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Laure Waridel, toujours au front

Plaidoyer pour l’engagement citoyen

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Julie Durocher

Après plus de 30 ans à militer pour l’environnement et le climat, Laure Waridel hausse le ton pour l’avenir de nos enfants. Et pour convaincre les gens de passer à l’action. À quand un saut en politique?

« On n’a plus le choix de monter aux barricades », me lance Laure Waridel, l’infatigable écosociologue aux mille chapeaux : chercheuse, professeure associée à l’Université du Québec à Montréal, conseillère spéciale au cabinet d’avocat·e·s Trudel Johnston & Lespérance, cofondatrice d’Équiterre et de Mères au front, pionnière du commerce équitable et de la consommation responsable au Québec, autrice et maman de deux enfants. Vous êtes essoufflé·e·s? Pas elle!

Malgré un horaire chargé – et les bips incessants des courriels qui atterrissent dans sa boîte de réception –, Laure Waridel est lumineuse derrière l’écran qui nous sépare. Ses grands yeux bleus m’accueillent virtuellement dans sa maison de Frelighsburg, en Estrie. Qui aurait osé produire des gaz à effet de serre avec une vieille voiture à essence pour rencontrer cette militante écologiste si cohérente avec ses valeurs?…

Pourtant, il n’y a rien à craindre avec Laure Waridel : elle n’est pas du genre à faire la leçon. « Il se produit une fermeture quand le ton est trop tranchant, ça ne crée pas de cohésion sociale », pense-t-elle. Toujours pédagogique, jamais démagogique. Ce qui n’empêche pas la chroniqueuse de dénoncer vertement les multinationales « aux commandes du modèle agro-industriel qui empoisonne la santé des sols », ou de se réjouir de l’abandon du projet de troisième lien routier entre Québec et Lévis, « une hérésie monumentale », écrit-elle.

La transition, et vite!

Malgré le bourdonnement des trolls sur sa page Facebook, Laure Waridel n’a pas l’intention de se taire. « Nous avons une responsabilité en tant que chercheuses et chercheurs de prendre la parole pour éclairer la prise de décision des élus et des entreprises », soutient l’intellectuelle qui a toujours eu soif de partager ses idées.

Dans son dernier livre, La transition, c’est maintenant, paru en 2019, l’ancienne porte-parole de la Caisse d’économie solidaire Desjardins nous invite à revoir notre façon d’investir. Il faut abandonner les hydrocarbures et miser sur les énergies renouvelables. « Je suis convaincue que le Québec a tout ce qu’il faut pour devenir le modèle d’une transition à la fois juste et écologique. Nous devons faire en sorte que les choix respectueux de l’environnement soient les plus agréables et les moins chers », propose-t-elle, bien consciente que les familles frappées par l’inflation pensent davantage à la fin du mois qu’à la fin du monde.

Laure Waridel est terre à terre.

Alors qu’elle avait deux ans, ses parents ont quitté la Suisse pour exploiter une ferme laitière à Mont-Saint-Grégoire, en Montérégie. Elle se souvient de l’inquiétude de sa mère quand il pleuvait trop ou pas assez, de la vulnérabilité des agriculteur·trice·s face aux grandes banques ainsi que du jardin familial qui permettait une autosuffisance et un partage avec le voisinage. « J’ai grandi avec beaucoup d’amour, mais mes parents étaient très endettés. C’était une grande cause de stress », raconte Laure Waridel.

Un jour, la petite Laure a donc dit à son père : « Papa, je veux devenir riche. » Son père lui a répondu que s’il avait à refaire sa vie, il ferait des choix utiles pour toute la société et pour réduire les injustices sociales. « Il y a tellement de gens qui ne réussissent pas à manger à leur faim », lui a-t-il dit.

Haute comme trois pommes, Laure ne se doutait pas que les mots de son père allaient composer le fil rouge de sa vie.

D’Équiterre à Mères au front

Inspirée par le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992, Laure décide de cofonder Équiterre, l’année suivante, avec des amis, dont Steven Guilbeault. Devenu ministre de l’Environnement et du Changement climatique, c’est lui qui a approuvé le controversé mégaprojet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve.

Ne vous laissez pas berner par la voix douce de cette militante aguerrie. Laure Waridel est capable de monter le ton… mais aussi de le redescendre. « Je trouve difficile de critiquer Steven. Je le connais bien. Il fait de la politique pour les bonnes raisons, reconnaît-elle. On a besoin d’une personne comme lui, même s’il est coincé dans le système. »

Ce système, c’est la joute politique. Un monde qui lui fait de l’œil depuis des années. Elle a été approchée par plusieurs partis au municipal, au provincial et au fédéral. « Quand tu es aux commandes, tu as le pouvoir de mettre en place des lois qui feront changer la donne à grande échelle », soulève Laure Waridel.

Mais pas maintenant. Cette mère de famille de 50 ans a d’autres priorités. Sa fille Alphée, 18 ans, atteinte du syndrome Smith-Lemli-Opitz, a encore besoin d’elle. Laure préfère donc porter sa casquette de mère… ce qui ne l’empêche pas de monter au front.

« Nous recadrons l’urgence environnementale autour de nos enfants, c’est beaucoup plus concret que l’image de l’ours polaire sur la banquise. Les explications scientifiques ne suffisent pas, il faut mobiliser les gens avec le cœur. »

– Laure Waridel

C’est d’ailleurs avec Mères au front – dont le symbole est un cœur vert équarri porté à la poitrine – qu’elle canalise toute sa colère contre l’inaction des élu·e·s et son inquiétude par rapport à la crise climatique. « L’engagement collectif est le meilleur antidote à l’écoanxiété », plaide Laure, qui a lancé ce mouvement avec la cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette en 2020.

Depuis, le mouvement s’est taillé une place dans le débat public. « Nous recadrons l’urgence environnementale autour de nos enfants, c’est beaucoup plus concret que l’image de l’ours polaire sur la banquise. Les explications scientifiques ne suffisent pas, il faut mobiliser les gens avec le cœur », croit Laure.

Le Jardin des possibles

Laure Waridel est une éternelle optimiste. C’est assurément le moteur (électrique, bien sûr!) qui lui permet de jongler avec tous ses projets.

Celui qui l’anime ces jours-ci est le Jardin des possibles, un futur milieu de vie pour les personnes neuroatypiques, comme sa fille. « On pense à la vie d’Alphée quand on ne sera plus là », confie la maman. D’ici 2025, Laure Waridel veut mettre sur pied un projet de table champêtre, avec des jardins biologiques et des activités artistiques. Elle espère surtout offrir une ressource de jour aux familles comme la sienne.

« J’ai envie d’amener un regard sur la neurodiversité qui soit comparable à celui que nous posons sur la biodiversité : ce regard voit la différence comme une richesse plutôt qu’une tare », ajoute Laure. Il existe déjà un bâtiment sur son grand terrain, à Frelighsburg. Il ne reste plus qu’à le rénover et à planter de l’asclépiade, pour assurer l’avenir de sa fille… et celui de la biodiversité.

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