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Ni folles ni zen

Parlons santé mentale

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Noah Buscher (unsplash.com)

Enfin, on s’éloigne de lhystérie, cette maladie fourre-tout à la définition floue qui ramenait tout dérèglement féminin non identifié à lutérus. Mais on traite encore souvent les femmes de folles. Et si la déstigmatisation des problèmes de santé mentale est bien entamée – en partie grâce à celles qui ont pris la parole pour raconter leur histoire –, leur explosion est tout aussi réelle.

Il y a 50 ans paraissait le livre de Phyllis Chesler, Women and Madness. Dans son essai, la thérapeute américaine affirmait que la psychologie et la psychiatrie ne savaient pas prendre en charge les troubles mentaux féminins, parce que ces professions étaient dominées par les hommes. Le corps médical se conjuguait au masculin. Sa tête aussi.

Des femmes ont été internées parce que leur mari les jugeait trop frivoles ou que leurs comportements sexuels étaient considérés comme hors norme. Des rôles maternels soi-disant non assumés pouvaient également mener à des séjours en psychiatrie.

Être femme, facteur de vulnérabilité

« Le processus de déstigmatisation est venu d’une reconnaissance que les problèmes psychiques, la souffrance et la douleur ne sont pas juste le produit d’esprits torturés et malades. Ils sont la conséquence de parcours individuels et de conditions sociales. Et l’une de ces conditions est le fait d’être femme », explique la professeure de sociologie du genre à l’Université du Québec à Montréal, Stéphanie Pache. Autrement dit, vivre dans une société inégalitaire amène son lot de tourments.

« C’est clair! » s’exclame Sophie Grégoire-Trudeau, bénévole nationale à l’Association canadienne pour la santé mentale. Malgré tout le progrès réalisé, la femme du premier ministre insiste : les filles et les femmes n’ont pas la même marge de manœuvre que les garçons et les hommes. Et cela mine leur bien-être.

La psychologue Stéphanie Léonard souligne que les différences persistantes dans les rôles sociaux et familiaux affectent la santé mentale des femmes. Celle qui pratique depuis 21 ans mentionne que la charge mentale et les responsabilités domestiques pèsent encore plus lourd sur les épaules des femmes. « J’observe une augmentation de la pression ambiante. Et ça use. Les femmes démontrent de plus hauts taux de dépression et d’anxiété que les hommes. »

Selon Statistique Canada, la dépression est presque deux fois plus courante chez les femmes que chez les hommes.

Les petites aides de maman

Dans les années 60 aux États-Unis, les publicités d’antidépresseurs et d’anxiolytiques montraient des ménagères épuisées, incapables de tenir maison, paralysées devant la préparation du souper ou le récurage des planchers. Mais Valium, Butisol et Serax avaient la solution pour les sortir de leur torpeur : des pilules surnommées les mothers little helpers. Et les petites aides de maman venaient aussi secourir les papas, puisque certains messages publicitaires les interpellaient directement. Messieurs, gérez vos dames! Retrouvez une épouse adéquate et fonctionnelle!

Plus tard, dans les années 70, Valium a commencé à cibler la femme célibataire de 30 ans, évidemment seule parce que névrosée. Depuis, le marketing a évolué, le vocabulaire aussi. Même si nous avons parfois l’impression d’être dans un mauvais épisode de Retour vers le futur.

Deux fois plus de femmes que d’hommes ont recours aux services de psychothérapeutes au Québec. Or, leurs “maladies” apparaissent de plus en plus liées aux effets du sexisme dont elles sont victimes depuis le berceau et qui sévit jusque dans les bureaux de consultation. […] Actuellement, les thérapies féministes cherchent à aider les femmes à se libérer du moule artificiel qui a, jusqu’à maintenant, prétendu définir leur “nature”.

– Campeau, Nicole (1980). Dossier « Les thérapies féministes ».
Gazette des femmes, vol. 1, no 4, p. 13 et 17.

En 2012, le groupe TDF a fait parler de lui à Québec. TDF comme dans « Toutes des folles ». Quatre cents hommes étaient membres de cette obscure page Facebook, où les commentaires misogynes et sexistes étaient légion. Des autocollants TDF avaient été produits et les automobilistes étaient invités à les afficher sur leur voiture. Heureusement, ce regroupement vivement dénoncé, entre autres par le Conseil du statut de la femme, a rapidement disparu, mais l’insulte, elle, reste.

Souvent, les femmes en colère sont folles. Les hypersensibles sont folles. Les ex? Toutes des folles! Ce tic de langage sexiste semble solidement ancré. Mais pourquoi? « Le discours de la folie et de l’incapacité psychologique vient renforcer un statut de mineure », souligne la sociologue Stéphanie Pache. Ce discours installe une relation de pouvoir.

La Dre Stéphanie Léonard pense que ce type de propos traduit aussi un inconfort. Devant une femme libre, capable d’exprimer ses émotions, certains éprouvent un malaise. Voyons, t’es ben folle! T’es compliquée! Tu cherches des bibittes là où y’en n’a pas! se fera parfois dire celle qui partage son ressenti. Difficile de ne pas se sentir invalidée quand on se fait brandir sous le nez le drapeau de la folie dès qu’on expose sa vulnérabilité.

Le dire pour guérir

Sophie Grégoire-Trudeau

Il y a 20 ans, Sophie Grégoire, jeune animatrice télé, a décidé de parler des troubles alimentaires et de l’anxiété dont elle avait souffert. Non sans d’abord se questionner sur les contrecoups possibles d’une telle prise de parole sur sa carrière. Mais même si c’était rare à l’époque, elle a plongé.

« Je voyais des gens qui souffraient autour de moi. Je voulais aider, je voulais apporter mon soutien en partageant mon histoire. » Depuis, elle a fait du bien-être mental l’une de ses plus grandes causes. Mais elle n’aime pas le mot cause. « Ce n’est pas une cause, c’est une réalité que chaque personne porte en soi », nuance celle qui publiera au printemps 2024 un livre sur la santé mentale.

Début 2020, l’animatrice Pénélope McQuade s’ouvre sur la dépression contre laquelle elle se bat depuis 27 ans. Celle qui pilote une émission quotidienne de 2 h 30 sur les ondes d’ICI Première écrit « que le remède, c’est peut-être en parler. C’est peut-être commencer par arrêter d’avoir honte ».

Dans le recueil Stresse pas, minou!, Stéphanie Boulay décrit son anxiété : « Avant d’apparaître à la télé, j’ai des nausées, des sueurs froides, je veux partir et je regrette tout ce qui m’a menée là. » La moitié blonde des Sœurs Boulay est l’une des 11 autrices à exposer dans ce collectif les multiples réalités « du mal du siècle ».

Dans les bureaux de psy, comme dans celui de Stéphanie Léonard, ces prises de parole publiques résonnent. Les patient·e·s en parlent.

« Ça a d’énormes retombées positives! Quand des personnalités publiques sont assez généreuses et solidaires pour parler ouvertement de leurs enjeux, de leurs diagnostics, des patientes se sentent validées. »

Oui, le remède, c’est peut-être en parler.