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Retraite des femmes : quand séparation devient précarité

Concevoir une solidarité nouvelle

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Bandeau :Photo : © Elle Cartier (unsplash.com)

Pour les femmes au Québec, rupture amoureuse et retraite confortable ne font pas bon ménage. En cause, les inégalités de revenu persistantes entre femmes et hommes, le tabou de la mise en commun de l’épargne et le cadre légal régissant les unions libres.

Que ce soit en frais d’avocat ou de déménagement, force est d’admettre qu’une rupture amoureuse coûte cher.

Afin d’absorber le choc, les ex-conjoint(e)s grugent dans leurs économies, et ont souvent même recours à l’endettement. Les conséquences financières d’une rupture se font par ailleurs sentir bien après le deuil sentimental, jusque dans les revenus à la retraite. Du côté des femmes, elles peuvent être désastreuses.

À l’échelle de la province, l’écart de revenu médian après impôt entre les femmes et les hommes était en 2020 de 27 % chez les 45 à 64 ans et de 25 % à partir de 65 ans, selon les données recueillies dans le mémoire du Conseil du statut de la femme déposé dans le cadre de la consultation publique sur le Régime de rentes du Québec (2023).

Deux poids, deux mesures

Ruth Rose, économiste

Au moment de la vie active comme durant la retraite, l’écart de revenu entre les femmes et les hommes a peu diminué depuis que l’économiste Ruth Rose a commencé à travailler sur le sujet, dans les années 1980.

Les conséquences d’une rupture amoureuse sur la retraite non plus, puisque la séparation continue à « exposer les femmes à la pauvreté », constate la professeure à l’Université du Québec à Montréal, aujourd’hui elle-même retraitée.

« La protection des femmes pendant la retraite, c’est comme durant la vie active : avoir un conjoint », poursuit-elle, avec une ironie équivalente à sa nuance.

Car le mariage, précise-t-elle, garantit une certaine protection aux femmes au moment du divorce. Contrairement à l’union libre, le mariage comprend la notion de patrimoine familial, prévoyant automatiquement, en cas de rupture, la séparation en deux des biens et des épargnes accumulés durant la vie de couple.

Idem lors du décès du conjoint, aussi considéré comme une rupture d’union, explique Ruth Rose. « Si vous êtes en union de fait et qu’il n’y a pas de testament, vous n’avez pas de droit dans la succession de votre ex-conjoint. » Seule bonne nouvelle : le mariage n’est pas un prérequis pour toucher la rente de conjoint survivant du Régime de rentes du Québec.

À ce double standard, l’économiste appelle à répondre par une modification du cadre juridique et à donner systématiquement aux femmes, dans une union libre, les mêmes droits qu’aux hommes, « comme c’est le cas dans toutes les autres provinces », lâche-t-elle. C’est pourtant au Québec que sont enregistrées le plus d’unions libres au pays, soit 42 % en 2021, selon les données de l’Institut de la statistique du Québec.

Mécanique des inégalités

La rupture amoureuse a pour effet « d’exposer et de rendre très claires des inégalités qui, dans les faits, se construisent beaucoup dans l’histoire de vie du couple », soutient Maude Pugliese, professeure agrégée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et directrice de l’Observatoire des réalités familiales du Québec.

L’épargne, notamment, est très rarement mise en commun, qu’il y ait un écart de revenu important entre les conjoints ou non. Mettre de l’argent de côté est pourtant beaucoup plus difficile pour les femmes, du fait des interruptions et des diminutions du temps de travail en marge des grossesses, détaille Maude Pugliese. Les cotisations au Régime enregistré d’épargne-retraite (REER), par exemple, sont mises à l’arrêt lors des congés de maternité.

« Un angle mort de la vie économique des conjoint(e)s », souligne sa collègue de l’INRS et titulaire de la Chaire argent, inégalités et société de la Chambre de la sécurité financière, Hélène Belleau. Même si, selon un sondage réalisé par la chercheuse, les couples en union libre affirment fonctionner selon un régime de revenu familial et partager les dépenses équitablement, seulement un quart de ces couples mutualisent l’épargne.

« Des questionnements sont nécessaires sur la manière dont notre société traite la séparation. Est-ce que c’est un risque social contre lequel on aimerait se prémunir plutôt collectivement? »

– Maude Pugliese, professeure agrégée à l’INRS

De plus, « le coût de la vie familiale repose beaucoup sur les épaules des femmes », ajoute-t-elle. La mécanique est simple : à partir du premier congé de maternité, « les femmes vont commencer à faire plus de courses, vont s’occuper plus des dépenses de vêtements, de nourriture… Les hommes augmentent statistiquement leur temps de travail, ont un meilleur crédit, et donc vont acheter de gros morceaux », comme la propriété, la voiture, ou encore le mobilier. « Le problème, c’est que toutes nos mesures sociales, et même la fiscalité, sont basées sur l’idée qu’il y a un revenu familial », déplore Hélène Belleau.

Après la rupture, les femmes se retrouvent donc « mécaniquement » avec moins d’actifs que leurs ex-conjoints. Le hic : les revenus de placement des femmes représentaient 41,8 % de leurs sources de revenus à la retraite en 2020.

Repenser la solidarité

D’après Maude Pugliese, « des questionnements sont nécessaires sur la manière dont notre société traite la séparation. Est-ce que c’est un risque social contre lequel on aimerait se prémunir plutôt collectivement? », s’interroge-t-elle, faisant le parallèle avec un mécanisme de protection comme l’assurance-emploi.

Si les revenus à la retraite sont pris en charge par l’État, le système fonctionne à deux vitesses. Les femmes en sortent perdantes, à plus forte raison si elles sont immigrantes, « entrent plus tardivement sur le marché du travail et occupent des emplois pour lesquelles elles sont surqualifiées » et donc sous-payées, renchérit Hélène Belleau.

Des initiatives pour pallier les inégalités de genre dans le système des retraites au Québec existent déjà, comme le Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes (RRGCF). Celui-ci offre, depuis 2008, un régime à prestations déterminées, plus avantageux pour les femmes.

Mais pour réellement mettre fin à ces inégalités dans le système des retraites, décuplées à la suite d’une ou plusieurs ruptures amoureuses, il faudrait « considérer l’épargne comme une dépense à assumer à deux » et assurer « une meilleure reconnaissance des années où la femme prend plus en charge la vie familiale », croit Hélène Belleau. En définitive, repenser la solidarité au sein du couple et de nos collectivités.

Le ministre de la Justice du Québec Simon Jolin-Barrette a déposé récemment le projet de loi no 56, Loi portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale (PDF). L’initiative vise notamment à encadrer les unions libres avec enfants en cas de séparation des conjoint(e)s en union parentale.