Remontée tristement spectaculaire du nombre de féminicides. Popularité de discours masculinistes sur les réseaux sociaux. Retour de politiques discriminatoires. On peut facilement se sentir dans une position d’impuissance devant certaines tendances. Mais il existe aussi un autre mouvement, plus discret, trop peut-être, qui propose et espère une masculinité différente.
Certaines personnes voient la popularité des masculinistes ou les appels à la « masculinité traditionnelle » comme un ressac de la montée du féminisme des dernières années. D’autres décrivent le phénomène d’« acte de résistance » face à ce qu’ils considèrent représenter une perte de « pouvoir » des hommes dans la société.
Ce serait simpliste et dangereux de ne cibler qu’une source au problème.
La pression économique, le mythe de la réussite, l’éducation, l’influence culturelle, le manque d’accessibilité en santé mentale, l’image de la masculinité, le retour au cinéma des héros reaganiens – ces héros qui gagnent des guerres seuls en pétant des gueules –, il y a tout un lot de facteurs derrière chaque cas.
Selon Mickaël Carlier, entrepreneur social derrière l’organisme Des hommes qui changent, les discours masculinistes viennent occuper un vide créé par les hommes eux-mêmes.
Comme lui, je remarque depuis quelques mois que plusieurs hommes espèrent et attendent que des gars s’avancent sur la place publique avec de nouvelles façons de voir la masculinité, une introspection, un examen de conscience et une forme de libération.
Dans l’intimité, bien des gars sont tannés de la violence masculine, mais la prise de parole en public se fait plus discrète.
Selon Mickaël Carlier, ce n’est pas normal que ce soient des autrices qui ont le mieux mis en mots son malaise devant les dérives de la masculinité. C’est pour ça qu’il a lancé son organisme, pour créer un espace d’échange, de discussion, de conscientisation, mais aussi pour amener un moteur de changements.
Les hommes doivent s’impliquer. Arrêter d’attendre que ça vienne des autres.


Depuis quelques années, plusieurs petits groupes d’hommes se sont formés à travers le Québec, des groupes où l’on discute, réfléchit entre gars, sur le sexisme et la condition masculine; où l’on remet en cause le statu quo de la condition d’homme. Divers types de tendances se retrouvent chez ces groupes, des masculinistes aux pro-féministes et anti-sexistes. Certains se concentrent sur l’action sociale, d’autres sur les idées.
Dès la petite enfance
Même si Félix Morin, enseignant en éducation à la petite enfance au cégep de Sherbrooke, ne le revendique pas aussi clairement, sa démarche s’inscrit dans la même lignée. Un besoin de briser le moule qui enferme les hommes dans des rôles trop stricts.
Dans son balado Éducateur : un jeu d’enfant?, il essaie de comprendre pourquoi il y a si peu d’hommes dans son domaine.
Trop souvent, encore, quand un jeune homme annonce sa volonté d’étudier en éducation de la petite enfance, quelqu’un dans l’entourage fera la remarque que c’est un « métier de femme ». Commentaire qui dévalorise le travail des éducatrices, mais qui repousse aussi, selon Félix Morin, des « jeunes hommes qui auraient un talent indéniable comme éducateur et qui pourraient avoir une influence dans la vie des enfants ».
Lorsque des hommes persistent et intègrent le milieu, on s’attend à ce qu’ils soient très bons pour les activités physiques, mais moins doués pour les soins. Une vision sexiste qui dessert autant les hommes que les femmes. Tous les hommes ne tripent pas sur le sport et plusieurs ont une grande intelligence émotionnelle.
Le manque de représentativité masculine dans l’éducation à la petite enfance contribue à forger les stéréotypes de demain. « Toutes les éducatrices démontrent tous les jours comment on peut habiter le genre et le sexe féminin de manières différentes », souligne-t-il. C’est malheureusement difficile pour les jeunes de faire la même chose avec les hommes s’il n’y a pas une diversité d’hommes.
Félix a prononcé une phrase qui en dit long : « n’importe quel professeur ou éducateur peut voir à quel point les enfants dans sa classe sont différents ». Qu’est-ce qui se passe dans le processus pour que les garçons, en grandissant, se sentent poussés dans un moule? Avec le résultat qu’une fois qu’ils sont adultes, cette multitude s’efface.
Ce moule étouffe tous les hommes qui ne correspondent pas à ces attentes-là. Tous les hommes ne sont pas et ne veulent pas être « virils ». Et quand on étouffe, on développe des comportements toxiques, on nuit à sa santé mentale, on ne se sent pas à sa place, on ne s’épanouit pas.
Le pire scénario pour les hommes – et la société – serait ce fameux « retour aux racines » de la « vraie » masculinité, comme on peut entendre dans certains discours.
Les masculinistes prétendent souvent que les hommes allaient mieux avant, mais non. Lorsqu’on regarde les taux de suicide, de décrochage scolaire, d’alcoolisme, de violences conjugales, de « pères absents », ça va mieux aujourd’hui que dans les années 1980.
Ça va mieux, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Occuper l’espace

Mickaël Carlier, entrepreneur social
Récemment, dans un point de presse à Cannes, un journaliste demandait à l’acteur Javier Bardem comment il se sentait d’être le seul homme au monde à aimer travailler avec sa femme. « C’est une question de très mauvais goût », a répondu l’acteur sans hésitation, mais avec calme, aussi.
C’est la question qui revient toujours quand on parle de masculinité toxique : comment la déconstruire? En faisant comme l’acteur. En faisant comme Mickaël Carlier et comme Félix Morin. En refusant les vieux clichés, en répondant, en occupant l’espace, en proposant autre chose, en cherchant le meilleur de nous.
Il y a peut-être quelque chose d’ironique dans le fait de dire que les hommes doivent occuper l’espace, alors qu’ils ont trop souvent pris trop de place. Mais l’idée n’est pas de prendre toute la place, mais de mieux occuper l’espace qui revient aux hommes, d’utiliser cet espace plus intelligemment.
Si des propos sexistes occupent toute la place dans un vestiaire, c’est parce que les autres gars n’interviennent pas.
La masculinité n’a pas besoin de héros, elle a besoin d’humilité. De s’écouter, de se comprendre, de s’affranchir. D’écouter, aussi, les femmes, les queers, les personnes marginalisées.
Comme dans plusieurs problèmes de comportement, l’entourage a beau en parler, tant que la personne elle-même ne prend pas conscience ou ne veut pas changer, le problème risque de persister.
Les hommes ont besoin de tourner la page sur le passé et de se tourner vers un avenir meilleur. Un avenir où il y aura autant de masculinités qu’il y a d’hommes. Un avenir où tout le monde aura sa place, sans écraser personne.
