Aller directement au contenu

Denise Veilleux : proche aidante et militante

Plaidoyer pour une vieillesse citoyenne

Date de publication :

Il y a moins d’un an, l’organisme l’Appui pour les proches aidants dévoilait les résultats d’une vaste enquête. On y apprend qu’un tiers des adultes au Québec sont des personnes proches aidantes et que le quart d’entre elles ont plus de 65 ans. Ce sont majoritairement des femmes, dans une proportion de 61 %, et elles consacrent plus de 10 heures par semaine à aider une personne proche. Denise Veilleux est proche aidante et citoyenne partenaire du Réseau Résilience Aîné.es Montréal. Discussion et réflexions autour des soins aux proches et de la vieillesse citoyenne.

« Tu finis de t’occuper de tes enfants pour ensuite t’occuper de tes parents », remarque d’entrée de jeu Denise Veilleux. Toujours selon les chiffres publiés par l’Appui, près de la moitié des personnes en situation de proche aidance ne savent pas qu’elles le sont.

« Et combien de ce nombre sont des femmes? On est conditionnées à prendre soin des autres. Ça ne me surprend pas que des femmes qui s’occupent d’un parent, conjoint ou enfant ne voient pas qu’elles sont des proches aidantes. Le concept est d’ailleurs assez récent. Ça a pris quelqu’un comme Chloé Sainte-Marie [conjointe du défunt cinéaste Gilles Carle] pour le nommer et nous prévenir qu’il fallait faire quelque chose. Mais ça fait des siècles que les femmes s’occupent de leurs proches. »

Pourtant, les qualités d’altruisme, les compétences émotives et relationnelles n’appartiennent à aucun genre. « Je souhaite que ce soit partagé entre les femmes et les hommes. Je suis persuadée que ce n’est pas biologique, mais social. Si on montre à un enfant en bas âge à être emphatique et bienveillant, pourquoi ça ne pourrait pas se développer au fil du temps? J’ai espoir que prendre soin des autres deviendra plus généralisé, sans âge et sans genre. »

Par la force des choses

À la délicate question « Est-ce qu’on choisit de devenir proche aidante? », la pétillante sexagénaire hésite. « Même lorsqu’on a de grandes réserves de santé, de temps et d’énergie, c’est toujours un peu malgré soi. Quand une proche aidante doit donner des soins de base, personne ne choisit ça, à moins d’en faire un métier. Pourquoi on le fait? Parce qu’il n’y a pas suffisamment de services et parce que bien souvent, il y a un lien d’obligation familiale. »

C’est en 1998, quelques mois avant l’adoption du projet de loi no 32 sur les droits des conjointes et conjoints de même sexe, que Denise Veilleux devient proche aidante auprès de sa conjointe atteinte du cancer. « Ce fut très court, on a eu six mois pour se dire adieu. À la maison de soins palliatifs, personne n’a vu qu’on était un couple. Je n’ai pas eu le réconfort qu’on donne à une compagne. J’aurais aimé qu’on reconnaisse notre lien, notre relation. » Mais depuis, elle n’a jamais cessé d’aider et d’accompagner des gens autour d’elle. Une proche aidance silencieuse, qui n’en est pas moins importante.

«  J’ai espoir que prendre soin des autres deviendra plus généralisé, sans âge et sans genre. »

Dans un monde idéal, des personnes qui ont contribué toute leur vie à la société par le travail, l’engagement, le bénévolat, l’éducation et l’entraide devraient s’attendre à avoir des services. Avant les soins, ne devrait-on pas bénéficier de services?

« Entre le moment où une personne a de la misère à faire ses courses ou le ménage et le CHSLD, il y a un vide de services. En tentant de repousser le plus loin possible la déchirante étape du placement dans un centre de soins de longue durée, les proches aidantes s’amènent au bord de l’épuisement. Pourquoi doit-on en arriver là avant de se dire que ce n’est plus possible? On a deux pertes, calcule Denise Veilleux. En plus de la personne aidée et accompagnée, on en fragilise une autre qui ne l’était peut-être pas au départ. »

Qui aidera les aidantes?

« Aider, ça suppose qu’on a les capacités physique, mentale et financière de le faire. Si c’est temporaire, circonscrit dans le temps, c’est possible bien après 65 ans. Mais plus on avance en âge, plus les probabilités d’éprouver des ennuis de santé augmentent. La proche aidance pour une maladie chronique, ça use », prévient-elle.

« Quelle est l’espérance de vie en santé chez les personnes proches aidantes? Je ne suis pas certaine qu’on soit rendu à la mesurer, mais il y a de réelles répercussions. L’âge nous met à l’écart, la proche aidance nous met à l’écart, le vide se fait autour de nous. C’est insidieux, les liens s’effritent. »

La vieillesse citoyenne

Après des études féministes à 50 ans, elle s’est posé la question : « Comment je vais vieillir? Et 20 ans plus tard, je découvre le Réseau Résilience Aîné.es Montréal (RRAM). On cherchait des citoyennes partenaires pour le comité de pilotage. J’ai tout de suite senti que j’allais être là où les décisions se prennent. À plus de 70 ans, je fais moins de manifs, mais le RRAM devient le prolongement de ma préoccupation face au vieillissement, une occasion de partager une perspective de citoyennes aînées. »

La société change, l’implication féministe de Denise Veilleux a évolué et la militante défend le droit d’avoir sa place à la table. On choisit nos batailles ou ce sont elles qui nous choisissent, dit-elle.

Aujourd’hui, elle s’implique au sein du RRAM, qui propose une démarche collective d’inclusion et de participation sociale aux personnes de 55 ans et plus de la région montréalaise. Elle souhaite y partager une perspective LGBTQ féministe et y promouvoir le concept de vieillesse citoyenne. Parce que comme activiste, elle est encore capable de parler, de réfléchir, précise-t-elle : « Les personnes aînées sont des actrices sociales, on s’occupe du monde, de notre monde, on est là. On demeure des citoyens et des citoyennes à part entière. »

Au fil du temps, la militante a multiplié les causes pour lesquelles elle a donné de son temps et de son énergie. Et aujourd’hui, elle ne compte pas les heures qu’elle consacre à défendre les causes sociales qui lui sont chères. Parce que justement, la fouge n’a pas d’âge.

À celles et ceux qui croyaient que la vieillesse rend improductif, un café avec des personnes d’exception comme Denise Veilleux et bien d’autres vous convaincra du contraire. Les personnes aînées, fortes de leurs expériences et de leur sagesse, ont un pouvoir social inestimable. La tête haute, elles n’hésitent pas à s’investir corps et âme pour pallier les lacunes de notre système. Proche aidance et vieillesse citoyenne en sont des manifestations éclatantes.

Conseil du statut de la femme : L'égalité à coeur un Québec fier de ses valeurs 8 mars