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Éducation à la sexualité : de nouveaux espaces de dialogue

Une génération de sexologues mobilisée

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Priscilla Du Preez (unsplash.com)

Pour pallier le peu dattention accordée à l’éducation à la sexualité au Québec, une jeune génération de sexologues se mobilise pour favoriser des discours positifs et inclusifs sur la sexualité dans les écoles, les milieux communautaires et les médias.

Dans le balado À quoi tu jouis?, on parle de pornographie, de nouvelles formes de parentalité, de racisme sexuel, d’applications de rencontres, de masturbation ou encore de coming out. Le balado fait partie des multiples façons d’aborder la sexualité de Club Sexu, un média et un studio créatif spécialisés en sexualité positive. Club Sexu est aussi actif dans la rédaction d’articles sur la sexualité et dans l’organisation d’événements comme le DépistaFest, un festival de dépistage des ITSS (infections transmissibles sexuellement et par le sang). L’organisme a également coproduit l’expérience immersive Sexe, désirs et data, exposée au Centre Phi cet automne.

« Club Sexu est né du constat qu’une génération de jeunes adultes n’a pas eu accès à beaucoup d’information sur la sexualité, précise Sara Mathieu-C., chercheuse en santé sexuelle siégeant au conseil d’administration de Club Sexu. Les maladies transmises sexuellement, les grossesses non planifiées… : pourquoi de jeunes adultes ne sont pas au fait? C’est clairement préoccupant de réaliser que des connaissances de base ne sont pas acquises. »

Rattrapage scolaire

En 2005, le ministère de l’Éducation abolit le cours de formation personnelle et sociale – et ceux d’éducation sexuelle – pour faire plus de place aux matières de base. Depuis 2018, le gouvernement demande aux écoles secondaires de réintroduire entre 5 et 15 heures par année de contenus éducatifs sur la sexualité. Mais force est de constater que les notions acquises depuis par les élèves diffèrent grandement d’un établissement à un autre. Pour pallier cette lacune, le Ministère vient d’intégrer du contenu plus uniformisé, à la rentrée 2023-2024 dans le cadre du nouveau programme Culture et citoyenneté québécoise, qui remplace le cours Éthique et culture religieuse.

« Grâce à la Coalition ÉduSex, il y a eu beaucoup de mobilisation au cours des dernières années et plus de lobby pour l’éducation à la sexualité. Le mouvement #MoiAussi n’a pas laissé le choix, poursuit Sara Mathieu-C. Mais on reste avec un manque de formation, d’intérêt, d’aisance et de confort à nommer l’éducation à la sexualité. »

Et ce manque à gagner est grand, remarquent de jeunes sexologues. Impliquées dans des organismes communautaires, des médias réinventés comme Club Sexu ou dans les classes, elles s’efforcent de ramener ces sujets tabous sur la place publique. En particulier, elles détricotent les visions hétéronormatives de la sexualité et apportent de nouveaux discours sur la question, plus positifs et inclusifs.

Un dialogue inclusif

Mariane Gilbert, sexologue et vice-présidente de l’organisme Les 3 sex*

« Déconstruire les attentes et les idées qui existent par rapport à nos identités, le fait de vivre dans une société patriarcale, avec des biais racistes, misogynes, etc. Tout ça a une grande incidence sur la manière dont plusieurs se donnent le droit de vivre leur sexualité », observe Mariane Gilbert, sexologue et directrice administrative de l’organisme Les 3 sex*, qui lutte pour les droits sexuels et la santé sexuelle des femmes et des personnes de la diversité sexuelle.

« [L’éducation sexuelle], ça peut permettre de voir des signes avant-coureurs de violence, d’avoir un pouvoir sur soi ou sur son corps, poursuit-elle. Ça peut aider les gens à être mieux dans leur sexualité, les rendre plus à l’aise d’en parler avec leur partenaire. Plusieurs n’ont pas les outils pour communiquer émotionnellement. Il y a une certaine évolution, mais ça se passe très lentement. Parfois, j’ai l’impression qu’on avance de trois pas et qu’on recule de deux. »

Si la sexualité a été repoussée dans les marges du système d’éducation, d’autres sources d’informations – vraies ou fausses – sont venues combler le vide, comme la pornographie ou les réseaux sociaux. Un effet qui peut contribuer à la reproduction des inégalités de genre et à l’invisibilisation de portions de la population, comme les personnes de la diversité raciale, sexuelle et de genre, ou les personnes aînées, déplorent les sexologues interrogées.

« Il y a un besoin de représentation, de normalisation. L’un des plus grands mythes, c’est que les personnes aînées n’ont pas de sexualité, illustre Mariane Gilbert. On voit la hausse des ITSS chez les personnes âgées, en raison parfois d’un manque d’éducation et des changements qui se produisent en vieillissant. Par exemple, les parois vaginales vont s’amincir après la ménopause, ce qui peut augmenter le risque d’attraper une ITSS. »

« De jeunes sexologues s’efforcent de ramener ces sujets tabous sur la place publique. En particulier, elles détricotent les visions hétéronormatives de la sexualité et apportent de nouveaux discours sur la question, plus positifs et inclusifs. »

« La sexualité au Québec est très hétéronormative et blanche, les réalités queers et multiethniques très invisibilisées », renchérit Laurence Desjardins, sexologue et animatrice de nombreuses présentations sur la sexualité dans les établissements secondaires, collégiaux et universitaires. Elle est aussi coautrice du livre On SEXplique ça : comment parler de sexualité avec son ado, paru en 2021 aux Éditions de l’Homme.

« Donner une mise en situation queer, d’utiliser des prénoms multiethniques, ça permet de refléter la diversité québécoise, affirme Laurence Desjardins pour illustrer l’importance d’ouvrir le dialogue à la diversité dans toutes ses formes. Parfois, les jeunes nous demandent si [la mise en situation concerne] un gars ou une fille, et on répond : “est-ce important?” Ça amène plusieurs types de réflexions, de dialogues. »

La sexualité féminine fait également partie intégrante de l’éducation à la sexualité saine et positive, remarque Laurence Desjardins.

« On parle de la virginité comme concept social. On va parler de consentement avec enthousiasme : “es-tu juste d’accord, ou ça te fait plaisir?”. L’enjeu là-dedans, c’est la réalité de la violence à caractère sexuel. Pourquoi les filles ne disent-elles rien? Elles ont peur d’être violentées. On doit aborder la gestion des émotions et la culture masculine, et dire aux garçons : “Quand on ne fait pas ce que tu veux, comment peux-tu accepter de freiner ton envie?”. »

De la violence à la santé sexuelle, en passant par l’identité, la diversité ou l’inclusion, une panoplie d’enjeux transcendent nos connaissances, nos idées et nos dialogues sur la sexualité. Pourrait-on leur donner plus d’espace sur la place publique? Une jeune génération de sexologues le souhaite.

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