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Au Bénin, les entrepreneures au front contre la crise alimentaire

L’autonomisation, une clé maîtresse

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Pascal Mayeur (unsplash.com)

Linsécurité alimentaire saggrave sur le continent africain. Les effets de la crise climatique se multiplient, et la guerre en Ukraine entrave les exportations de céréales. Face à ces nouveaux défis, des femmes béninoises sorganisent pour assurer lautonomie alimentaire de leur région, repoussant du même coup les barrières à leur émancipation.

Pieds nus dans la terre, Yvette Akakpo marche à travers sa plantation et ouvre des valves. L’eau souterraine remonte dans un réseau de tuyaux percés de petits trous, un système d’arrosage artisanal qui permet d’irriguer les petites pousses vertes au sol. Sur trois hectares, Yvette cultive une multitude de fruits et de légumes. Dans des enclos, elle élève des chèvres, des poules, des pintades et des pigeons. Une petite parcelle est même consacrée à l’expérimentation scientifique, grâce à un partenariat avec une université régionale. À bout de bras, elle exploite ce luxuriant petit lopin de terre. Seule.

« On me surnomme toujours “Amazone”, parce que je suis une femme, mais que je travaille comme un homme, dit-elle sur un ton humble, en référence aux légendaires guerrières de l’ancien royaume africain du Dahomey, situé dans l’actuel Bénin. Quand on travaille, on est indépendantes, on n’attend pas le mari avant de manger ou de combler ses besoins. »

Mère de famille monoparentale de trois enfants, Yvette fournit aussi une panoplie de fruits et légumes aux marchés locaux de la ville de Comé. Elle permet ainsi à d’autres femmes de gagner un revenu en vendant ses produits sur les marchés.

Émanciper les femmes et les communautés

Clémence Dossougouin, entrepreneure

À quelques kilomètres de là, entre les palmiers qui entourent le lac Ahémé, Clémence Dossougouin crée des farines enrichies, conçues pour répondre à tous les besoins nutritionnels des poupons, des enfants et des adultes. Les farines contiennent une panoplie d’ingrédients, comme de la farine de banane plantain, de baobab, de carottes et de moringa.

« L’idée, c’était de permettre à celles et à ceux qui n’avaient pas de grands moyens de pouvoir consommer des repas complets chaque jour, explique-t-elle, le sourire aux lèvres. Clémence a entrepris ce projet après avoir tenté de soigner sa carence en magnésium en incluant à sa diète l’amarante, une plante riche en ce minéral, puis en créant des farines enrichies pour ses enfants. Devant l’enthousiasme de son entourage, elle a commencé à vendre sa farine, principalement à d’autres mères soucieuses de l’alimentation de leurs enfants.

« L’autonomisation économique des femmes contribue à accroître la sécurité alimentaire du ménage et de la communauté, observe Christine Simonnet, chargée de projets internationaux à la Fondation Paul Gérin-Lajoie, énonçant de nombreuses études sur le sujet. On fait souvent le lien avec l’insécurité alimentaire, l’éducation insuffisante, un médiocre état de santé et une pauvreté intergénérationnelle. Quand des familles n’ont pas suffisamment à manger, les répercussions sont très importantes et sur plusieurs plans. »

Traditionnellement, au Bénin, les hommes travaillent tandis que les femmes restent au foyer. Mais la conjoncture met énormément de pression sur cette répartition genrée des tâches. Les perturbations dans les exportations de denrées de base et d’engrais en provenance de la Russie et de l’Ukraine ont aggravé l’insécurité alimentaire dans le pays. Le Bénin est aussi frappé par les effets des changements climatiques et le ralentissement économique lié à la pandémie de COVID-19.

Par conséquent, les ménages béninois ont de plus en plus de difficultés à vivre avec un seul revenu. Les Béninoises comme Yvette et Clémence sont plus nombreuses à s’engager dans des activités productrices de revenus, dans une économie nationale dominée par le secteur informel. Mais dans ces nouvelles difficultés se trouve aussi une nouvelle occasion pour les femmes : celle de s’émanciper.

Miser sur l’entrepreneuriat au féminin

« La vie d’une femme entrepreneure béninoise, ce n’est pas facile. Il faut avoir du courage et il faut se relever après être tombé, observe Reine Bossa, directrice de l’ONG béninoise APRETECTRA (Association des personnes rénovatrices de technologies traditionnelles). Il faut que ces femmes arrivent à concilier leur vie de famille avec leurs activités. Elles ont besoin d’équipement adéquat et de certaines formations, mais aussi qu’on les aide et qu’on leur donne de la motivation pour aller de l’avant. »

Dans ces nouvelles difficultés se trouve aussi une nouvelle opportunité pour les femmes : celle de s’émanciper.

En collaboration avec le Réseau d’appui aux initiatives locales (ONG RAIL), l’organisme APRETECTRA accompagne les femmes entrepreneures dans le cadre de l’Initiative pour la co-construction d’un savoir commun Sud-Sud et Sud-Nord sur l’entrepreneuriat féminin (ISEF). Ce projet, réalisé grâce au soutien de la Fondation Paul Gérin-Lajoie et du ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, vise notamment à abattre les obstacles structurels auxquels font face les femmes entrepreneures en Afrique.

Jusqu’en 2024, plus de 700 bénéficiaires du projet ISEF sont formées en entrepreneuriat et reçoivent du matériel et des équipements pour répondre à leurs besoins. Les ONG donnent des formations sur des thématiques comme la gestion comptable et financière, le marketing numérique, l’élaboration de plans d’affaires ou encore la masculinité positive. De fait, si les Béninoises intègrent davantage le marché du travail, elles continuent souvent d’avoir la charge de l’ensemble des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. D’où l’importance d’agir au sein du couple pour favoriser la conciliation entre le travail et la famille.

« Parce que nous sommes dans une société patriarcale, lorsque la femme n’apporte pas l’argent dans le foyer, tout ce qu’elle fait n’est pas valorisé, observe Eric Prosper Dossa, directeur de l’ONG RAIL, basée à Porto-Novo. Si elle apporte quelque chose, le mari respecte davantage la femme. Nous avons des femmes de plus en plus jeunes qui ont compris que sans le pouvoir financier, elles ne peuvent pas s’épanouir et être résilientes face aux inégalités. »

Malgré les défis, des femmes de volonté comme Yvette et Clémence continuent de porter à bout de bras des projets pour nourrir leur communauté. Dans l’ombre, elles défient les normes et inspirent de nouvelles générations. Et pour lutter contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire, plusieurs décident enfin de miser sur elles.

* Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse de journalisme indépendant de la Fondation Paul Gérin-Lajoie.