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Les femmes autochtones, gardiennes du territoire

Se réapproprier, savoir, protéger

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © léa b (unsplash.com)

Devant lexploitation des ressources naturelles par lindustrie, des femmes autochtones se tiennent debout pour faire respecter les droits de leurs communautés. Et surtout, pour être partie prenante de la gouvernance territoriale.

Entre les cimes des épinettes, à une trentaine de kilomètres de Val-d’Or en Abitibi-Témiscamingue, la communauté anichinabée de Lac-Simon est active dans la protection des espèces comme l’orignal et le caribou ainsi que leur habitat. « Lorsque des familles vivent très près de leur territoire, les compagnies forestières font très attention, puisqu’il y a toujours quelqu’un pour guetter chaque jour, observe Adrienne Jérôme. Si elles coupent pendant la gestation ou après 18 h, on barre le chemin! »

Adrienne Jérôme, directrice des ressources naturelles de Lac-Simon et cheffe négociatrice du dossier de l’orignal

L’ancienne cheffe de la communauté est à présent directrice des ressources naturelles de Lac-Simon et cheffe négociatrice du dossier de l’orignal. Avec son équipe, elle s’assure que l’industrie respecte les règlements. « On protège les ravages d’orignaux – des peuplements forestiers où les orignaux trouvent refuge pendant l’hiver, donne-t-elle comme exemple. Lorsqu’il y a de la pêche excessive, on intervient et on sensibilise les responsables. On observe si des arbres sains ont été blessés par la machinerie forestière. On prend des mesures pour défendre nos droits, pour que les ententes soient respectées, pour qu’on soit consultés et qu’on fasse partie du développement. »

La communauté est particulièrement impliquée dans la préservation des caribous forestiers de la harde de Val-d’Or. De même, en décembre dernier, Lac-Simon a reçu du gouvernement fédéral un financement d’un million de dollars sur quatre ans pour préparer une demande de désignation d’aire protégée d’utilisation durable auprès de Québec. Des informations sont fournies sur les réseaux sociaux aux membres de la communauté concernant les développements sur le territoire, indique l’ancienne cheffe.

Ce pouvoir d’action des communautés sur le territoire est toutefois récent. « Lors de la chasse, [les autorités] nous intimidaient, nous enlevaient nos gibiers, nous arrêtaient, mais on ne se laisse plus faire », rappelle Adrienne Jérôme. Les défis restent néanmoins nombreux.

« L’obstacle, c’est l’accès au territoire, avec les pourvoiries, la villégiature, les transports, les mines, la contamination environnementale, l’empiétement de peuples voisins qui ont été déplacés, énumère Suzy Basile, professeure à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones. Les Autochtones ont été refoulés vers des territoires pauvres en ressources naturelles pour laisser place à des activités extractives qui se sont intensifiées dans le temps. »

Les femmes reprennent leur place

Suzy Basile, professeure à l’École d’études autochtones de l’UQAT

Y compris au sein des communautés, un groupe reste toutefois sous-représenté dans la gestion des ressources naturelles de la province : les femmes autochtones. « On n’a pas accès à 50 % du savoir sur les enjeux, on se prive d’une expertise particulière, observe Suzy Basile. Ce qui manque, c’est ce regard holistique [des femmes] sur les enjeux environnementaux. »

À titre d’exemple, les membres de Lac-Simon trouvent souvent des carcasses d’orignaux presque entières dont seule la tête a été prélevée en guise de trophée de chasse. « Beaucoup de femmes élèvent leurs enfants toutes seules et ne peuvent pas chasser, pourquoi ne pas les leur donner? questionne Adrienne Jérôme. Ce sont des ententes comme celles-là qu’on souhaite conclure avec le gouvernement. »

Outre leurs savoirs uniques, les femmes sont reconnues pour leurs habiletés en communication, et leur participation accrue dans la gouvernance pourrait permettre de réduire les conflits territoriaux, indique Suzy Basile. De même, selon des études, la présence des femmes dans la gouvernance des écosystèmes dans des pays comme l’Inde ou le Népal semble s’être traduite par de meilleurs résultats quant à la conservation de forêts locales, avec une amélioration de la régénération végétale et de la croissance de la canopée.

« Présentement, on assiste à une revalorisation des connaissances et des rituels des femmes, que ce soit l’usage des plantes médicinales, la fabrication de la pâte de bleuet ou encore la périnatalité », poursuit la spécialiste atikamekw. Des femmes autochtones se réapproprient les rituels après l’accouchement, où le placenta de l’enfant est enterré sur le territoire pour connecter le nouveau-né à ce dernier. « Les choses tendent à changer, ajoute l’experte, qui explique que dans certaines communautés, des groupes de femmes sont très actifs et participent aux prises de décision. »

Femmes gardiennes

La biodiversité végétale s’effrite, les caribous et les porcs-épics disparaissent, les tiques et la tordeuse du bourgeon de l’épinette se multiplient. Adrienne Jérôme énumère les bouleversements dans les écosystèmes entourant Lac-Simon. Au début juin, d’intenses feux de forêt associés aux températures anormalement élevées dans la province ont forcé l’évacuation temporaire de la communauté.

« Occuper le territoire, c’est le protéger. »

– Adrienne Jérôme

« Quand on parle des changements climatiques, la déforestation et l’industrie minière, c’est un bouleversement du territoire, dit-elle. Le gouvernement, il fait du développement économique, il gère le territoire comme si c’était une entreprise. Lorsqu’il y a des activités d’extraction, il y a des choses à respecter, on est là pour faire partie du développement, mais on veut protéger le plus de choses possible. »

« Cela prend toujours des scientifiques et des preuves pour dénoncer des situations, mais on sait ce qui se passe dans nos forêts », poursuit la leader, pour illustrer l’importance des savoirs traditionnels dans la conservation des écosystèmes. Les femmes, en tant que mères et grands-mères, jouent d’ailleurs un rôle primordial dans la transmission de ces précieuses connaissances.

« J’ai huit garçons, ce sont des chasseurs, des trappeurs, des pêcheurs, dit Adrienne Jérôme, un éternel sourire dans la voix. J’ai une petite-fille de 14 ans, “Greenpeace Anishnabe”, qui dit que si les animaux ne peuvent pas parler, elle va parler pour eux. J’ai élevé des gardiens et des gardiennes de la nature! »