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La diplomatie féministe, une résonance mondiale

L’outil de paix d’une génération nouvelle?

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Bandeau :Photo : © Úrsula Madariaga (canva.com)

En 2014, la dénomination était nouvelle, même si les valeurs et lapproche n’étaient pas étrangères à la Scandinavie. Il y a 10 ans, le gouvernement social-démocrate suédois annonçait mettre en place une politique étrangère féministe, la première au monde. Depuis, une douzaine de pays lont imité, dont le Canada (2017) et la France (2019). Ses contours restent flous et sa définition est toujours à écrire, mais sa résonance, elle, est claire.

« Ça a créé une onde de choc parce que personne ne savait ce que ça voulait dire », se rappelle la politologue suédoise Ann Towns, professeure à l’université de Göteborg.

En 2014, la chef de la diplomatie suédoise, Margot Wallström, provoque la surprise en lançant sa politique étrangère féministe. Elle souhaitait mettre la promotion de l’égalité des genres au cœur de ses politiques, même si cela risquait d’ébranler certains vis-à-vis. Il était temps d’être brave pour « s’opposer à la subordination systémique et mondiale des femmes », disait-elle au New Yorker en 2015, en pleine crise diplomatique avec l’Arabie saoudite.

Le but d’une politique étrangère féministe n’est pas de s’entendre avec tous les régimes, résume Laurence Deschamps-Laporte, directrice scientifique du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM). Jocelyne Adriant-Mebtoul abonde dans le même sens. Celle qui siège au Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE), l’instance indépendante chargée de conseiller le gouvernement français, estime qu’il est parfois nécessaire de jouer du coude pour faire avancer l’égalité.

Margot Wallström a donc bataillé, avec l’appui indéfectible de son premier ministre, Stefan Löfven. Ce dernier était arrivé à la tête du pays en déclarant que son gouvernement serait féministe et qu’il allait « lutter contre les rôles et les structures genrés qui empêchent les gens d’aller de l’avant ». Transposé à l’étranger, c’est devenu la diplomatie féministe.

Plus qu’une étiquette, moins qu’une révolution

Ann Towns, professeure à l’université de Göteborg

Ce sont juste des mots, ont critiqué plusieurs. Jocelyne Adriant-Mebtoul rétorque que « les mots font les choses » et que c’est en normalisant l’utilisation du terme féminisme qu’on arrivera à le dédiaboliser.

Stockholm a par la suite étayé ses ambitions internationales dans plusieurs documents. Il était notamment question de coopération inclusive, de lutte contre les violences sexuelles et de la participation politique des femmes. Stockholm souhaitait les voir plus nombreuses autour des tables de négociation des accords de paix, lors de la signature d’ententes commerciales ou encore dans les ambassades.

En 2023, avec deux autres chercheuses, Ann Towns a évalué les effets tangibles de la politique étrangère suédoise féministe. Le titre de leur rapport : Plus qu’une étiquette, moins qu’une révolution.

Suivant l’adoption de la diplomatie féministe, les activités et programmes des agences suédoises visant l’égalité se sont multipliés. C’est donc plus que du marketing, concluent-elles, mais la mise en œuvre de la diplomatie suédoise féministe est restée incomplète et inégale, notamment en raison de la grande latitude laissée aux acteurs et actrices sur le terrain.

Au milieu des années 2010, les détracteurs de la politique étrangère féministe suédoise ont dénoncé une forme de néo-impérialisme nordique. Puis, des pays du sud comme le Mexique, la Colombie ou la Libye ont adopté le concept, en se l’appropriant. Mais l’effet domino a d’abord été ressenti au sein du G7.

Problème ou solution?

En 2017, le gouvernement de Justin Trudeau a lancé sa politique d’aide internationale féministe, proposant une version plus ciblée que la Suède. Autrement dit, Ottawa ratissait moins large que Stockholm, focalisant son action uniquement sur le développement international.

Depuis, plusieurs ministres des Affaires étrangères ont utilisé le terme plus englobant de politique étrangère féministe, comme Mélanie Joly dans ce message envoyé sur Twitter (aujourd’hui X) en mai 2022. « La politique étrangère féministe n’est pas une marque ou une étiquette, c’est une perspective que nous devons appliquer afin de soutenir l’égalité des sexes, la paix et la prospérité dans le monde. »

Dans un article paru en 2020 dans la revue International Studies Perspectives, la chercheuse Jennifer Thomson concluait, après étude des lignes directrices canadiennes et suédoises, que la Suède considère l’inégalité entre les hommes et les femmes comme le problème et la politique étrangère féministe comme la solution. De son côté, le Canada estime que la pauvreté est le problème et l’égalité des sexes la solution.

«  La politique étrangère féministe constitue une arme de paix, un outil qu’il faut conserver à portée de main. »

– Jocelyne Adriant-Mebtoul

Il aurait été difficile d’inclure dans cette analyse comparée la politique étrangère féministe française, puisque depuis son adoption en 2019, Paris ne s’est doté ni de définition ni de cadre conceptuel. La France n’est pas seule, plusieurs nations ont déclaré adopter une diplomatie féministe, sans élaborer de guide pratique sur le sujet.

Le HCE, qui recommandait au gouvernement de définir, d’assumer et de financer sa politique étrangère féministe, lui a proposé cette définition en 2020 : « La diplomatie féministe est la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure […] »

Faites ce que je dis, pas ce que je fais

C’est ce même Haut Conseil à l’Égalité qui vient de sonner l’alarme en démontrant dans un rapport, présenté en janvier dernier au président Emmanuel Macron, que la société française demeure très sexiste dans toutes ses sphères.

Or, avant de mener une politique extérieure féministe, faut-il d’abord être un modèle à la maison? Évidemment, ces pays ont un devoir d’exemplarité, reconnaît Jocelyne Adriant-Mebtoul. « Mais si on attend d’être parfaits à la maison pour agir, on n’avancera pas. »

Par contre, pour lancer le bal en 2014, il fallait jouir d’une réputation bien assise. La Suède, grande championne de l’égalité, était assurément la bonne joueuse pour mettre le ballon sur le terrain. Mais huit ans après avoir donné le coup d’envoi, la première étoile a décidé d’abandonner la partie.

Plus gros que la Suède

Tobias Billström n’a pas attendu longtemps. Dès son entrée en poste en 2022, lors de sa première journée à la tête des Affaires étrangères, le ministre a expliqué que la Suède abandonnait le concept de diplomatie féministe. Selon lui, « les étiquettes ont une fâcheuse tendance à l’emporter sur le fond ». Le nouveau ministre assurait par ailleurs que l’égalité des genres allait rester une valeur fondamentale pour son gouvernement, plus à droite que le précédent.

« Stockholm a lancé un mouvement international qui est plus gros que la Suède et qui ne s’arrêtera pas parce que le gouvernement a décidé de changer les termes », analyse Ann Towns. Selon l’experte, cet effet d’entraînement observable partout sur la planète constitue le plus grand succès de la politique suédoise.

Même si elle partage cet optimisme, Jocelyne Adriant-Mebtoul appelle tout de même à la vigilance, car elle considère que la politique étrangère féministe constitue une arme de paix, un outil qu’il faut conserver à portée de main.

La directrice du CÉRIUM se réjouit qu’on en débatte, qu’on parle de diplomatie féministe, c’est déjà un gain selon Laurence Deschamps-Laporte. Pour le reste, elle soutient que le féminisme pourrait aider à repenser les dynamiques de pouvoir dans les instances multilatérales, et que les seules limites sont celles de nos imaginations.