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L’égalité vue par Florence K

« Je suis mère de deux filles et je veux les voir grandir dans une société qui les accueille à l’égal des hommes. »

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Julien Faugère

Dès la sortie de Bossa Blue, son tout premier album studio, Florence K se fait remarquer pour son aisance au piano et sa facilité à écrire et à chanter en cinq langues, dans des styles tant latins que jazz. Le coup de foudre du public pour cette artiste montréalaise est instantané et Florence K enchaîne les spectacles au Québec, au Canada, en France, à New York, en Asie, au Brésil, au Pérou et à Cuba. Musicienne libre, elle met en 2015 sa plume au service d’un livre révélateur, Buena Vida, dans lequel elle raconte sans détour l’épisode dépressif majeur et l’internement psychiatrique qu’elle a vécus à l’âge de 28 ans. Elle consacre depuis une importante partie de son temps à briser les tabous et à démystifier les troubles de santé mentale. Aujourd’hui étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Montréal, Florence K souhaite allier ses plus grandes passions et poursuivre une carrière en clinique et en recherche, tout en continuant à monter sur scène.

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Les attentes sociales ont-elles une incidence sur la santé mentale des filles et des femmes? Par exemple, est-ce qu’on observe chez elles davantage d’anxiété de performance liée à ces attentes?

Je n’ai pas trouvé de données probantes sur l’enjeu particulier de l’anxiété de performance liée aux attentes sociales chez les femmes. Par contre, la littérature a démontré d’autres effets négatifs des attentes sociales sur la santé mentale chez les filles et les femmes. Par exemple, la pression sociale pour se conformer à l’idéal de minceur jouerait un rôle décisif dans le développement des troubles alimentaires. Il y aurait également un lien entre la pression sociale et la dépression chez les femmes infertiles, chez les femmes ayant des enfants à un âge plus élevé…

Plusieurs études dans le monde ont montré que certains facteurs liés au genre et qui désavantagent les femmes ont une incidence négative sur la santé mentale. Par exemple la pauvreté, la discrimination, l’accès limité aux ressources, les choix restreints (mariage, prise de décision au sein du couple, lieu de travail…). Nombre de ces facteurs coexistent (comme la pauvreté et l’insécurité alimentaire) et en aggravent les conséquences chez les femmes. Il est donc difficile de déterminer lesquels de ceux-ci jouent un rôle plus ou moins important dans l’apparition des troubles mentaux.

Plusieurs facteurs socioculturels contribuent aussi aux désavantages liés au sexe dans les sociétés patriarcales : préférence pour le sexe de l’enfant, exposition à la violence et au harcèlement, etc. Les troubles mentaux courants sont en général plus fréquents chez les femmes que chez les hommes, et les recherches indiquent que les désavantages liés au sexe ont une incidence déterminante sur la santé mentale.

On connaît l’importance d’éduquer les filles et les garçons aux relations égalitaires, de leur transmettre des modèles non genrés, exempts de stéréotypes. Dans quelle mesure l’éducation est-elle fondamentale aussi pour déstigmatiser la santé mentale?

La stigmatisation et les préjugés naissent souvent de l’ignorance ou d’un manque de connaissances. Bien que notre époque comporte encore de nombreuses contradictions, elle a quand même vu la science expliquer un nombre incomparable de phénomènes. Une à une, ces explications démontent les idées préconçues et toutes faites. Cependant, si ces informations ne se rendent pas aux membres de la société, les préjugés peuvent être entretenus. C’est pourquoi le transfert des connaissances est crucial et passe par l’éducation sur la santé mentale.

De nos jours, on parle beaucoup de « santé mentale » dans les médias. Mais il est rare que le construit soit expliqué et explicité. La santé mentale est un élément biopsychosocial, qui implique le maintien de la santé et les troubles de santé mentale. Quand est-ce que la détresse devient un trouble? Quand est-ce que l’anxiété, qui est une émotion légitime et non pathologique à la base, devient un trouble d’anxiété généralisé, de l’anxiété sociale ou de l’anxiété de performance? Quand est-ce que la déprime ou la tristesse devient dépression? Quelle est la différence entre un trouble bipolaire et un trouble de personnalité?

Tant d’informations sont escamotées par les médias. Il ne s’agit pas seulement de mentionner le terme « santé mentale », puis d’essayer de le déstigmatiser. Il faut l’expliciter, l’expliquer, le décortiquer. Dire « santé mentale » équivaut à dire « santé physique ». De plus, il est possible de vivre avec un trouble de santé mentale chronique, ou une psychopathologie, et être en excellente santé mentale. Par exemple, je vis avec un trouble bipolaire, mais j’ai une bonne santé mentale grâce à l’attention que j’y porte et aux soins que je reçois.

Les médias, le cinéma ou encore la littérature proposent-ils une vision genrée de la santé mentale?

Absolument. Le trouble de personnalité limite semble presque toujours associé aux femmes dans les médias. Le trouble de personnalité antisociale avec traits de psychopathie y est essentiellement accolé aux hommes, tout comme la schizophrénie. Le trouble bipolaire est très mal dépeint dans les médias également et, récemment, il a été associé à des personnages féminins dans des séries québécoises. Il manque de travail en amont.

Je suis féministe parce que…

Parce qu’on est loin d’être arrivé·e·s à l’équité et à l’égalité des genres. Le discours populaire stigmatise encore les femmes, et les femmes sont sous-représentées dans plein de milieux (politique, PDG, monde des affaires, techniciens de scène, etc.). Je suis mère de deux filles et je veux les voir grandir dans une société qui les accueille à l’égal des hommes.

Lorsque j’ai accouché de ma dernière, j’ai continué à étudier et c’est mon mari qui gérait la maisonnée. Il ne travaillait pas pour pouvoir m’aider dans mon parcours étudiant et professionnel. Nous étions tous les deux très à l’aise avec cette décision, mais les réactions de certaines personnes nous laissaient perplexes, comme si je devais être la personne qui s’occupe de la maisonnée pendant que mon mari travaille. Le féminisme demande persévérance, courage et patience…

Quelle personnalité féministe vous inspire le plus? Pourquoi?

Francine Chaloult, une grande amie et mentore qui est malheureusement décédée l’année dernière. Non seulement elle est devenue la plus grande relationniste de presse dans les années 70, à l’époque où les hommes régnaient sur le monde de la musique et des arts (le boys club). Mais juste avant, dans les années 60, elle était dans un mariage malheureux, femme au foyer, et elle a décidé de quitter son mari, malgré toute la stigmatisation dont elle a été victime. Elle a mené d’une main de fer une carrière exemplaire envers et contre tout, en plus d’être mère de trois enfants.

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