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Vieillir dans la dignité : le combat des aînées lesbiennes

Repenser nos lieux de vie

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Bandeau :Photo : © Age Cymru (unsplash.com)

Pour les aînées lesbiennes, vieillir peut devenir synonyme dun retour au placard, surtout lorsquelles entrent dans une résidence privée pour aînés (RPA) ou un centre dhébergement de soins de longue durée (CHSLD). Pour trouver des solutions contre les discriminations dans ces établissements, une communauté intentionnelle pour aînées lesbiennes sorganise à Montréal, tandis que la Fondation Émergence mise sur la sensibilisation.

« C’est un moment historique! » s’exclame Lou Lamontagne, cofondatrice du collectif de femmes aînées lesbiennes La Maison des RebElles, la voix débordant d’enthousiasme. Après neuf ans de travail acharné, un projet unique est sur le point de voir le jour dans le quartier Saint-Henri, à Montréal. Grâce au projet LoReLi, une vingtaine de logements sociaux seront destinés aux femmes aînées lesbiennes au sein d’un nouveau complexe immobilier aux abords du canal Lachine.

« On a un vécu particulier par rapport à 90 % de la population qui est hétérosexuelle, explique Lou Lamontagne. Être avec des gens qui nous ressemblent dans notre quotidien, ça permet de nous comprendre. On a les mêmes référents, on a vécu les mêmes difficultés pendant notre vie. »

« On avait d’autres préoccupations que celles d’élever une famille, poursuit-elle. Plusieurs d’entre nous sont d’anciennes militantes pour les droits des femmes. On vieillit comme on a vécu! »

Des projets d’habitation novateurs

Près du village gai à Montréal, l’Habitat Fullum réserve la moitié de ses 60 logements aux hommes homosexuels. Mais le projet LoReLi est le premier du genre accessible à toutes les femmes lesbiennes, peu importe leur revenu. Le promoteur privé a construit deux immeubles qui incluront des logements sociaux pour des femmes vulnérabilisées : des aînées lesbiennes, des femmes monoparentales et des femmes ayant vécu la violence ou l’itinérance, et qui sont en phase de stabilisation.

L’un des bâtiments accueillera également un centre de la petite enfance. Le projet LoReLi est issu d’une collaboration entre La Maison des RebElles, le centre de femmes Liber’Elles et Logifem. Il a notamment bénéficié d’un financement du Programme d’habitation abordable Québec de la Société d’habitation du Québec.

« Si les choses ont changé en 20 ans, la plupart des aînées continuent de dissimuler leur orientation sexuelle dans les RPA et les CHSLD. »

Au cours de la fin de semaine de Pâques, les 10 membres des RebElles ont présenté le projet LoReLi à une trentaine de femmes désireuses de s’y joindre. Dans ce nouvel espace de vie, les RebElles souhaitent créer une communauté intentionnelle autogérée d’entraide et de soutien. Les locataires qui ne font pas partie du collectif seront sélectionnées au cours des prochains mois. Elles pourront emménager dès l’automne.

« Je pense que c’est une bonne formule », opine la sociologue retraitée Line Chamberland, qui a dirigé la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres de l’Université du Québec à Montréal de 2011 à 2020. « Chez les lesbiennes, la sécurité émotive, le sentiment d’appartenance, l’histoire commune, ça vient surtout des amies, observe-t-elle. Cette formule de mixité me semble intéressante : elle permet à des lesbiennes de se soutenir et de s’épanouir au sein de la population générale. »

Si ce nouvel espace offre des perspectives plus lumineuses à une vingtaine de femmes, qu’en est-il pour les milliers d’aînées lesbiennes dans la province qui, bien souvent, restent dans l’ombre?

Sensibiliser à la diversité sexuelle des aîné(e)s

« Dans les RPA et les CHSLD, c’est l’invisibilité la plus totale des personnes de la diversité sexuelle et de genre », déplore Julien Rougerie, formateur pour le programme Pour que vieillir soit gai de la Fondation Émergence. À l’instar de la population générale, on estime que 10 % des résident(e)s des RPA et des CHSLD sont homosexuel(le)s. Il est prouvé que ces personnes sont généralement plus isolées, ont une moins bonne santé mentale et un accès plus réduit aux services.

« Ce 10 % ne se sent pas en sécurité de parler de son orientation sexuelle », observe Julien Rougerie. « Comme ils n’en parlent pas, les milieux ne sentent pas le besoin de s’ouvrir, ce qui confirme que ce n’est pas sécuritaire de sortir du placard. C’est un cercle vicieux. Les personnes de la communauté LGBT sont condamnées à vivre leurs dernières années de vie sans être à l’aise. »

Denise Veilleux, proche aidante, militante et partenaire du Réseau Résilience Aîné.es Montréal.

De nombreuses aînées lesbiennes ont vécu la majeure partie de leur vie en dissimulant leur orientation sexuelle. À titre d’exemple, une Québécoise homosexuelle de 75 ans avait une vingtaine d’années lorsque l’homosexualité a été décriminalisée au pays, et environ 25 ans lorsque son orientation sexuelle a cessé d’être considérée comme une maladie mentale.

« J’avais 50 ans quand le Québec a reconnu les couples de même sexe », témoigne Denise Veilleux, proche aidante, militante et partenaire du Réseau Résilience Aîné.es Montréal. Au cours de la même période, au début des années 2000, celle-ci a mené un projet de recherche doctoral sur la situation des lesbiennes vieillissantes. « Les témoignages étaient poignants : certaines lesbiennes disaient qu’elles aimeraient mieux mourir que d’aller dans une maison de retraite! »

Si les choses ont changé en 20 ans, la plupart des aînées continuent de dissimuler leur orientation sexuelle dans les RPA et les CHSLD. « Après ce vécu, c’est dur de penser que tout le monde va nous accueillir à bras ouverts », poursuit Denise Veilleux qui, à plus de 70 ans, continue de combattre activement les préjugés associés au vieillissement, aux femmes âgées et aux lesbiennes.

Détricoter l’hétéronormativité

« Une situation d’ignorance et un grand tabou entourent la sexualité des personnes aînées, constate également la sociologue Line Chamberland. Il y a cette présomption généralisée que tout le monde est hétérosexuel. Une femme âgée qui arrive avec les cheveux blancs, on ne l’associe pas à une lesbienne. »

Depuis une douzaine d’années, la Fondation Émergence propose des formations dans les établissements pour personnes âgées, et offre des outils pour briser les préjugés et créer des milieux plus inclusifs. Parmi les milliers de résidences approchées, seul un petit nombre ont accepté la formation. L’important roulement de personnel est également un défi pour une sensibilisation qui porte des fruits.

Selon Julien Rougerie et Line Chamberland, des petits gestes peuvent complètement changer les choses pour que les aînées baissent leur vigilance et se sentent accueillies dans les résidences sans craindre, par exemple, de laisser une photo de leur partenaire sur leur table de chevet. Les établissements peuvent porter attention au langage genré, demander à une nouvelle résidente si elle a un(e) partenaire plutôt qu’un mari, démontrer qu’ils sont des milieux sécuritaires, qu’ils ont signé la Charte de la bientraitance envers les personnes aînées lesbiennes, gaies, bisexuelles et trans, etc.

« On veut vieillir dans la dignité, dans un environnement soutenant et sécuritaire, insiste Lou Lamontagne. On espère que le projet LoReLi fera des petits; le besoin est énorme partout. »