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Crise climatique et racisme environnemental : la convergence des luttes

Le mouvement des femmes racisées, modèle d’inspiration

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Nous sommes au début de l’automne 2022 et, alors que j’écris ces mots, le Pakistan souffre d’une période de mousson parmi les plus violentes des 30 dernières années. On estime que le tiers du territoire a été inondé, soit approximativement la taille du Royaume-Uni. Depuis juin 2022, près de 1 400 personnes sont décédées, 6 000 ont été blessées et plus de 33 millions sont directement affectées par les inondations. L’actualité du Pakistan est l’illustration même des dynamiques globales de la crise climatique et de ses retombées inégalitaires. Les Premières Nations et les communautés racisées et en situation de pauvreté sont les premières sacrifiées sur l’autel des dérèglements climatiques. Et, de manière transversale et majoritaire, les femmes.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a dénoncé un « carnage climatique » après que des pluies torrentielles, cinq fois supérieures à la moyenne, se furent déversées sur le territoire pakistanais. Cette catastrophe survient alors que, plus tôt dans l’année, la population avait souffert d’une terrible vague de chaleur, avec une température atteignant les 50 °C.

Le Pakistan est classé 8e au monde parmi les territoires les plus susceptibles d’être touchés par les conséquences de la crise climatique. Il émet pourtant moins de 1 % des gaz à effet de serre de la planète, tandis que les pays du G20 sont responsables de plus de 80 % de ces émissions. Il s’agit ici du nerf de la guerre… un modèle récurrent : l’Occident est le grand pollueur de la planète et ce sont les territoires dits du Sud global qui en sont les premières victimes.

Le paradoxe d’une écologie des oppressions

Vandana Shiva, militante écoféministe

Des femmes activistes prennent pourtant position, sur des territoires historiquement subordonnés qui subissent les politiques du Nord global. Pensons à Vandana Shiva, originaire d’Inde, qui s’implique dans le mouvement des Chipko dès les années 1970 pour lutter contre des projets de déforestation planifiés par des géants agroalimentaires. Ou encore à Kanahus Manuel, activiste autochtone de la nation Secwepemc, qui milite pour la protection des territoires ancestraux non cédés face à l’exploitation des ressources naturelles.

En plus de dénoncer le rapport d’exploitation industrielle entre le Nord et le Sud, ces militantes doivent se positionner face à des modèles de luttes écologiques sans rapport concret avec leurs réalités, décidés dans le Nord, par des territoires et des systèmes colonisateurs, majoritairement par des hommes.

En effet, on constate malheureusement un échec historique des batailles environnementales à s’allier aux luttes antiracistes, décoloniales et féministes. Pensons par exemple à la marche pour le climat de Montréal, en 2019. Cet évènement a réuni un demi-million de personnes – bénéficiant même de la gratuité des transports, de la fermeture des universités pour que les étudiant·e·s puissent y participer, de la présence de chefs politiques et d’une énorme couverture médiatique. Pourtant, quelques mois plus tard, les rassemblements en soutien à la lutte de la communauté Wet’suwet’en contre la construction d’un pipeline ne sont pas parvenus à mobiliser la population québécoise.

Même constat dans le contexte de projets de reforestation mis en œuvre dans des pays comme Haïti, qui supposent le déplacement de populations paysannes pauvres et des exactions multiples envers celles-ci, dont le sort est ignoré par les technocrates de l’écologie. Cette vision externe – et implantée de force – reproduit les mêmes dynamiques d’appropriation des territoires et d’expropriation des populations locales à des fins plus « globales ». Le cercle vicieux se complète.

À terme, cette absence de rassemblement des luttes ne peut que signifier l’échec des actions menées au nom de la protection de l’environnement. En effet, à la lumière des travaux de Malcom Ferdinand, Vandana Shiva, Maria Mies, Ramzig Keucheyan ou Fatima Ouassak, et au regard des mouvements de luttes menées par des femmes racisées issues de territoires dits du Sud, penser la protection de l’environnement ne peut se faire sans une réflexion globale sur les fondements du capitalisme.

On constate malheureusement un échec historique des batailles environnementales à s’allier aux luttes antiracistes, décoloniales et féministes.

Cette bataille climatique et environnementale doit reconsidérer l’ancrage de notre système dans une idéologie racialiste qui hiérarchise les territoires et les corps. Un système qui différencie les sujets qui méritent une vie décente et sécuritaire, avec un accès assuré aux ressources de base, et ceux qui sont réduits à être exploités sur des zones géographiques dont les ressources naturelles sont extraites massivement pour l’exportation internationale, et donc le confort des premiers. Une lutte écologique qui ignore l’impact disproportionné des bouleversements selon les genres et la race est vouée à reproduire ces mêmes systèmes d’oppression responsables de la crise climatique actuelle.

Penser le rassemblement des luttes

Les mouvements politiques environnementaux occidentaux gagneraient à prendre exemple sur ceux menés par des femmes racisées, dont le rassemblement de luttes est le fil rouge de l’action.

Mentionnons à nouveau Vandana Shiva, écoféministe et cheffe de file notoire de l’altermondialisme, connue notamment pour sa lutte contre Mosanto et ses prises de parole publiques contre l’extractivisme. Et Kanahus Manuel, fondatrice du mouvement Tiny House Warriors qui, grâce à la fabrication de petites maisons le long du tracé du pipeline Trans Mountain, contribue à bloquer sa construction sur le territoire Secwepemc non cédé.

Parlons également d’Autumn Peltier, née sur le territoire non cédé de Wiikwemikoong, qui milite pour le droit mondial à l’eau et pour la protection du droit à l’eau des Anichinabé·e·s. Ou encore de Vanessa Nakate, militante écologiste en Ouganda, qui a récemment pris position contre les écarts de couverture médiatique entre l’Afrique et l’Europe.

Ainsi, des approches pertinentes et concrètes existent déjà, menées par des femmes leaders issues de populations directement touchées par les bouleversements environnementaux. Il s’agit d’une expertise sans égale, acquise de leur vécu et de celui de leur communauté. Et dans la cacophonie ambiante entourant la crise climatique, seule la voix d’expert·e·s devrait compter.

Originaire de la Guadeloupe, Jade Almeida (pronom elle/she/her) est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université de Montréal. Ses travaux portent sur les femmes noires qui aiment les femmes. Elle travaille désormais au Conseil québécois LGBT comme co-coordinatrice de projet. Créatrice de contenu, elle partage sur son site de la formation sur les enjeux liés notamment aux luttes antiracistes, pro-indépendantistes et afroféministes.