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Le travail à temps partiel : un choix assumé?

Une histoire de femmes

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Levier d’émancipation pour les unes, facteur d’inégalité pour plusieurs, le travail à temps partiel demeure une réalité largement féminine. L’accès des femmes à ce modèle d’emploi est-il motivé par un désir de qualité de vie meilleure, ou par obligation de mieux concilier famille et travail? Parfois l’un, parfois l’autre, souvent les deux…

À 67 ans, Nicole travaille à temps partiel depuis huit ans et n’entend pas s’arrêter de sitôt. « Je ne peux pas, j’ai des dettes! » s’exclame la pétillante dame qui dit payer encore pour un vieux projet d’entreprise dans lequel elle s’est « plantée ». Chaque année, cette Beauceronne enchaîne les contrats (cinq ou six en général) dans le domaine de l’horticulture. « Je ne sais pas ce qu’est le mot vacances ni le mot ennui », assure-t-elle, disant apprécier la variété que lui offre ce mode de vie quand même un peu essoufflant.

Nicole a bien tenté de profiter de la pénurie de main-d’œuvre pour travailler à temps plein, mais l’expérience s’est avérée déplaisante. « J’ai l’impression que le marché de l’emploi est prêt à accueillir les “têtes blanches”, mais que les humains ne le sont pas. J’ai vécu un conflit avec une autre employée plus jeune, et je me suis retrouvée exclue du groupe. J’ai démissionné. » Au moins, avec les petits contrats, les périodes délicates ne durent pas longtemps, s’amuse-t-elle.

Le travail à temps partiel – c’est-à-dire moins de 30 heures par semaine dans l’emploi principal – est avant tout une histoire de femmes : il affecte 22,1 % des femmes actives au Québec, contre 13,5 % des hommes. Deux tranches d’âge sont particulièrement touchées : les 15-24 ans (où on trouve beaucoup d’étudiantes) et les plus de 65 ans.

Pour Marie, 37 ans, embauchée par un organisme spécialisé dans le loisir des aîné·e·s au Bas-Saint-Laurent, il s’agit d’un choix assumé. « C’est important pour moi que mon emploi me donne la possibilité d’avoir du temps pour mes projets personnels, pour m’investir dans ma relation amoureuse ou pour me ressourcer. Mais je peux me le permettre, car je bénéficie de bonnes conditions de travail, je n’ai pas d’enfant et je ne suis pas une grande consommatrice. Il faut quand même avoir une bonne planification financière… »

Un choix, vraiment?

Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’IRIS

Comme Marie, 19 % des femmes de 25 à 54 ans travaillant à temps partiel le feraient par choix personnel, alors que 28 % le feraient pour s’occuper des enfants, montrent les chiffres de Statistique Canada. Le temps partiel serait « involontaire » dans 19 % des cas.

« Sans aucune surprise, les personnes qui disent travailler à temps partiel pour le soin des enfants ou des obligations personnelles – comme prendre soin d’un autre proche ou s’occuper de la maison – sont majoritairement des femmes », constate Eve-Lyne Couturier, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). Au passage, elle met en garde contre la dissociation entre choix volontaire et situation subie quand il s’agit de réduire ses heures de travail. « Qu’est-ce qui relève de la décision quand on ne contrôle pas toutes les circonstances? » questionne-t-elle.

Prenons un exemple d’actualité : une femme en fin de carrière voit ses parents vieillissants perdre leur autonomie. Effrayée après avoir vu ce qui s’est passé dans les CHSLD pendant la pandémie, elle peut juger préférable de travailler moins afin de leur consacrer du temps. Elle peut aussi tirer la même conclusion après avoir pris connaissance des frais d’hébergement en résidence.

Dans ce contexte, difficile de déterminer si sa décision est vraiment choisie. Idem pour les femmes qui ont de jeunes enfants, rebondit Ruth Rose, professeure associée au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal, aujourd’hui à la retraite : « Pour beaucoup, c’est un choix; pour d’autres, c’est une obligation en raison de leur santé mentale. »

Un facteur d’inégalité

« La société est structurée d’une telle manière que les femmes subissent une énorme pression pour concilier travail et famille », note Vincent Chevarie, responsable des dossiers politiques et des communications pour l’organisme Au bas de l’échelle, un groupe d’éducation populaire et de défense des personnes non syndiquées. « Ce contexte les force à faire des arrangements et à opter pour des jobs à temps partiel. » Avec un risque évident : celui d’accroître les inégalités entre les sexes, alors que des divergences de salaires au profit des hommes apparaissent dès les premières années sur le marché du travail, mentionne Ruth Rose.

C’est surtout dans le secteur des services (commerce de détail, restauration et hébergement) qu’on trouve des emplois à temps partiel, lesquels sont donc la plupart du temps peu qualifiés et plutôt mal rémunérés. Selon l’Institut de la statistique du Québec, 29,4 % des emplois à temps partiel sont à salaire minimum dans la province, contre 2,7 % des emplois à temps plein. Cet écart est surtout dû au fait qu’un grand nombre d’étudiant·e·s et de personnes en début de carrière exercent ces gagne-pain.

[D]ans quels secteurs verra-t-on se développer le travail à temps partiel? Généralement dans les emplois peu qualifiés du tertiaire, dans le domaine des services sociaux, commerciaux et professionnels. Et puis, aussi, dans deux secteurs bien précis, plus qualifiés, qui, comme par hasard, sont des ghettos d’emploi féminins : le secteur hospitalier et celui de l’enseignement.

– Billy, Hélène de (1982). Dossier « Le temps partiel pour qui? ». Gazette des femmes, vol. 4, no 1, p. 10.

En gagnant moins, les femmes risquent de basculer dans la précarité à court terme, mais aussi à long terme, puisqu’elles mettent ainsi moins d’argent de côté pour leur retraite. « Il faut voir quelles sont les ententes entre les membres du ménage », analyse prudemment Eve-Lyne Couturier. La chercheuse remarque tout de même qu’au Québec, l’union libre (qui protège moins la personne la moins rémunérée du couple – souvent une femme – que le mariage) est plus répandue qu’ailleurs au Canada.

Le temps plein plébiscité

Signe que le travail à temps partiel exerce un attrait relatif, alors qu’il y a de plus en plus de femmes sur le marché du travail, un pourcentage toujours plus élevé d’entre elles choisit de travailler à temps plein. C’était le cas de 87,2 % des Québécoises actives de 25 à 54 ans en 2022, contre 77,9 % en 1997, un chiffre maintenant plus élevé qu’ailleurs au Canada.

Ruth Rose pense que la mise en place de garderies à tarif abordable a joué un rôle dans cette progression, de même que l’évolution des mœurs. « Aucun politicien n’oserait dire aujourd’hui que les femmes doivent rester à la maison », donne-t-elle en exemple. À ce titre, le travail à temps partiel a constitué un facteur d’autonomisation il y a quelques décennies, mais surtout le début du chemin vers une participation pleine des femmes au monde professionnel.

« On voit, avec un mouvement comme Ma place au travail [qui revendique la création de places en garderie accessibles], que le choix d’une femme de s’émanciper à l’extérieur de la sphère familiale est reconnu comme valide, ce que je trouve remarquable », abonde Eve-Lyne Couturier. Avant de tempérer : « Encore faut-il que les places en garderie existent… »

Voilà certainement le coup de pouce dont les femmes ont besoin pour mettre leur emploi, qu’il soit à temps plein ou partiel, au service de leur émancipation : disposer des outils qui leur permettent de décider, comme Marie est capable de le faire, combien d’heures elles veulent travailler, indépendamment de leur situation familiale.

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