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Documentaire Les héritières : passer à la suivante

Élever les autres, un héritage

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Aline Desjardins était assise au premier rang pour observer le Québec se transformer. Dans le documentaire Les héritières, réalisé à l’occasion des 50 ans du Conseil du statut de la femme, l’animatrice de Femme d’aujourd’hui (1966-1979) souligne comment ce travail a changé sa perception du monde. La pionnière du milieu des communications a légué à plusieurs générations un chemin bien pavé, quoiqu’encore cahoteux par sections, qu’elle leur demande d’entretenir et de prolonger. Un appel qui tisse le fil du documentaire Les héritières, porté par la comédienne Marie Soleil Dion et lancé officiellement le 30 novembre dernier à l’Office national du film du Canada (ONF). Produit par Les productions Bazzo Bazzo, le film sera notamment diffusé à Télé-Québec en 2024.

Quand Femme daujourdhui entre en ondes, au milieu des années 60, c’est le seul magazine féminin au monde à être diffusé quotidiennement à la télévision. En phase avec son époque, il traite de tricot, d’entretien ménager et de décoration, des sujets pensés pour les maîtresses de maison.

Au fil des ans, les enjeux sociopolitiques et l’engagement féministe du magazine se sont imposés. C’est devenu une émission d’affaires publiques, qui a présenté des dossiers sur l’égalité des sexes, la contraception et le divorce.

Ça reste dans la famille

La productrice Marie-France Bazzo et Me Louise Cordeau, la présidente du Conseil du statut de la femme, se souviennent toutes deux de la place qu’a occupée Aline Desjardins dans leur enfance. C’était un rituel sacré d’après-midi, au retour de l’école : leurs mères regardaient Femme daujourdhui. Aline faisait un peu partie de la famille. On parle souvent de Janette Bertrand comme de la « déniaiseuse » en chef du Québec. Et sans rien enlever à son legs, Marie-France Bazzo pense qu’on sous-estime par ailleurs l’apport d’Aline Desjardins. « Elle a fait un travail de fond absolument magistral », souligne celle qui a été à la barre d’Indicatif présent, un autre travail qui change la perception du monde.

À l’occasion de son 50e anniversaire, quand le Conseil du statut de la femme a émis le souhait de présenter dans un documentaire le chemin parcouru depuis 1973, la présence d’Aline Desjardins s’est imposée pour sa présidente. Elle serait la Pionnière avec un grand P, témoin et actrice de cinq décennies d’effervescence féministe.

Autour d’elle, ses héritières, des trentenaires épanouies et lucides, qui n’ont probablement jamais regardé Femme daujourdhui, mais qui sont pleinement conscientes des luttes qui les ont précédées. Et dans leur domaine respectif – astronomie, politique municipale, monde des affaires, théâtre –, elles sont aussi pionnières à leur façon.

Grand bond en avant

Le documentaire s’ouvre sur des images de Marie Soleil Dion, adolescente, cartons en mains, en train de présenter à la caméra sa plus récente création, qui aurait probablement pu s’intituler : mon énième spectacle de sous-sol. Son aplomb et son plaisir sont indéniables.

L’animatrice de 39 ans, autour de qui s’articule la quête du film, reconnaît d’emblée ses privilèges et le grand écart qui la sépare de sa grand-mère maternelle. Marie Soleil gère ses finances, prend la parole publiquement et a pu décider d’avoir un enfant au moment qui lui convenait.

« Il faut être féministe. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais il faut aussi parler aux jeunes générations de ce qui s’est passé avant nous. C’est ce que veut faire le documentaire, il faut savoir d’où viennent nos libertés », explique la comédienne.

« Être une femme, c’est être une personne qui se réalise. Que ce soit sur le plan artistique, familial, professionnel ou de l’engagement, une femme qui se réalise, c’est la prémisse d’une société qui considère l’égalité comme une valeur essentielle. »

– Me Louise Cordeau, C.Q., présidente du Conseil du statut de la femme

Les images d’archives insérées dans le film par sa réalisatrice, Julie Blackburn, amènent à constater ce grand bond en avant, en plus de souligner l’importance des modèles. Voir la première femme contrôleuse aérienne, policière, ou encore entendre les mères de famille nombreuse raconter leur retour aux études, ça illustre comment la représentation a permis, et permet toujours, la normalisation et l’émulation.

« Les progrès accomplis sont énormes et il faut en être fières », note Julie Blackburn. Par souci d’honnêteté à ce passé porteur d’espoir, la scénariste a souhaité accoler les défis qu’il nous reste à relever.

La bonne élève

À près de 90 ans, Aline Desjardins tape toujours sur le même clou, celui de la rémunération des femmes. La journaliste retraitée subit encore aujourd’hui les effets des inégalités salariales d’une époque où les têtes d’affiche étaient d’emblée payées davantage si elles portaient la moustache.

En 2020, le revenu des femmes représentait 77 % de celui des hommes, c’est l’une des statistiques présentées dans le film.

« Il faut que les femmes exigent d’être payées ce qu’elles valent et qu’elles cessent de mépriser ce qu’elles valent », a martelé Aline Desjardins avant la grande première du documentaire. Dans la salle Alanis-Obomsawin de l’ONF, le public l’a chaudement applaudie.

À l’émission Les grands entretiens en mai dernier, Aline Desjardins a raconté à l’animateur Stéphane Leclair comment ses prises de position proavortement lui avaient valu des remontrances de la part de ses patrons à l’époque de Femme daujourdhui. « C’est une femme qui n’a pas peur de dire, qui s’indigne encore », résume Julie Blackburn.

À quoi aurait ressemblé la vie de Marie Soleil Dion, propulsée devant l’œil du jeune public il y a 15 ans avec Vrak la vie, si elle avait vécu quelques décennies plus tôt? « Moi, je suis une bonne élève. Être née à l’époque des France Castel et des Janine Sutto, j’aurais probablement juste fait ce qu’il fallait faire. » Sa reconnaissance envers les audacieuses et les battantes qui l’ont précédée s’en trouve décuplée.

Marie Soleil Dion, comédienne; Me Louise Cordeau, C.Q., présidente du Conseil du statut de la femme; Aline Desjardins, journaliste et animatrice; Julie Blackburn, réalisatrice; Marie-France Bazzo, productrice et animatrice.

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Le documentaire se conclut sur cette vaste question : qu’est-ce qu’être femme en 2023? Nous l’avons posée à l’idéatrice du projet, Me Louise Cordeau. « Être une femme, c’est être une personne qui se réalise. Que ce soit sur le plan artistique, familial, professionnel ou de l’engagement, c’est la prémisse d’une société qui considère l’égalité comme une valeur essentielle. »

En ce dernier jour de novembre 2023, cinq femmes qui se réalisent étaient assises devant nous dans la salle de projection de l’ONF. Marie-France Bazzo, Julie Blackburn, Me Louise Cordeau, Aline Desjardins et Marie Soleil Dion. Professionnellement liées, mais aussi connectées par la passation et l’admiration.

Marie-France Bazzo décrit Aline Desjardins comme sa mère spirituelle. De son côté, la réalisatrice Julie Blackburn se sent l’héritière de la patronne des productions Bazzo Bazzo, avec qui elle travaille depuis plus de 20 ans : « Sa rigueur, sa curiosité. Cette volonté de penser les choses autrement. Elle m’a élevée. » Élever les autres, c’est sans aucun doute le plus beau des héritages.

Les héritières sera diffusé en 2024 à Télé-Québec et rayonnera lors de plusieurs séances de visionnement dans divers lieux publics, culturels, communautaires, institutionnels et autres. Le documentaire sera notamment présenté au Musée de la civilisation à Québec, à Bibliothèque et Archives nationales du Québec et dans le Réseau BIBLIO du Bas-Saint-Laurent. D’autres dates et lieux seront ajoutés dans les prochaines semaines. Pour toute information sur le documentaire, y compris la programmation complète des projections, consultez la page Les héritières sur le site Web du Conseil du statut de la femme.

Visionnez la bande-annonce du documentaire Les héritières

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