Aller directement au contenu

Où sont les hommes dans les salles de classe?

L’éducation en quête de diversité

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Kenny Eliason (unsplash.com)

Depuis quelques années, le milieu québécois de l’éducation vit une crise inquiétante et grandissante. Une récente enquête de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement révèle qu’environ 5 000 postes d’enseignant·e·s restent désespérément vacants, une augmentation de 72 % en seulement un an. Derrière cette pénurie alarmante, une question émerge : où sont les enseignants masculins?

Le paysage éducatif québécois est marqué par une sous-représentation masculine, que ce soit au primaire ou dans les services de garde, faisant de ces professions des bastions presque exclusivement féminins. Les expert·e·s s’accordent pourtant sur un impératif : viser la parité. L’objectif? Offrir non seulement des modèles masculins essentiels aux jeunes garçons en quête de représentativité, mais aussi déconstruire les stéréotypes de genre, un pas fondamental dans l’évolution de notre société.

Où sont les hommes?

Selon le recensement le plus récent de Statistique Canada (2021), les femmes représentent une écrasante majorité (96 %) des éducatrices et aides-éducatrices à la petite enfance, ainsi que des gardien·ne·s en milieu familial. Dans le domaine de l’éducation préscolaire et primaire, la proportion de femmes s’élève à 88 %, d’après les données du ministère de l’Éducation du Québec.

Hélène Bourdages, membre du Conseil du statut de la femme, compte plus de 30 ans d’expérience dans le secteur de l’éducation. En tant que directrice générale du centre de la petite enfance Les Bonheurs de Sophie, elle est en première ligne pour constater l’absence marquée d’hommes. « Je ne reçois presque jamais de candidature masculine. Pourtant, on ne dit pas aux hommes de ne pas venir. Quelque chose se passe avant même le diplôme d’études professionnelles ou l’université : les hommes ne se sentent pas appelés par ces métiers », analyse-t-elle.

En tant que présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire, elle déplore le fait que, malgré l’évidence de cette disparité au sein des milieux éducatifs, la question du déséquilibre entre les sexes n’est pas abordée lors des discussions et négociations. « On ne parle pas de la répartition entre les femmes et les hommes. C’est comme si c’était un fait que l’on accepte. »

Des stéréotypes de genre qui (dés)orientent

Hélène Bourdages, membre du Conseil

Si le nombre d’hommes dans ces professions demeure modeste, une part de la responsabilité pourrait bien incomber aux stéréotypes de genre. « Les qualités reconnues en éducation sont celles qu’on attribue davantage aux femmes, comme la bienveillance et le care », explique Hélène Bourdages.


La docteure et professeure au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi Anastasie Amboulé-Abath partage ce constat. Selon la spécialiste, la prédominance féminine dans ces domaines trouve son origine dans le rôle social historiquement attribué aux femmes. « À la naissance de l’enfant et dans ses premières années, c’est plus souvent la mère qui est omniprésente. Beaucoup de femmes y voient le rôle naturel que la société leur réserve. De leur côté, les petits garçons, dès l’enfance, enregistrent dans leur tête que le soin, l’éducation, ce sont des rôles typiquement féminins. »

Les expert·e·s admettent toutefois que depuis les dernières décennies, ces rôles genrés jadis bien définis s’effritent graduellement. Un exemple éloquent de ce changement est l’émergence du congé de paternité. Cette évolution est également perceptible aux yeux d’Hélène Bourdages, qui observe dans l’engagement croissant des pères une occasion de transmettre un récit de genre différent aux jeunes garçons. « Réussirons-nous à voir de plus en plus d’hommes assumer des rôles de soins? Ces modèles sauront-ils transmettre des valeurs de bienveillance et d’éducation aux jeunes garçons? C’est tout à fait envisageable », pense-t-elle.

Toutefois, cette réticence à embrasser ces professions ne proviendrait pas uniquement des hommes eux-mêmes, mais de la société qui parfois exprime une certaine résistance à la présence d’hommes dans des domaines traditionnellement féminins. Comme les services de garde par exemple. « L’idée que ce métier soit exclusivement féminin est solidement enracinée dans les mentalités », explique Anastasie Amboulé-Abath.

La parité, bénéfique pour tout le monde

Mais pourquoi s’inquiéter de la faible représentation masculine en éducation? Tout d’abord pour offrir aux élèves une diversité de modèles de rôle. Hélène Bourdages souligne que lorsque les enfants peuvent s’identifier à ceux qui les entourent, cela renforce leur estime de soi et élargit leurs horizons. Cette diversité de modèles ne se limite pas aux genres, elle englobe également les différentes ethnicités et cultures.

La présence d’hommes dans ces professions ouvrirait aussi de nouvelles perspectives pour les garçons. « Lorsque des femmes enseignent des matières comme les sciences et les mathématiques, cela encourage les filles à explorer ces domaines. De la même manière, si davantage d’hommes enseignent, cela peut inspirer les garçons à envisager des carrières perçues comme féminines, comme l’enseignement ou les soins de santé », explique-t-elle.

Mais pourquoi s’inquiéter de la faible représentation masculine en éducation? Tout d’abord pour offrir aux élèves une diversité de modèles de rôle.

Mais pourquoi s’inquiéter de la faible représentation masculine en éducation? Tout d’abord pour offrir aux élèves une diversité de modèles de rôle.

Ce changement de paradigme peut également avoir des effets positifs sur la vie familiale et les relations de couple. La répartition équitable des responsabilités familiales devient plus accessible lorsque les hommes ont des modèles de carrière dans des domaines dits féminins.

Le déséquilibre entre hommes et femmes dans ces professions peut également avoir des répercussions sur les résultats scolaires des garçons. « Lorsque l’école est perçue comme un environnement principalement féminin, les garçons peuvent avoir du mal à s’identifier et à s’engager pleinement dans leur éducation, ce qui peut entraîner des écarts de réussite », explique Anastasie Amboulé-Abath.

La professeure met en avant une clé essentielle pour résoudre ce déséquilibre : la déconstruction des stéréotypes de genre. Cette démarche doit commencer au sein de la famille, où même des gestes en apparence anodins, comme le choix de la couleur de la chambre, peuvent involontairement perpétuer des normes de genre. La spécialiste encourage fermement les parents à soutenir les aspirations de leurs enfants, quel que soit le métier traditionnellement associé à leur sexe.

Servir de modèle masculin

Selon Marc-André Veer, enseignant au primaire cumulant près de 30 ans d’expérience, la présence d’hommes serait hautement bénéfique pour les enfants, particulièrement les jeunes garçons. « Les hommes ont des approches parfois différentes de celles des femmes. Personnellement, j’ai une approche pédagogique avec les élèves qui répond assez facilement aux garçons qui ont des troubles du comportement. Les élèves les plus tannants, c’est avec eux que je connecte le plus facilement », explique celui qui se définit lui-même comme un « élève turbulent » lors de son passage sur les bancs d’école.

Marc-André Veer remarque qu’il y a encore très peu d’hommes dans les écoles primaires, un constat qui n’a guère évolué au cours de sa carrière. Une déception encore plus grande pour l’enseignant devant la pénurie actuelle.

« C’est très décevant de voir qu’encore très peu de jeunes hommes décident d’aller en enseignement. Au cours de ma carrière, j’ai accompagné une trentaine de stagiaires, dont seulement deux hommes. C’est dommage, parce que les enfants, les jeunes garçons spécialement, nous attendent. »

L’enseignant au primaire estime que davantage de jeunes hommes devraient envisager cette carrière et il espère que son parcours servira d’inspiration pour d’autres à briser les normes genrées et à poursuivre leur passion pour l’éducation.

Bannière 50e anniversaire CSF