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Au Sénégal, des solutions innovantes pour contrer la précarité menstruelle

Une entreprise sociale aux idées plein la tête!

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Bandeau :Photo : © Šárka Hyková (unsplash.com)

Pour briser le tabou persistant autour des menstruations au Sénégal, l’entreprise solidaire ApiAfrique propose depuis sept ans des produits d’hygiène menstruelle réutilisables. Une activité qui s’accompagne d’un fort engagement dans la lutte contre la précarité menstruelle, grâce à des solutions innovantes pour informer et sensibiliser sur la question des règles.

Le collège de la Somone, un village situé à 77 km au sud de Dakar, accueille pour la première fois une intervention particulière ce jeudi matin. Quatre-vingts élèves de sixième année, des filles et garçons de 11 à 14 ans, sont réuni·e·s pour échanger autour des menstruations. Pour la majorité de ces jeunes, c’est une première.

À l’évocation du mot règles, les rires étouffés traduisent leur gêne. Pour détendre l’atmosphère, Marina Gning, cofondatrice de l’entreprise ApiAfrique à l’origine de ces rencontres, lance deux épisodes de la websérie WeerWi (la lune/le mois, en wolof). À l’écran, une écolière victime de moqueries de la part des garçons à cause de ses règles.

Dans un vocabulaire simple, Marina interroge les jeunes maintenant attentifs : « Quand on vous dit règles, à quoi pensez-vous? » « Mal au ventre, fièvre, courbatures, fatigue, tache… », les qualificatifs sont lâchés… tous négatifs. Une vision qui contribue à faire des menstruations un tabou et qui, alimentée par des idées reçues, par manque de connaissances et sous l’effet des freins culturels, continue d’affecter la vie de milliers de jeunes filles et femmes au Sénégal.

Un tabou persistant

Marina Gning, cofondatrice d’ApiAfrique

Si les menstruations sont abordées en classe de quatrième année, en même temps que la reproduction, Marina Gning estime qu’il est nécessaire d’informer en amont, « puisque bien souvent, les jeunes filles ont leurs premières règles dès la sixième année ».

« Notre discours s’adapte à toutes les tranches d’âge. Nous abordons uniquement les menstruations, ce qui se passe dans le corps et comment agir. On ne discute pas de reproduction », assure-t-elle au directeur du collège, Babacar Diaw. Associé à la sexualité, le sujet se heurte souvent aux réticences culturelles, un obstacle important à la discussion.

« Ma maman m’a dit que dès qu’une fille a ses règles, elle doit éviter les garçons », rapporte ainsi Aïssatou, 13 ans. Une interdiction rarement suivie d’explications sur le changement physique en cours ou sur la façon d’y faire face.

Selon une étude menée en banlieue de Dakar en juillet 2017, 84 % des jeunes filles ne sont pas préparées à accueillir sereinement leurs premières règles. Plusieurs Sénégalaises utilisent ainsi des morceaux de linge ou des couches pour bébé comme protection tandis que d’autres n’osent pas acheter de serviettes hygiéniques à l’épicerie par embarras. Les fausses informations sont aussi légion, comme le mythe selon lequel une fille réglée peut tomber enceinte si un garçon la touche à l’épaule. « Il est nécessaire que les jeunes filles aient accès à la bonne information, cela peut les aider à éviter le stress, les maladies et même les grossesses précoces », se félicite Babacar Diaw.

« Toutes les femmes ont leurs règles. C’est naturel et positif, c’est signe de bonne santé », rassure Marina Gning avant d’expliquer les causes de ce phénomène, soulignant qu’il s’agit « d’un sang propre ». En plus de lever les idées reçues et d’aider les filles à connaître leur corps, la sensibilisation s’adresse aussi aux garçons pour qu’ils deviennent de meilleurs amis, frères puis pères. « Il ne faut pas se moquer des filles pendant leurs règles, mais au contraire les aider », répète-t-elle à ces préados, qu’elle invite à diffuser l’information dans leur entourage.

Pour faciliter l’échange, Marina Gning poursuit l’intervention, maintenant réservée aux filles. Chacune reçoit un livret d’informations Weerwi où elles peuvent noter leur cycle menstruel. Puis Marina leur montre plusieurs types de protections périodiques : serviette jetable (moyen le plus utilisé au Sénégal), tampon, serviette réutilisable et culotte menstruelle, deux produits fabriqués par ApiAfrique. Signe de l’intérêt, les questions fusent : « pourquoi a-t-on mal au ventre? », « combien coûte la culotte? »…

Des solutions innovantes

« On a l’habitude que ce soit tabou, mais les gens ont envie d’en parler. Il y a un voile à soulever », explique Marina Gning, qui se souvient d’une discussion avec des femmes sénégalaises sur les menstruations. « Les femmes étaient très intéressées par les serviettes hygiéniques lavables et par notre prototype. On s’est rendu compte qu’il y avait un vrai sujet », se remémore-t-elle.

ApiAfrique est créée en 2016 au Sénégal par Marina et Abdoulaye Gning, son mari. Alors que l’entreprise sociale produit des couches lavables pour enfants, le couple franco-sénégalais décide ainsi de fabriquer des serviettes hygiéniques réutilisables. Cette solution innovante, écologique et économique – le produit dure environ trois ans – est un moyen de lutte efficace contre la précarité menstruelle, qui touche encore trop de Sénégalaises.

« On a l’habitude que ce soit tabou, mais les gens ont envie d’en parler. Il y a un voile à soulever. »

– Marina Gning

Mais « devant l’ampleur du manque d’information sur les menstruations, ce n’était pas possible de proposer ces produits sans sensibiliser les femmes », confie la cofondatrice. Avec Yaay, une communauté de mamans sénégalaises connectées, elle lance en 2017 le programme Changeons les règles grâce à une page Facebook et un centre d’appels pour répondre aux nombreuses questions des femmes à l’intention des jeunes de 10 à 15 ans.

Depuis 2017, ApiAfrique intervient, uniquement à la demande, dans les établissements scolaires, clubs de sports, ou auprès d’entrepreneuses notamment. En fonction des partenariats noués, des produits d’hygiène menstruelle sont aussi distribués. « Notre but serait d’offrir chaque année des protections à toutes les filles qui entrent en sixième année au Sénégal, ce qui équivaut à 100 000 filles. Dans l’idéal, il faudrait que les filles de sixième et de troisième année soient équipées chaque année », souhaite Marina Gning. En 2023, entre 20 000 et 30 000 serviettes et culottes menstruelles ont été distribuées.

En 2021, grâce à l’appel à projets de la Fondation Botnar et avec l’appui d’un consortium de quatre entreprises numériques implantées au Sénégal, ApiAfrique lance l’application mobile Weerwi. Destinée aux 15 à 25 ans et disponible en français et en anglais, l’application permet notamment de suivre son cycle menstruel et propose des informations fiables sur les menstruations grâce à des articles et à des jeux. Les utilisatrices peuvent également échanger avec des conseillères au téléphone ou par écrit. Utilisée au Sénégal, la plateforme plaît aussi à la diaspora en France et attire la communauté afro-descendante au Québec.

Des idées plein la tête et toujours à la recherche d’approches éducatives originales, le couple fondateur d’ApiAfrique, Marina et Abdoulaye, poursuit sa mission pour mettre fin à la précarité mensuelle au Sénégal!