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Au Japon, une mairesse à vélo

Satoko Kishimoto, engagée pour le climat

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Jules Morel (unsplash.com)

En juin dernier, Satoko Kishimoto a été élue mairesse de Suginami, l’un des 23 arrondissements de Tokyo. Avec un programme articulé autour d’enjeux climatiques, son franc-parler, sa fraîcheur et son engagement détonnent dans le paysage politique japonais. Sa popularité pourrait aussi donner envie à d’autres femmes de lui emboîter le pas.

« Je crois en la beauté de la politique locale et j’ai toujours voulu œuvrer pour la démocratie au Japon, explique Satoko Kishimoto, 48 ans, nouvelle mairesse de Suginami, l’un des 23 arrondissements de Tokyo où vivent 570 000 personnes. Nous pouvons partager une vision de Suginami qui contribuera à un meilleur avenir pour la planète et l’humanité. »

Satoko Kishimoto bouscule, questionne et apparaît comme un ovni sur la scène politique japonaise. Très engagée dans la cause environnementale, elle estime qu’il n’y a plus de temps à perdre. « Ma stratégie est d’articuler la politique locale autour de la crise climatique. Nous devons être extrêmement sérieux : en 2050, nous devons avoir réussi à décarboner notre environnement. »

Pour celle que les Japonais·e·s surnomment la « mairesse à vélo » – c’est par ce moyen de transport qu’elle se rend à la mairie chaque matin –, la situation est grave. Et depuis son élection en juin et sa prise de fonctions à la mi-juillet, c’est le branle-bas de combat.

Le climat, une lutte de proximité

Satoko Kishimoto mairesse de Suginami

Satoko Kishimoto est élue mairesse de Suginami dans la surprise générale. C’est la première fois qu’une femme accède à ces fonctions. Cette victoire est d’autant plus étonnante que Satoko Kishimoto n’a aucune expérience politique.

Au printemps dernier, après une vingtaine d’années passées en Europe, cette chercheuse et activiste rentre tout juste au Japon lorsqu’elle répond à l’appel d’un groupe de citoyen·e·s qui réclame « un maire qui se battrait pour les gens ». Sa campagne, qui repose sur la crise climatique, une refonte des services publics et la mise en place d’une économie locale démocratique, fait mouche. Elle l’emporte avec 76 000 votes, battant le maire sortant de 187 voix seulement.

Satoko Kishimoto donne un premier coup de pied dans la fourmilière en se prononçant contre un projet d’urbanisme controversé à Koenji. Ce dernier repose sur la construction d’une route qui permettrait de fluidifier le trafic vers les centres névralgiques de Tokyo. Au passage, l’ouvrage détruirait de nombreux commerces et petites artères qui font le charme du quartier.

Pour elle, « la politique locale doit être la première à lutter contre le changement climatique. À cette fin, il faut une transformation sociale, industrielle, économique, culturelle et politique ». Elle s’inquiète de voir qu’au Japon, les connaissances et les prises de conscience sur la question climatique « sont malheureusement trop faibles. L’une des raisons majeures est que le gouvernement national s’en fiche et la prend à la légère. Il faut éduquer et aborder le problème en qualité de challenge global pour l’humanité ».

Née à Tokyo, Satoko Kishimoto participe aux mouvements activistes pour la cause environnementale dans les années 90 avant de partir en Europe. Après des études en sociologie de l’environnement, elle travaille à la recherche de solutions de rechange pour la gestion de l’eau et de la santé, mais aussi dans la privatisation de l’énergie à l’Institut transnational d’Amsterdam.

Forte de ses expériences, Satoko Kishimoto promet à son électorat « un changement radical » dans les pratiques. Le climat n’est d’ailleurs pas son seul combat. Sa politique sociale détone : elle veut améliorer les conditions de travail des femmes, ouvrir le débat sur le nom de famille afin que les femmes mariées qui le souhaitent puissent garder leur nom de jeune fille, et s’attaquer au salaire minimum.

Un paysage politique largement masculin

« Personne ne croyait que je pouvais gagner, mais c’est arrivé », s’étonne-t-elle encore. Si Satoko Kishimoto a toujours du mal à y croire, c’est parce que seulement 2 % des élu·e·s locaux sont des femmes. En effet, sur les 1 811 maire·esse·s de l’archipel, 44 sont des femmes. Dans les 23 arrondissements de Tokyo, elles sont uniquement deux, dont Satoko Kishimoto. Au Japon, « la politique locale est dominée par des hommes âgés, explique la mairesse. Avec une moyenne d’âge de 67 ans pour les maires de la capitale. Les septuagénaires sont les plus nombreux (40 %) ».

« La politique locale doit être la première à lutter contre le changement climatique. Il faut une transformation sociale, industrielle, économique, culturelle et politique. »

– Satoko Kishimoto

L’une des raisons pour lesquelles les femmes ne s’engagent pas reste « la résistance domestique : le mari et les proches se montrent très réticents à l’idée de voir une femme “mise en avant”. D’ailleurs, il est intéressant de noter qu’au Japon, les femmes politiques sont souvent veuves ou célibataires », explique Chizuko Ueno, professeure émérite à l’Université de Tokyo et l’une des figures féministes majeures du pays.

Elle ajoute : « Il existe pourtant des études qui indiquent que la probabilité qu’une femme gagne une élection est plus élevée que celle d’un homme, mais en raison du manque de candidates, cela ne se matérialise pas. »

Un discours qui résonne

L’élection de Satoko Kishimoto se révèle un petit miracle à plus d’un égard. Elle devient malgré elle « un modèle », s’enthousiasme Tohko Tanaka, professeure en sciences de l’information à l’Université de Tokyo.

L’arrondissement de Suginami, au nord-ouest de Tokyo, réputé être un bastion de la jeunesse engagée et des anarchistes, « lui a offert un terreau propice à une politique plus engagée, analyse Tohko Tanaka. Je pense que ce qui manque à la politique japonaise, ce sont des femmes qui ne viennent pas de l’élite et qui peuvent parler de politique avec leurs propres mots. » Ainsi, leurs discours résonnent davantage avec le quotidien des électrices, qui se sentent plus concernées.

Selon le classement 2022 du Forum de l’économie mondiale, le Japon se situe au 139rang mondial sur 146 en matière de parité politique, avec l’un des taux les plus faibles de femmes au Parlement (9,7 % dans la Chambre basse).

« Au Japon, seulement 18 % des conseillères municipales sont âgées de 20 à 30 ans, constate Momoko Nojo, 24 ans, instigatrice du mouvement No Youth, no Japan et représentante de l’association NewScene. Nous voulons encourager les jeunes femmes à se présenter, et faire monter ce taux à 30 %. »

Avec Kazuko Fukuda, 27 ans, Aoi Oshima, 21 ans, et Rinka Yamashima, 19 ans, elle a annoncé, début septembre, le lancement du Fifty’s Project, un mouvement destiné à soutenir les jeunes femmes qui s’intéressent à la politique. « Nous allons devoir faire nos places nous-mêmes, insiste Momoko Nojo. Si nous n’agissons pas, la situation ne changera jamais. » Elles nourrissent aussi l’espoir de voir un jour « une femme première ministre au Japon ».