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Femmes autochtones : un écoféminisme entre décolonisation et écologie

Des voix de savoirs

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © USGS (unsplash.com)

L’écoféminisme s’active à faire converger les luttes féministes et écologistes. Ce courant met de l’avant une nouvelle hiérarchie de valeurs, semblable à celle des nombreux peuples autochtones, par exemple en refusant l’idée que la nature est extérieure à nous. En abordant simultanément les problématiques sociales et environnementales de même que leurs solutions, l’écoféminisme pourrait s’avérer un levier précieux pour faire face à la crise climatique, tout en favorisant l’égalité entre les femmes et les hommes.

Les nations autochtones sont particulièrement vulnérables aux changements climatiques, en raison d’une part de leur éloignement géographique, mais aussi du climat rigoureux et de leurs infrastructures vieillissantes. Certaines communautés arctiques en subissent les conséquences sur leurs activités de subsistance, par exemple la dispersion des baies et des mammifères, ou encore la diminution du couvert de neige.

Cette vulnérabilité tient aussi du fait qu’elles entretiennent une relation étroite avec le territoire. Une relation qui est au cœur de leur identité, de leur culture et de leur mode de vie, qui est caractérisée par l’appartenance des humains à la terre – et non l’inverse –, et qui repose sur la solidarité plutôt que la domination.

Crise climatique et savoirs autochtones

Les pratiques, savoirs, systèmes de valeurs et innovations des communautés autochtones contribuent à ce que la biodiversité de leurs territoires décline moins rapidement qu’ailleurs. Toutefois, selon Suzy Basile, professeure à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, le rôle des communautés dans la gouvernance du territoire et des ressources pourrait être affaibli davantage. Notamment par la perte d’accès aux ressources naturelles, la dégradation des écosystèmes et le manque d’influence dans les processus décisionnels locaux et politiques.

Patricia-Anne Blanchet, conseillère en pédagogie autochtone à l’Université de Sherbrooke

Pour faire face à la crise climatique, il y a donc un travail à faire pour légitimer les savoirs traditionnels. Selon Patricia-Anne Blanchet, la clé réside dans le « développement d’une posture d’humilité qui favorise le rapprochement dans la confiance, l’intégrité et la réciprocité ».

Patricia-Anne Blanchet est conseillère en pédagogie autochtone à l’Université de Sherbrooke. Elle coordonne le comité M8wwa ᒪ ᒧ mamu, qui vise à inclure les perspectives autochtones dans la formation à l’enseignement. D’ascendance autochtone dans sa lignée paternelle – mais sans statut –, elle se positionne comme une alliée. Elle est également l’une des membres fondatrices des Tisserandes, un collectif écoféministe de Sutton qui s’exprime notamment par le théâtre, le slam et le chant choral. Elle souligne l’importance chez les écoféministes d’un travail d’humilité culturelle.

L’oralité est le principal moyen de transmission des savoirs chez les Premiers Peuples. À l’opposé de cette forte tradition orale, la science conventionnelle repose sur une tradition écrite longtemps dominée par les hommes. Encore aujourd’hui, il reste beaucoup à faire pour que la science conventionnelle reconnaisse les savoirs oraux. Les reconnaître permettrait de tendre vers ce que Patricia-Anne Blanchet appelle une « justice épistémique ».

Être femme et autochtone

L’écoféminisme ne saurait exclure le concept d’intersectionnalité. En effet, la catégorie « femme » n’est pas une catégorie homogène et l’interaction simultanée de plusieurs formes de domination façonne la relation qu’entretiennent les femmes avec les problématiques environnementales.

D’un côté, les femmes autochtones sont les premières au front pour la défense de leur territoire et à se mobiliser dans diverses formes de résistance. Selon Femmes autochtones du Québec, les communautés autochtones sont aussi de plus en plus engagées dans la recherche grâce, entre autres, à leur activisme.

D’un autre côté, en raison de leur statut de femme et d’autochtone, les femmes autochtones subissent une double marginalisation : les répercussions liées à la destruction de l’environnement ont des conséquences plus lourdes chez ces femmes, qui souffrent déjà de l’héritage de la domination coloniale.

Les féministes autochtones s’intéressent d’ailleurs aux répercussions différentes du colonialisme chez les femmes : taux plus élevés de violence à caractère sexiste, revenus et représentation politique inférieurs par rapport aux hommes autochtones et aux femmes non autochtones, etc.

Puisque le féminisme peut être considéré comme une institution du savoir colonial, l’expression « écoféminismes autochtones » peut être remise en doute.

Fruit de pratiques millénaires, d’observations terrain et d’expérimentations, les femmes autochtones sont souvent les gardiennes des savoirs botaniques et forestiers. Elles sont également les porteuses de l’eau dans plusieurs cultures. Puisque les changements climatiques entraînent des répercussions sur leurs rôles et responsabilités, elles sont des sources précieuses de savoirs au regard de ces bouleversements et des priorités à une échelle locale.

Patricia-Anne Blanchet soulève l’exemple des femmes anichinabées – comme Josephine Mandamin ou Autumn Peltier –, qui entretiennent une relation particulière avec l’eau et qui se mobilisent pour sa protection. Cet engagement se manifeste notamment par des pratiques traditionnelles, dans lesquelles les femmes ont des responsabilités spécifiques : tenir des cérémonies, veiller à la qualité de l’eau, développer des connaissances et les transmettre aux générations suivantes. Considérée comme la source et le support de la vie, l’eau constitue donc une ressource fondamentale pour leur santé, leur organisation politique, leur spiritualité et leur relation avec leurs ancêtres.

L’écoféminisme et la nécessité de la décolonisation

Selon Patricia-Anne Blanchet, la plupart des femmes autochtones ne se considèrent pas comme féministes ni écoféministes. Pour elle, l’écoféminisme conduit parfois à adopter une posture maternante envers la terre, distincte de la vision autochtone du monde selon laquelle nous sommes « les enfants de la terre ». Puisque le féminisme peut être considéré comme une institution du savoir colonial, l’expression « écoféminismes autochtones » peut être remise en doute. Patricia-Anne Blanchet souhaite cependant reconnaître l’ascendance des femmes autochtones sur le courant écoféministe. « Lorsqu’on parle des réalités autochtones – historiques ou contemporaines –, les femmes autochtones pourraient être considérées comme les mères de l’écoféminisme. »

En contexte de crise climatique, il devient urgent de reconnaître les formes d’oppression s’exerçant sur les femmes autochtones et de faire place à l’expression des voix féminines autochtones dans la recherche de solutions. Puisqu’elles ont un rôle crucial à jouer dans l’articulation de discours et de stratégies d’action climatiques, elles devraient bénéficier d’une meilleure représentation à tous les niveaux décisionnels, et participer plus activement à la recherche de solutions.

Afin de laisser aux femmes autochtones ce qu’elle appelle une « souveraineté narrative », Patricia-Anne Blanchet recommande de baser cette démarche sur les pistes proposées dans le document Lignes directrices en matière de recherche avec les femmes autochtones, élaboré par Femmes autochtones du Québec.

Pour parvenir à une co-construction d’un écoféminisme décolonial, il est d’une importance majeure d’ajouter la voix des femmes autochtones dans l’ensemble des institutions du savoir. Mais il ne faut pas simplement consulter ces femmes : on doit tenir compte de leurs recommandations afin d’éviter l’instrumentalisation de leurs savoirs, selon Patricia-Anne Blanchet. « Il faut s’assurer d’être en réciprocité, une valeur fondamentale chez les femmes autochtones. »