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Vieillir femme, vivre de son temps

Le paradoxe des âges

Auteur路e :Sébastien Boulanger

Bandeau :Illustration : © Nadia Morin

Révision linguistique :Révision linguistique : Bla bla rédaction

En 2022, le Québec comptait 1,81 million de personnes âgées de 65 ans et plus. En majorité des femmes, à plus de 53 %. Cette proportion grimpe à 64 % chez les 85 ans et plus et à 77 % chez les centenaires. Ces chiffres, tirés du Portrait des femmes aînées au Québec de l’Institut de la statistique du Québec, révèlent par ailleurs sans surprise une surreprésentation des femmes chez les personnes aînées à faible revenu. Si l’écart d’espérance de vie entre les femmes et les hommes tend à diminuer, la longévité globale des Québécois(e)s, elle, progresse. Malgré une contribution collective exceptionnelle et une représentation démographique croissante, les femmes aînées frappent le mur de la marginalisation et de l’invisibilité sociale. Plus encore, devant l’âgisme, les injonctions multiples à vieillir jeune et les appels à l’authenticité, vieillir femme de manière assumée relève du défi à l’ombre de ces paradoxes inébranlables. Qu’en dit la perspective féministe?

De toutes les prescriptions faites aux femmes, vieillir jeune et le conformisme corporel s’affirment en absolus. Le vieillissement plonge les femmes au cœur de vastes sophismes : « […] la société (c’est-à-dire nous tous) n’est pas à une contradiction près. Elle vieillit, mais vénère une jeunesse qui lui ressemble de moins en moins. Elle nous enjoint à nous accepter telles que nous sommes mais aussi, à rentrer dans la norme. Elle prie les femmes de ne pas tricher, de se montrer authentiques, mais elle survalorise celles qui savent rester minces, jolies et paraître jeunes ». Ces mots de la romancière Marie Charrel (Qui a peur des vieilles?) constituent l’assise d’une réflexion réjouissante de la journaliste Elisabeth Massicolli, une féministe… qui prend de l’âge!

Pour les Québécoises de tous âges, une rupture amoureuse peut rimer avec une précarité nouvelle, et avoir une incidence financière importante à la retraite. Au-delà d’un système de retraite qui perpétue les inégalités et du cadre juridique actuel autour de l’union de fait, l’épargne des conjoint(e)s est rarement mise en commun. Un écueil matériel assurément majeur à la suite d’une rupture. La journaliste Adèle Surprenant déconstruit cette mécanique des inégalités pour les femmes, et invite à repenser la solidarité au sein du couple et de la collectivité.

Chez les femmes aînées lesbiennes, vieillir dans la dignité est intimement lié à la bienveillance du chez-soi. Pour plusieurs en effet, l’entrée dans une résidence privée pour aînés (RPA) ou un centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) est synonyme d’un retour au placard. À Montréal, des communautés s’organisent pour créer des logements sociaux accueillants, inclusifs et sécuritaires pour les femmes aînées lesbiennes. Miriane Demers-Lemay discute de projets d’habitation novateurs et de la nécessité de sensibiliser à la diversité sexuelle des aîné(e)s. Parole à des femmes engagées… qui repensent nos lieux de vie!

Alexia Lehouillier-Berthiaume est une militante pour le climat, un engagement de tous les instants. À 17 ans, elle souhaite consacrer ses prochaines années à militer pour freiner les changements climatiques et bâtir un monde meilleur. Entre être et vieillir, Alexia ouvre aujourd’hui toute grande sa perspective sur ces notions qui nous rassemblent. « La société aurait tout à gagner à ce que plus de femmes âgées investissent l’espace public et qu’on soit bienveillant(e)s envers elles. Côtoyer des femmes aînées est important pour se rappeler les combats féministes des dernières décennies, pour se souvenir des acquis. »

Au Québec, les femmes sont majoritaires à accompagner les personnes aînées, parfois jusqu’à la fin. Elles sont mères, grands-mères, travailleuses, proches aidantes, infirmières, préposées aux bénéficiaires… Un cumul des rôles qui, aussi valorisant soit-il, représente une charge mentale et physique énorme, en plus d’accentuer le fossé de l’inégalité économique entre les femmes et les hommes. Une solution? La collectivisation de la prise en charge des personnes aînées. Parce que le prendre soin est l’affaire de toutes… et tous. Un texte éclairant de Mélina Nantel.

À Taïwan, de nombreuses travailleuses migrantes d’Asie du Sud-Est sont embauchées pour accompagner les aîné(e)s en perte d’autonomie. Elles seraient plus de 200 000, en grande majorité des Indonésiennes et des Philippines. Basé à Taïwan, le journaliste Rémy Bourdillon explique : « Sur l’île asiatique, les résidences pour personnes âgées sont rares : la culture chinoise veut que les enfants prennent soin de leurs parents vieillissants. Une tâche qui devient trop lourde pour eux, dans une société aux prises avec un vieillissement accéléré et une chute de la natalité. » Agences de placement, salaires sous le seuil minimum, injustices quotidiennes, l’exploitation guette cependant ces travailleuses essentielles, coincées dans les rouages d’un système souvent abusif.

Enfin, depuis plus de 60 ans, la comédienne Michèle Deslauriers connaît une grande carrière, multipliant les rôles tant sur scène qu’à l’écran. L’artiste, qui a aussi signé plusieurs productions théâtrales comme metteuse en scène, collabore depuis 15 ans à la populaire émission À la semaine prochaine sur les ondes d’ICI Première. « Je suis féministe parce que c’est un droit et un devoir de nous faire respecter. Pour notre survie, notre épanouissement et notre liberté d’être humain. » Michèle Deslauriers nous parle aujourd’hui d’égalité… et du droit de vieillir.

Bonne lecture!