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En direct de l’univers de… France Beaudoin!

S’entourer du meilleur

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Auteur路e :

Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Bertrand Exertier

« J’ai des parents entrepreneurs et la notion d’échec n’existe pas chez nous. J’ai été élevée dans une épicerie familiale, un Provigo, dans une petite ville. Ils ont toujours pris des risques et ils en prennent encore. »

En vacances, la famille visitait des Provigo.

La petite France Beaudoin l’ignorait encore, mais elle était tombée dans la marmite de l’entrepreneuriat. Elle avait déjà dans son ADN ce goût du risque, cette capacité à toujours retomber sur ses pieds. Comme ses parents, elle n’est pas du genre à s’asseoir sur ses lauriers, à avoir peur de l’échec. Au contraire. « Je remercie tous les “non” que j’ai eus dans ma vie. »

Un « non », c’est qu’il faut faire mieux. Et ça tombe bien, dans le merveilleux monde de la production télé, « on a 10 non pour un oui ».

Impossible pour elle de départager son rôle d’animatrice de celui de productrice, ils sont intimement liés. « L’un sert l’autre », résume la femme d’affaires. Mais, « comme productrice, je me sens plus à ma place. Prendre des décisions, prendre des risques, ça ne m’empêche jamais de dormir. J’ai beaucoup plus de difficultés avec mon rôle d’animatrice, je me sens moins solide. »

Comme un poisson dans l’eau

Parce que jamais, au grand jamais, elle n’aurait pensé faire ça un jour dans sa vie. Elle se voyait journaliste. Elle avait étudié en radio au cégep de Jonquière et s’était présentée « par politesse » à une entrevue pour travailler à TQS en Estrie. « L’entrevue était avec Jean Denoncourt, qui était directeur de l’information, elle a duré 10 minutes et il m’a dit : “tu commences à soir”! Et c’est comme ça que ç’a commencé! J’avais tellement chaud, je voyais des points noirs. C’est quelque chose qui n’a pas été conscientisé dès le début. »

Elle ne doute évidemment pas de tout, ce serait invivable, mais elle se sent encore en terrain moins connu. « Je ne suis pas une showgirl. »

Mais pour gérer, France Beaudoin est comme un poisson dans l’eau. La décision de produire ses émissions allait d’ailleurs de soi, question d’avoir le dernier mot. Pour la petite histoire, le nom de sa boîte, Pamplemousse Média, n’est pas le fruit d’une mûre réflexion. « On [elle, Jean-François Blais et Nancy Charest] était autour d’une table, on avait un projet, on a appelé la SODEC pour avoir de l’info et on nous a demandé le nom de la compagnie. Il y avait trois verres sur la table, il y avait du jus de pamplemousse, j’ai dit : “Pamplemousse Média!” ».

Et la femme au bout du fil de répondre : « c’est rafraîchissant! ».

Le nom est resté.

France, qui est maintenant seule à la tête de l’entreprise, n’avait pas de plan d’affaires précis. « Au début, c’était juste artisanal, c’était juste pour deux, trois shows. Mais avec ça, comment est-ce que je pouvais garder mon staff? Ça m’a amenée à grossir, à déléguer et ça m’a aussi amenée à valoriser la fonction de déléguer. Si j’étais restée petite, je n’aurais pas survécu. »

Fidèle à soi

La petite fille de Disraeli occupe aujourd’hui une place enviable dans l’univers de la télévision québécoise. En un peu plus d’une décennie, en plus de ses deux émissions phares Dis-moi tout et Pour emporter, Pamplemousse Média a produit une impressionnante quantité d’émissions, de séries, de documentaires, se lançant même dans la fiction il y a deux ans.

Son secret? Être bien entourée. « Mes parents m’ont montré ça, tu n’es pas obligée d’être capable de tout faire, mais il faut trouver qui autour de toi est capable. Il faut s’entourer des plus forts. Vouloir tout contrôler, ce n’est tellement pas ma façon de faire. Quand je dois embaucher, je me demande : “qui est en avant de moi là-dessus?” C’est valorisant pour les autres de savoir que je ne suis pas au-dessus d’eux. Si je ne peux pas faire confiance, ce n’est pas la bonne personne. »

France Beaudoin est, d’une certaine façon, au service de ses employé·e·s. « Ce que j’aimerais qu’ils sentent de moi, comme patronne, c’est que je sois un moteur pour faire arriver les choses, pour que les projets se réalisent. J’aime trouver des solutions, ça me motive. Je veux qu’ils sentent que je vais trouver les moyens, les personnes, les commanditaires pour y arriver. »

Elle leur donne aussi « le droit de ne pas bien aller des fois », droit qu’elle a par contre plus de mal à s’accorder. « Je ne me donne pas ce droit tant que ça, pas assez, te diraient les gens autour de moi. Pendant la pandémie, on s’est retroussé les manches, mais après, on roulait avec l’énergie du survivant. Il y a quelque chose de valorisant, de se dire que peu importe le pétrin, on va s’en sortir. Mais à un moment donné, j’ai dit : “donnez-moi un break”. C’est rare. »

France Beaudoin est, d’une certaine façon, au service de ses employé·e·s. « Ce que j’aimerais qu’ils sentent de moi, comme patronne, c’est que je sois un moteur pour faire arriver les choses, pour que les projets se réalisent. »

C’est rassurant, elle est humaine. « Quand tu montres toujours ton côté fort, les autres ne vont pas te ménager. Mais le respect, c’est aussi de montrer ses propres limites. »

Et de rester fidèle à soi, qu’on soit un homme ou une femme. « On dirige selon ce qu’on est comme personne. Je me suis un peu fait traiter de gars dans la vie. Je mesure cinq pieds et deux, je suis la p’tite fille avec une couette, je réglais pas ça à coups de “tabarnac” sur la table, mais je tranchais. Il a fallu que je prouve que ça pouvait marcher, qu’on pouvait trancher sans gueuler. »

France se fait aussi un devoir de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, elle qui a appris à la dure qu’il y avait encore du chemin à faire. « Il y a un moment dans ma vie où je me suis rendu compte que je gagnais moins que les gars. J’ai pleuré en boule… »

Elle s’est dit : plus jamais.

Il lui arrive de douter, comme pendant la pandémie alors que nos certitudes tombaient une à une. Elle a dû annuler en mars 2020 les deux dernières émissions de la saison d’En direct de l’univers, mais elle a décidé de revenir en force à l’automne avec toutes les mesures sanitaires possibles et inimaginables. « J’ai vécu beaucoup d’insécurité comme entrepreneure. J’avais appelé ma mère, je lui avais demandé : “est-ce que je mets du monde dans le trouble? Est-ce que je veux trop?” Ma mère m’avait répondu : “continue, essaye”. C’est ce que j’ai fait. »

Et, au travers des plexiglas, la magie a continué à opérer, encore plus.

Comme un pied de nez au virus.

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Titulaire d’un diplôme d’études collégiales en art et technologie des médias du cégep de Jonquière et d’un baccalauréat de l’Université Laval, Mylène Moisan est journaliste au quotidien Le Soleil depuis 1999. Elle y signe depuis 2012 une chronique suivie par des milliers de lectrices et lecteurs. Elle y raconte des histoires singulières, variées, qui touchent à la fois les gens et la société dans laquelle nous vivons. De 1994 à 1996, elle a travaillé comme journaliste à Toronto pour l’hebdomadaire francophone L’Express, puis à la chaîne télévisée TFO pour l’émission d’affaires publiques Panorama.