Aller directement au contenu

Julie Hlavacek-Larrondo : la tête dans les étoiles et les deux pieds sur Terre

Physicienne engagée

Date de publication :

Auteur路e :

Bandeau :Photo : © Lëa-Kim Châteauneuf (Wikimedia Commons)

« T’as pas l’air d’une physicienne! » Cette phrase, Julie Hlavacek-Larrondo l’a entendue trop souvent depuis le début de sa carrière. « On me le disait comme une blague », nuance-t-elle. Sauf que la blague cachait un fond de vérité. La professeure de physique à l’Université de Montréal sort de la norme, deux fois plutôt qu’une : elle est une femme d’origine chilienne et tchèque, dans un métier où les hommes blancs sont encore surreprésentés. Cette double différence n’arrête pas la chercheuse, qui compte bien tailler une place à celles qui viendront après elle.

Julie Hlavacek-Larrondo est habituée à sortir de la norme. Ayant grandi entourée de sa mère Lidia – une chimiste – et de sa grand-mère, toutes deux d’origine chilienne, elle a pu constater directement à quoi ressemble un parcours inhabituel.

« Lorsqu’elle était jeune, ma mère s’est fait dire que les sciences n’étaient pas pour les filles, raconte-t-elle. Elle a postulé en cachette pour obtenir une bourse qui lui permettrait d’étudier en Russie. Pour une femme célibataire, aller étudier dans un pays lointain comme la Russie, ce n’était pas vraiment permis. Mais ma mère est partie, elle a appris le russe et a vécu là-bas pendant toutes ses études. »

Lors du coup d’État chilien en 1973, Lidia quitte son pays natal pour immigrer au Canada – d’abord en Alberta, où naît sa fille Julie, puis à Montréal où cette dernière grandit. C’est en cinquième secondaire que Julie tombe amoureuse des sciences, lorsqu’elle décide de s’intéresser à la téléportation pour un projet d’expo-sciences. Une carrière est née.

Une rigueur déterminante

Sous son sourire chaleureux et son regard curieux, Julie Hlavacek-Larrondo cache une personnalité déterminée, qu’elle attribue entre autres à l’influence de sa mère, qu’elle admire beaucoup. « Elle ne m’a jamais mis de pression pour aller dans une direction ou une autre. Elle m’a simplement encouragée à faire du mieux que je pouvais. »

C’est ce qui la mène à obtenir un doctorat à l’Université de Cambridge après avoir terminé son baccalauréat et sa maîtrise en physique à l’Université de Montréal. C’est aussi cette rigueur qui lui permet de décrocher la prestigieuse bourse de recherche postdoctorale Einstein, financée par la NASA, qu’elle utilise pour étudier les trous noirs à Stanford. Un an plus tard, en 2013, c’est encore sa persévérance qui la conduit au poste de professeure de physique dans son alma mater à Montréal. Un parcours brillant, un brin intimidant.

Pourtant, la chercheuse est catégorique : elle n’est pas un génie. « Oui, j’avais de bonnes notes en science à l’école, particulièrement en mathématique, concède-t-elle. Mais dans les autres matières, je n’étais vraiment pas bonne. » Son insistance à éclairer ses faiblesses vient d’une constatation : en hissant sur un piédestal les femmes qui réussissent dans des métiers où elles sont sous-représentées, on intimide celles qui pourraient avoir envie de leur emboîter le pas.

L’identité scientifique

Justement, Julie Hlavacek-Larrondo est fermement déterminée à faire plus de place à ces personnes sous-représentées dans son domaine – des femmes, mais aussi des personnes racisées, notamment. C’est pourquoi elle fonde en 2014 le projet Parité physique, en collaboration avec le professeur Jean-François Arguin et l’étudiante Mirjam Fines-Neuschild, le premier du genre dans son université.

L’initiative s’appuie sur des données inquiétantes : alors qu’elles sont paritaires dans les classes de science au secondaire et au cégep, les jeunes femmes ne sont plus que 20 % dans les programmes scientifiques à l’université. C’est-à-dire que lorsque ces cours ne sont plus obligatoires, elles ne s’y inscrivent plus. Pourquoi?

Le problème, découvre la chercheuse, relève de ce qu’elle nomme « l’identité scientifique ». « C’est la capacité à se voir devenir physicien ou physicienne, résume-t-elle. Encore aujourd’hui, si on demande à un enfant de dessiner un scientifique, la majorité dessinera un homme blanc qui porte un sarrau avec un air un peu fou. » Un portrait qui ressemble à Albert Einstein, décédé il y a plus de 60 ans, plutôt qu’à la chercheuse qui a poursuivi son travail grâce à une bourse portant justement le nom du célèbre physicien.

Du ciel à la Terre

Au travail, Julie Hlavacek-Larrondo continue ses recherches sur le sujet qui la passionne : les trous noirs. Ceux-ci sont des objets célestes fort mystérieux, dont la gravité est si puissante qu’elle en capture même la lumière, créant dans l’espace des zones d’un noir absolu – d’où leur nom.

Théorisés depuis des décennies, les trous noirs sont officiellement reconnus depuis peu. Il a fallu attendre 2019 pour prouver leur existence hors de tout doute, ce qui a permis à la chercheuse de pousser un soupir de soulagement : l’objet d’étude auquel elle a consacré sa carrière n’est pas une chimère! Depuis, elle continue à dresser le portrait de ces objets et de leur effet sur leur milieu environnant, notamment grâce à des données obtenues par le télescope XRISM (pour X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission).

« Encore aujourd’hui, si on demande à un enfant de dessiner un scientifique, la majorité dessinera un homme blanc qui porte un sarrau avec un air un peu fou. »

Elle continue en parallèle à faire avancer la cause des femmes en science, via le projet Parité science, issu de Parité physique. Après avoir identifié le rôle de l’identité scientifique dans le choix de carrière, la chercheuse a décidé d’agir auprès de celles et ceux qui jouent un rôle majeur dans sa formation : les professeur·e·s.

L’équipe de Parité science a ainsi conçu un programme qui a été offert dans la majorité des cégeps du Québec. Les participant·e·s y découvrent 10 stratégies à ajouter à leurs méthodes éducatives pour rendre les cours de science plus accueillants. « On crée des milieux collaboratifs où tout le monde participe et construit son identité scientifique, explique-t-elle. Ça prend quelques minutes de plus, mais ça change complètement les choses. » Pour les professeur·e·s du secondaire, la formation est désormais offerte via la plateforme Cadre 21.

Julie Hlavacek-Larrondo parle avec enthousiasme de son projet qui, selon elle, peut avoir un effet majeur sur l’avenir des jeunes filles. « Un seul professeur interagit en moyenne avec une centaine d’étudiants chaque année, rappelle-t-elle. Sur une carrière, ça en fait deux mille. En offrant la formation à une seule personne, on a le potentiel d’influencer des centaines d’élèves! » Passionnée et persévérante, la professeure risque bien de faire bouger les choses à la fois sur Terre et aux quatre coins de l’univers.

Conseil du statut de la femme : L'égalité à coeur un Québec fier de ses valeurs 8 mars