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Les CPE et le RQAP, pour une participation équitable des femmes au marché du travail

Des mesures sociales historiques

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Pendant de nombreuses années, les femmes ont dû faire face à des défis majeurs pour équilibrer leur carrière et leur vie de famille. Si des écueils persistent pour plusieurs, la création des centres de la petite enfance (CPE) et du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) a grandement facilité l’insertion professionnelle des femmes. Depuis cinq décennies, le Conseil du statut de la femme a joué un rôle important dans l’obtention de ces gains, en publiant nombre de mémoires, avis et recommandations à l’intention du gouvernement pour améliorer la situation des femmes sur le marché du travail.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, les femmes qui travaillaient étaient en majorité célibataires. Une fois mariées, elles quittaient généralement leur emploi pour se concentrer sur leur rôle de mère et de femme au foyer. Les congés parentaux étaient rares et non rémunérés.

« Les femmes mariées qui travaillaient étaient bien souvent issues de milieux socioéconomiques pauvres, ou étaient des femmes séparées de leur conjoint », explique l’historienne Denyse Baillargeon, spécialiste de l’histoire sociale des femmes, de la famille, de la santé et de la consommation au Québec.

Les femmes qui travaillaient devaient trouver des solutions individuelles pour la garde de leurs enfants. Plusieurs faisaient appel à leur belle-sœur, à une voisine, ou encore à des organisations comme les Sœurs grises, qui offraient des garderies de jour pour les enfants des quartiers ouvriers.

Encourager l’effort de guerre par les garderies publiques

Denyse Baillargeon, historienne

À partir de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les hommes sont mobilisés pour le service militaire, les femmes sont encouragées à entrer sur le marché du travail pour occuper les postes vacants. Pour permettre aux femmes de se libérer des tâches domestiques et encourager l’effort de guerre, le gouvernement fédéral ouvre des garderies publiques. Mais les oppositions de la société patriarcale et du clergé sont fortes, et les garderies sont mal reçues.

« On considérait que le rôle d’une femme était d’élever ses enfants. Une femme qui ne les élevait pas elle-même était mal vue. Il y avait cette crainte que les enfants élevés par les autres n’apprennent pas les bonnes valeurs. Puis il y avait cette idée que les garderies publiques et communautaires étaient des garderies communistes. C’était un régime politique honni en Occident, le communisme. C’était le régime ennemi », explique l’historienne Denyse Baillargeon.

Malgré les réticences, après la Guerre, de plus en plus de femmes intègrent le marché du travail. La société de consommation et le coût de la vie grandissant incitent les femmes à être en activité. « Il fallait dorénavant deux salaires pour répondre aux besoins de la famille », précise la professeure Baillargeon.

Alors que dans les années 1970, de plus en plus de femmes avec de jeunes enfants intègrent le marché du travail, les revendications se multiplient pour un accès abordable aux services de garde publics.

La naissance de services sociaux essentiels

Le Conseil du statut de la femme (CSF) a constitué un acteur clé dans ces revendications. C’est en 1970 que le gouvernement fédéral dépose le fameux rapport de la commission Bird, qui comprend plusieurs centaines de recommandations sur la situation des femmes au Canada. Il y est question de créer un réseau de services de garde abordables pour faciliter la participation des femmes au marché du travail. En 1978, le Conseil publie l’avis Pour les Québécoises : égalité et indépendance, dans lequel il réaffirme l’importance de cette recommandation. En 2001, le gouvernement du Québec adopte une loi instituant le RQAP, qui entrera finalement en vigueur en 2006, avant d’être réformé en 2020.

Lorsqu’on parle de congé de maternité, il faut d’abord distinguer le congé lui-même, c’est-à-dire le droit pour la travailleuse de quitter son emploi sans pénalité, et la rémunération pendant ce congé.

– Mailloux, Thérèse (1981). Travailleuses enceintes : protégez-vous!
Gazette des femmes, vol. 2, no 8, p. 28.

« Chaque fois que des réformes sont proposées, le Conseil effectue l’analyse des propositions mises sur la table, et produit des mémoires pour tenter de bonifier les mesures présentées par le gouvernement », explique Mélanie Julien, directrice de la recherche et de l’analyse au Conseil du statut de la femme. « Les services de garde et le congé parental sont des sujets qui transcendent le fil historique du CSF », ajoute Marie-Claude Francoeur, professionnelle de recherche au Conseil.

L’amélioration de la condition des femmes par le travail

La création des garderies subventionnées et des congés parentaux a ouvert aux femmes la possibilité de faire carrière « sans trop se poser de questions », indique Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’Université TÉLUQ, spécialiste en gestion des ressources humaines, en économie et en sociologie du travail. Ces services sociaux ont permis aux femmes non seulement de faciliter la garde de leurs enfants, mais aussi d’assurer leur retour en emploi après une maternité.

Les études ont démontré l’incidence directe de la création du réseau de services de garde à contribution réduite sur la participation des femmes au marché du travail. Selon les travaux de Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie St-Cerny, entre 1998 et 2015, le taux d’activité des mères d’enfants de moins de 5 ans est passé de 66 % à 79 %.

Cette insertion sur le marché du travail a également entraîné des retombées majeures sur l’indépendance financière des femmes. « Elles avaient accès à un salaire, elles pouvaient donc avoir plus de poids dans les décisions du ménage et contribuer financièrement, explique Marie-Claude Francoeur. Dans le cas d’une rupture, elles sont mieux protégées, car elles ne sont pas dépendantes financièrement d’un conjoint. »

Dans certains cas, cette émancipation financière a permis à des femmes de se libérer de situations de violence domestique. « En étant indépendantes financièrement, les femmes étaient moins contraintes de rester à l’intérieur d’un ménage ou d’un mariage violent », soutient Diane-Gabrielle Tremblay.

Nier le droit aux services de garde équivaut à nier le droit au travail. La question est cruciale, surtout en temps de crise. “Dans les années soixante, conclut Denise Picher, le droit à l’avortement était le fer de lance des mouvements de libération de la femme. Maintenant, ce sont les services de garde. Là où se situent les véritables enjeux de notre autonomie”.

– Billy, Hélène de (1983). Dossier « Grandeur et misère des services de garde au Québec ».
Gazette des femmes, vol. 4, no 6, p. 10.

« À l’heure actuelle, avec le déclin du nombre de places en CPE, un certain nombre de femmes qui ont pris un congé parental ont de la difficulté à retourner sur le marché du travail parce qu’il n’y a pas de service de garde dans leur région. Ça montre à quel point c’est un service tout à fait indispensable, qui a eu une incidence majeure sur l’activité des femmes, mais aussi sur le maintien en activité des femmes », explique Diane-Gabrielle Tremblay. « On pourrait dire la même chose pour les congés parentaux. Ça permet le maintien du lien d’emploi, ce qui est essentiel et déterminant pour la sécurité économique des femmes. »

Des services qui doivent encore être défendus et améliorés

L’an dernier, l’ancienne ministre responsable de la Condition féminine a mandaté le CSF pour étudier l’accès aux services de garde dans le contexte de la pénurie de places. « Ça fait partie de nos projets en cours d’examiner les conséquences de la pénurie de places sur les femmes, particulièrement sur le maintien en emploi des femmes », explique Mélanie Julien.

En plus de ce dossier d’importance, le Conseil s’est penché au fil des années sur la nécessité pour les CPE et le RQAP de répondre aux besoins de toutes les familles. « On sait que pour certaines femmes, c’est plus difficile d’accéder à des services de garde. On pense notamment à celles qui ont des horaires de travail atypiques, ou aux femmes à statut migratoire précaire, par exemple », poursuit Mélanie Julien.

Selon la directrice de la recherche, depuis la pandémie, le télétravail est aussi au cœur des préoccupations du CSF. « Le Conseil souhaite apporter un certain éclairage à la fois sur les bénéfices et les risques de ce nouveau mode d’organisation du travail pour les femmes ».

Devant les défis nouveaux auxquels font face le réseau des CPE, le RQAP et les pratiques professionnelles, le Conseil continue, grâce à ses travaux assidus, de jouer un rôle majeur dans la qualité de vie des femmes au travail.

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