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Femmes et diversité capacitaire : faire fleurir la créativité

Culture équitable, art vivant!

Date de publication :

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Svetlana Pochatun (unsplash.com)

Les femmes ont été longtemps exclues des espaces culturels, et dans certains milieux, l’équité n’est pas chose acquise. Cette réalité est encore plus vraie pour les femmes de la diversité capacitaire – les femmes sourdes, handicapées ou neurodivergentes. La campagne de communication La diversité capacitaire fait vibrer la culture sensibilise à l’équité culturelle et met en avant les initiatives qui contribuent à atteindre cet objectif.

Avez-vous déjà assisté à une pièce de théâtre dans un pays étranger? Écouté une émission de radio dans une langue inconnue? Le sentiment d’incongruité que vous avez peut-être ressenti est vécu par de nombreuses personnes qui souhaitent créer de l’art ou l’apprécier. Malheureusement, certains milieux culturels sont encore peu accessibles, dressant des barrières pour les personnes de la diversité capacitaire. La campagne La diversité capacitaire fait vibrer la culture émerge pour favoriser une représentation sociale plus authentique et diversifiée dans les milieux culturels.

Une campagne nécessaire

« Ça fait plusieurs années que j’ai envie de mener une telle campagne au Québec. Diversité, équité, inclusion, ce sont des termes très à la mode, mais il y a encore beaucoup de travail à accomplir sur le terrain », constate Véro Leduc, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la citoyenneté culturelle des personnes sourdes et les pratiques d’équité culturelle.

La campagne est financée par la Chaire, avec l’appui du Conseil des arts de Montréal, du Conseil des arts et des lettres du Québec et de Services linguistiques CB, une entreprise d’accessibilité pour personnes sourdes. Plus de 40 partenaires culturels y prennent également part.

Les objectifs du projet sont clairs : augmenter l’embauche de personnes de la diversité capacitaire dans les milieux culturels, promouvoir leurs pratiques artistiques, encourager les collaborations entre artistes allié·e·s et artistes de la diversité capacitaire, et diffuser les résultats des recherches menées par la Chaire.

Le portail de la campagne présente des exemples d’initiatives remarquables dans le domaine culturel. Il propose également une section consacrée aux actions concrètes, qui offre aux citoyen·ne·s et aux institutions les outils nécessaires pour s’engager en faveur de l’équité culturelle.

Enrichir l’art par la pluralité des interprétations

Marie-Hélène Lemaire, responsable de l’éducation à la Fondation PHI pour l’art contemporain

« L’art, c’est ouvert à de multiples interprétations, ça peut se faire en groupe, dans le dialogue, dans l’écoute, lorsqu’on échange des idées. Plus ces groupes sont diversifiés, plus c’est riche », estime Marie-Hélène Lemaire, qui est responsable de l’éducation à la Fondation PHI pour l’art contemporain, l’un des organismes partenaires du projet.

« Bien que l’art contemporain soit parfois perçu comme très hermétique, je crois que toute personne, de tout profil, de tout horizon et de tout âge, a la capacité par son expérience d’apprécier et d’expérimenter l’art de manière unique », explique celle qui compte 20 ans d’expérience en tant qu’éducatrice muséale en art contemporain.

L’approche inclusive de la diversité capacitaire est étroitement liée aux principes des pédagogies féministes, qui guident notamment la Fondation PHI. « Mettre de l’avant l’expérience vécue, accueillir tout le monde dans sa diversité, faire place au corps, dans toutes ses capacités ou incapacités, c’est une pédagogie critique et alternative qui s’allie aux pédagogies féministes », constate Marie-Hélène Lemaire.

Selon Catherine Bourgeois, directrice artistique et fondatrice de la compagnie de théâtre Joe Jack et John, qui est aussi partenaire du projet, il est essentiel de remettre en question les perceptions sociales de ce qu’est un·e artiste professionnel·le. La compagnie Joe Jack et John interroge la notion de norme sociale et collabore notamment avec des artistes ayant un handicap cognitif.

La directrice artistique, qui milite depuis plusieurs années pour une meilleure inclusion en art, souligne la nécessité d’adapter nos critères d’analyse artistique pour accueillir un éventail plus large d’artistes et ne pas nous limiter à des attentes normatives.

« C’est sûr que si un critique de théâtre vient voir l’une de nos productions et s’y attarde avec une grille normative, c’est possible qu’il considère certaines répliques un peu lentes, par exemple. Mais il faut ajuster nos grilles d’analyse et nos attentes, pour faire de la place à un plus large éventail d’artistes. »

– Catherine Bourgeois

Catherine Bourgeois est également membre du mouvement Femmes pour l’équité en théâtre (FET) et du comité de direction de son Chantier féministe. En 2017, le FET a recueilli des données en vue de mettre en évidence la présence (ou l’absence) des femmes dans l’écriture et la mise en scène du théâtre contemporain au Québec. Ces statistiques ont révélé une sous-représentation des femmes dans ces domaines. Si des progrès ont été réalisés depuis, Catherine Bourgeois constate que les femmes de la diversité capacitaire continuent d’être moins représentées dans les institutions. « On a moins d’alliés et il y a encore beaucoup de préjugés qui persistent. »

Des projets qui célèbrent la diversité

Les initiatives mises en lumière par la campagne sont nombreuses et surtout, diversifiées. De la création d’œuvres intégrant le braille à des danses inclusives entre cultures sourdes et entendantes, les 43 partenaires de la campagne ont énormément à partager.

L’un de ceux-ci, le centre d’artistes SPiLL-PROpagation, s’engage à créer des liens entre les personnes sourdes et entendantes. « Pour nous, le partenariat est important pour le réseautage », explique Tiphaine Girault, cofondatrice de l’organisme. « Si on est chacun dans nos organisations, on ne grandit pas. »

SPiLL, qui organise notamment des résidences de recherche et de création, est le projet de cœur de deux femmes artistes, écrivaines et recherchistes. « Paula [Bath] fait son doctorat, moi, je suis bédéiste, je suis née en France, je suis une personne sourde qui utilise la langue des signes québécoise pour communiquer. On a deux enfants. À la maison, on a également deux langues, deux cultures : sourde et entendante. On est des femmes de la communauté LGBTQ+. SPiLL nous offre un véhicule pour partager nos perspectives, nos approches de vie. C’est très riche », explique Tiphaine Girault.

Du côté de la Fondation PHI, le partenariat avec la campagne revêt une grande importance, car il permet d’inclure les communautés concernées. « On ne veut pas prétendre qu’on sait quoi faire ni comment les servir. Ce sont elles qui savent. Donc, c’est en les écoutant et en faisant ces partenariats-là qu’on peut réaliser des projets qui amènent une cocréation et une collaboration véritables », explique Marie-Hélène Lemaire.

En 2022, dans le cadre de l’exposition de l’artiste japonaise Yayoi Kusama à la Fondation PHI, l’artiste Sourde Pamela Witcher a conçu l’atelier de création Partage ton point d’amour, qu’elle a animé en langue des signes québécoise (LSQ) et en langue des signes américaine (ASL). « On avait des groupes où il y avait des personnes sourdes ou malentendantes, d’autres personnes qui suivaient des cours de LSQ et des familles. Ça a été des rencontres complètement inspirantes », se remémore Marie-Hélène Lemaire, soulignant le travail de sa collègue Amanda Beattie, qui a initié et mené le projet pilote destiné à la communauté sourde et malentendante à la Fondation PHI.

L’équipe d’éducatrices et éducateurs et le personnel de la Fondation comptent d’ailleurs apprendre les rudiments de la LSQ dès l’automne, afin de mieux communiquer avec les communautés qu’elle souhaite servir.

« Même s’il reste beaucoup de travail, qu’on a encore beaucoup à apprendre, on entend les discours changer. Je pense qu’on sent un vent dans la bonne direction », conclut Marie-Hélène Lemaire.

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