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Marie-Andrée Gill : à l’instinct

La création organique

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Bandeau :Photo : © Sophie Gagnon-Bergeron

Marie-Andrée Gill est poète, autrice, animatrice de balado, professeure et tant d’autres choses encore. « Ce que je fais, c’est tellement organique, tellement intégré à ma vie, à ma personne, que c’est difficile de me définir en un seul mot. » L’écrivaine multidisciplinaire innue, autrice de Béante (2012), Frayer (2015) et Chauffer le dehors (2019), tous publiés chez La Peuplade, nous parle de son métier, de ses nombreux chapeaux, avec l’authenticité et la vulnérabilité qu’on lui connaît.

« Je ne peux pas vivre seulement en écrivant de la poésie, même si mes livres se vendent très bien. Faire plusieurs choses en littérature me permet de bien gagner ma vie : j’enseigne, je rédige pour des magazines, j’écris des scénarios… », affirme d’emblée la poète, qui travaille de chez elle, dans un village du Bas-Saguenay.

« Je suis ma propre patronne, j’ai la chance de pouvoir accepter les contrats qui me tentent, ce qui n’a pas toujours été le cas. » Elle raconte qu’elle a écrit son premier recueil par nécessité.

« C’était comme une job alimentaire. J’habitais en montagne avec trois jeunes enfants, toute seule. Je devais chauffer au bois et monter l’eau potable en traîneau jusqu’à la maison. Quelqu’un m’a alors parlé d’un programme gouvernemental d’aide à l’emploi qui s’appelle Jeunes volontaires – qui te donne l’équivalent de l’aide sociale, mais grâce auquel tu peux entreprendre un projet subventionné. J’ai décidé d’écrire de la poésie! Le projet a pris forme parce que les lettres m’intéressaient, évidemment, mais je l’ai fait d’abord pour pouvoir manger et m’occuper de ma famille. Si j’avais eu à travailler plusieurs jobines pour subvenir à mes besoins ou à ceux de mes enfants, ça aurait été beaucoup plus complexe de me lancer dans mon art. »

De fil en aiguille, sa plume a fait son chemin. Et elle en a fait son gagne-pain.

Appuyer la relève féminine

Trois recueils et de nombreux, nombreux projets plus tard, Marie-Andrée Gill se considère comme une experte dans les demandes de bourse et de subvention. « Elles sont nécessaires pour vivre de son écriture, au Québec! » Elle se fait maintenant un point d’honneur d’éduquer ses pairs à ce sujet, surtout les autrices émergentes qu’elle rencontre.

« En particulier les autochtones qui écrivent en français! Il y a des bourses conçues expressément pour elles et eux, pour amplifier leur voix. Il y a de l’argent qui dort dans les coffres. Il faut en profiter! » Cette solidarité, voire cette sororité, elle la sent dans sa communauté tissée serré d’autrices autochtones, mais pas que. « Je ne sens pas de compétition, je sens plutôt qu’on s’élève et qu’on se complète. »

Elle constate cependant sans surprise que le syndrome de l’imposteur fait aussi ses marques dans le milieu littéraire, particulièrement celui de la subvention. « J’ai été membre de certains jurys, j’ai mieux compris comment marche la machine. On remarque à quel point les femmes hésitent encore quand vient le temps de demander du financement. Les hommes poussent leurs projets, année après année, même après des refus. Les femmes, elles, ont tendance à douter. Et pourtant, elles ont tant à dire! Il faut oser lancer nos idées dans l’univers, même si nos projets peuvent changer de direction en cours de route. »

« Être une poète, une autrice, une artiste, c’est essayer de marcher sur cette mince ligne qui fait que je me sens à la bonne place.  »

Marie-Andrée Gill remarque aussi que, depuis quelques années, les sujets traditionnellement associés aux femmes, aux autrices sont plus valorisés dans le monde littéraire. « On parle plus de l’intime, de l’intériorité. On sent l’intérêt pour ce type de contenu, qui a longtemps été regardé de haut – en tout cas quand ces écrits étaient ceux d’une femme plus vulnérable. »

Elle cite Annie Ernaux qui, lors de son discours de remerciement après avoir gagné le prix Nobel de littérature, en 2022, a dit : « [La] légitimité [des femmes] à produire des œuvres n’est pas encore acquise. Il y a, en France et partout dans le monde, des intellectuels masculins pour qui les livres écrits par les femmes n’existent tout simplement pas, ils ne les citent jamais. La reconnaissance de mon travail par l’Académie suédoise constitue un signal de justice et d’espérance pour toutes les écrivaines. »

L’autrice innue se réjouit aussi de voir plus de voix de femmes autochtones dans l’univers littéraire québécois et canadien. « On n’est pas une grosse gang, mais c’est fantastique de voir ces voix s’inscrire dans la contemporanéité. »

Un militantisme incarné

L’artiste travaille sur un quatrième recueil, qui parlera d’écologie « d’une autre façon, dans l’acceptation et la gratitude, plutôt que dans l’urgence et la culpabilisation ». Elle planche aussi sur deux scénarios de film. L’un écrit de concert avec son fils Hayden Bacon et Mélanie Charbonneau, qui mettra en scène une famille innue : « la vraie affaire, de notre point de vue! ». L’autre sur les stérilisations forcées de femmes autochtones, écrit en collaboration avec Geneviève Albert et Kim O’bomsawin. Un sujet on ne peut plus poignant et d’actualité : la dernière stérilisation forcée d’une femme autochtone a été recensée au Canada… en 2019.

« Maintenant que je sais que je suis lue, j’ai envie d’assumer mon côté militant, de l’incarner davantage. Je veux passer des messages qui me tiennent à cœur à travers mon art. Encore là, ça se fait naturellement, parce que ces messages m’habitent. C’est rare que, dans le processus de création, je pense à la portée de mes écrits. Mais je sais qu’ils en ont une – quand je parle avec des lectrices, des lecteurs, je le sens. C’est de moins en moins abstrait. »

Elle souhaite maintenant voir la poésie se démocratiser, être partie prenante du quotidien des gens. « Je veux qu’on éclate le cadre! », scande la poète. Elle s’avoue chanceuse de pouvoir vivre exclusivement de son (ses!) art et de pouvoir prendre des moments de pause pour… vivre, simplement. « J’ai besoin de laisser du temps au temps, de contempler. D’aller me perdre dans le bois, de faire l’expérience de… tout! Comment écrire sur la vie si on ne la vit pas entièrement? »

« Être une poète, une autrice, une artiste, c’est essayer de marcher sur cette mince ligne qui fait que je me sens à la bonne place. Je suis comme un canal de transmission, peu importe le moyen d’expression, entre ce qui m’entoure, ce qui fait partie de moi, et le public. Ma job, finalement, c’est d’être à l’affût du monde, de ce qui s’y passe et de mon instinct. »

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