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À bas la précarité menstruelle!

Les bobettes rouges, la fibre sociale et environnementale

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Toute personne qui a des menstruations connaît cette situation : vous êtes dans un espace public – au travail, à l’école, au cinéma – et vous ressentez le glissement humide annonçant l’arrivée de vos règles. Sauf que, horreur, vous n’avez avec vous ni tampon ni serviette hygiénique. Que faire? La solution consistera généralement à se précipiter à la salle de bain la plus proche et à enrouler du papier de toilette qui servira d’absorbant temporaire, rendant les prochaines heures inconfortables et stressantes. Le cauchemar.

Que feriez-vous si cette situation était votre réalité, non pas en cas d’urgence, mais tous les mois, pendant plusieurs jours?

Le tiers des Québécoises ont déjà eu à sacrifier une dépense essentielle, comme la nourriture ou le loyer, pour se payer des produits menstruels, selon un sondage pancanadien mené en 2019. Pour 7 % d’entre elles, ce sacrifice est régulier. Ces statistiques, tirées de l’étude Faciliter l’accès aux produits menstruels : mesures possibles, produite en 2021 par le Conseil du statut de la femme, mettent en évidence un problème de mieux en mieux compris : la précarité menstruelle.

En 2018, l’Écosse a attiré l’attention sur le sujet en rendant obligatoire la mise à disposition gratuite de produits menstruels dans tous les établissements d’éducation. Elle a récidivé en 2020 en adoptant une loi garantissant un accès universel à des produits menstruels gratuits.

Inspirés par l’Écosse, divers pays à travers le monde se sont penchés sur la question – et le Québec n’est pas demeuré en reste. Depuis cinq ans, les initiatives se multiplient à l’échelle de la province. La question de la précarité menstruelle préoccupe de plus en plus de gens. Et elle fait des petits.

Les bobettes rouges : serviettes gratuites pour toutes!

Dans la MRC du Granit, en Estrie, on lutte contre la précarité menstruelle grâce à l’économie circulaire. En réponse à des commentaires recueillis à la Table réalité jeunesse de la MRC concernant l’accessibilité des produits menstruels, la société de développement économique locale a mis sur pied l’initiative Les bobettes rouges.

« Notre but est de remettre des produits d’hygiène menstruelle aux jeunes de 10 à 20 ans », résume Sophie Dorval, conseillère en développement local et régional à la Société de développement économique du Granit.

Pour ce faire, elle s’est adjoint les services d’une designer locale qui a conçu un modèle de serviette réutilisable. C’est là que l’économie circulaire entre en jeu : les serviettes sont produites à partir de retailles de textile d’une entreprise de la région. Celles-ci sont cousues et assemblées dans la MRC, notamment par une entreprise d’économie sociale. On ne fait pas plus local!

Pour le moment, le projet en est à ses premiers jalons : une étude a été menée à l’hiver 2023 auprès d’une dizaine d’utilisatrices-testeuses, et leurs commentaires ont permis d’affiner le design du produit. C’est à l’automne qu’aura lieu le lancement officiel, avec la distribution de trousses, assorties d’une présentation des règles zéro déchet par une experte, qui est aussi la propriétaire d’une boutique estrienne de produits menstruels lavables.

Bien qu’il soit encore balbutiant, le projet engendre déjà des retombées dans la communauté. « Ça génère des conversations auprès des élus, constate Sophie Dorval. Les femmes plus âgées qui siègent au conseil municipal étaient heureuses de voir qu’on retourne à ce genre de produit qui ressemble à ce qu’elles ont connu dans leur jeunesse. Elles aiment noter qu’un progrès a été fait puisqu’elles peuvent désormais en parler devant leurs collègues masculins. »

Un bienfait pour l’économie… et l’environnement

Le projet Les bobettes rouges détonne dans le paysage québécois. À travers la province, les initiatives qui visent à multiplier l’utilisation de produits menstruels réutilisables et à lutter contre la précarité menstruelle sont souvent orientées vers le remboursement à l’achat plutôt que la distribution gratuite.

« Le système est pas mal le même partout au Québec », note Élise Brunot, chargée de projet pour Le Fil Rouge, une initiative du Réseau québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF), vouée à la santé et à l’équité menstruelle. En 2021, ces programmes joignaient le quart de la population québécoise.

La chargée de projet relève cependant certaines limites de ce système. En effet, l’utilisatrice doit souvent acheter elle-même les produits et, par la suite, soumettre une demande de remboursement, lequel peut prendre plusieurs mois à arriver. « Quelqu’un qui n’a pas l’argent sous la main, dont le budget est limité au dollar près, ne pourra pas acheter ces produits », souligne Élise Brunot.

Pourtant, les retombées positives de ces initiatives sont réelles, constate Sophie Dorval. « On se fait souvent questionner à ce sujet, les gens ne voient pas toujours l’avantage économique parce qu’on distribue les trousses menstruelles gratuitement. On répond en parlant de réussite scolaire, de mieux-être et des impacts environnementaux à long terme. » La conseillère cite aussi des phénomènes comme l’écoanxiété ainsi que les répercussions économiques de la gestion des matières résiduelles.

Selon Élise Brunot, toute conversation concernant la santé menstruelle est un pas en avant vers une société où les tabous entourant ce phénomène naturel seront entièrement éliminés. « Il faut y penser comme on pense au papier de toilette. C’est inimaginable d’aller faire ses besoins et qu’il ne soit pas fourni. Ça devrait être la même chose pour les produits menstruels. »

Il reste cependant beaucoup de travail à faire pour que toutes aient un accès égal à ces produits pourtant essentiels. Le Fil Rouge s’est justement associé avec le réseau des Banques alimentaires du Québec pour attirer l’attention sur les effets de la précarité menstruelle sur les populations les plus vulnérables.

« J’aimerais que les produits menstruels gratuits pour les femmes de tous âges soient une chose normale », lance Sophie Dorval avec enthousiasme. « Mon rêve est que les femmes n’aient plus à vivre la précarité menstruelle. »

Les compagnies Kotex, Playtex, Carefree et autres ont mis sur le marché, depuis quelques années, toute une gamme de “mini-serviettes”, désodorisantes ou non. […] Mais les départements de marketing ont-ils décidé de quadrupler leurs ventes en essayant de vendre aux femmes l’idée de porter leur produit quatre semaines sur quatre? Bien des indices nous portent à le croire. En effet, la publicité faite autour de ces produits incite les clientes à les utiliser non seulement pendant les menstruations, mais aussi par mesure d’hygiène, les autres jours du mois. Ce que ces publicistes ne souligneront pas – après tout, ce n’est pas leur travail –, c’est qu’une culotte qui, de toute façon, va au lavage après un usage relativement court coûte 1,25 $ […] et dure environ un an. […] Alors, allez donc voir du côté de la culotte en coton. Elle ne retient pas l’humidité, elle est agréable à porter et elle est lavable!

– Lareau, Danielle (1982). Quand l’hygiène nous tient!
Gazette des femmes, vol. 3, no 7, p. 24.