 ans, je suis encore rentable, on le voit avec les ventes et l’approche client. Les plus vieilles, on n’est pas dans les dernières si on regarde nos chiffres. Mais je ne travaille pas moins que les jeunes, je n’ai pas de privilège parce que j’ai cet âge-là. »

Des kilomètres dans le corps

Le travail de serveuse use le corps. Les horaires atypiques, les longues journées debout, les milliers de pas chaque jour, le poids des assiettes. « Physiquement, il y a des soirs où j’arrive très fatiguée. Même les jeunes trouvent ça difficile. J’aime toujours ça, mais je vais le faire trois ou quatre ans encore. Je pourrais sans doute commencer par réduire mon horaire à trois jours par semaine…, réfléchit Madone Murray. J’ai toujours aimé ce que je fais. Tu n’as pas le choix pour le faire aussi longtemps. »

« Nous, à Rimouski, on est allé aux petites créances pour nos pourboires. On a gagné sur toute la ligne. C’était un débat plus social que financier.  »

Le salaire à 12,45 $, l’absence de caisse de retraite, les jambes qui se fatiguent, sans jamais se plaindre : celle qui est également proche aidante reconnaît que les femmes comme elle travaillent fort. Mais elles n’ont pratiquement rien pour leur retraite. Il reste encore du chemin à faire pour ces femmes qui ont consacré leur vie au service des autres.

« C’est une source d’inquiétude. Mon conjoint est plus âgé que moi et il est retraité depuis 20 ans. Il a un bon fonds de pension. Et moi, sans fonds de pension, si je vis encore 20 ans… 30 000 $ par année pendant 20 ans, ça en prend de l’argent mis de côté! » La serveuse, aussi sympathique que généreuse du temps qu’elle accorde à cette entrevue, le dit en toute humilité : « Il va falloir baisser le niveau de vie et avoir de l’aide de la famille… »

Les longues marches, les voyages qu’elle planifie avec sa sœur, ses journées de repos au terrain de camping, ce sont des moments pleinement mérités. Elle souhaite que la qualité du service demeure une priorité pour les serveuses et serveurs qui la remplaceront, et que ce métier, si important soit-il dans nos vies, soit valorisé davantage. Pour cette dame qui a grandi dans une famille de 15 enfants, l’entraide, le service et la bienveillance sont indissociables.

Pour toutes les autres Madone Murray que nous croisons, traduisons ces paroles par un sourire, un merci… et un peu de compréhension quand le réchaud de café tarde un peu à venir.

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