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Femmes immigrantes et emploi : un parcours tortueux

L’intégration professionnelle, pivot de l’appartenance sociale

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Pour les personnes immigrées au Québec, trouver un emploi est un parcours parsemé d’embûches. La situation est pire encore pour les femmes qui cumulent des discriminations liées à la langue, au genre et, pour celles dites racisées, à l’origine ethnique. Incursion dans les dédales tortueux de l’intégration professionnelle des femmes immigrantes.

Nous sommes en 2015 dans la ville de Québec. Shiwa* doit absolument trouver un travail, alors qu’elle a accouché d’un petit garçon depuis tout juste trois mois. « J’ai perdu mon emploi quand j’étais enceinte et je n’avais pas le droit au congé maternité », explique celle qui est arrivée d’Iran en 2011 avec son mari. N’ayant pas non plus accès à l’assurance maladie, elle n’a eu d’autre choix que de travailler pour nourrir sa famille.

Mais trouver un emploi sera plus difficile que prévu : « En entretien, on m’a demandé si j’avais un enfant et ce que je ferais s’il tombait malade. » Dire qu’elle avait un mari présent n’a pas suffi.

Si Shiwa a fini par dénicher un emploi, elle ne s’autorisait pas à prendre congé : « Je pensais que j’allais perdre mon travail si je le faisais. Je travaillais tout le temps et parfois le week-end aussi. C’était vraiment difficile. Je ne voyais pas ce problème parmi les Québécoises. »

Aujourd’hui, Shiwa a 40 ans. Elle travaille à Montréal dans le secteur de l’assurance. Un domaine qu’elle aime pour la « sécurité et la stabilité de l’emploi », très précieuses après des années de précarité. Si elle a pu travailler, de nombreuses femmes immigrantes n’ont d’autre choix que de s’arrêter ou de réduire leur temps de travail pour les enfants, faute de soutien.

Selon la coordinatrice de projets Zohreh Mehdizadeh, l’absence du réseau familial constitue l’un des principaux obstacles à une insertion professionnelle viable des femmes immigrantes. « Ici, la femme n’a pas le même réseau que dans sa société d’origine. Si elle cherche un emploi, celui-ci devra être aligné sur les horaires de la garderie, et donc être à temps partiel, précaire, temporaire, etc. », explique la spécialiste du Centre social d’aide aux immigrants (CSAI). Et quand, comme Shiwa, on n’a pas accès aux garderies subventionnées ou à l’assurance maladie, le recours au secteur privé pousse à la précarité.

Une multitude d’obstacles

Katia Atif, directrice générale d’Action travail des femmes

Au Québec, obtenir un emploi peut en effet être un véritable parcours de combattant·e. S’il existe une multitude de réalités chez les femmes immigrantes, selon l’origine ethnique ou le statut (étudiante, résidente permanente, travailleuse en permis fermé, demandeuse d’asile ou parrainée), migrer et recommencer à zéro n’est jamais aisé.

Il faut d’abord s’attaquer à la reconnaissance de ses diplômes et de ses compétences, puis remplir les conditions pour intégrer un ordre professionnel, ce qui peut prendre des années. Ensuite, il faut obtenir la première expérience de travail québécoise, malgré la méfiance des employeurs envers les compétences étrangères.

Si ces discriminations systémiques sont vécues autant par les hommes que les femmes, elles peuvent davantage précariser ces dernières, selon Katia Atif, directrice générale d’Action travail des femmes.

En témoignent les chiffres d’emploi à Montréal : en 2021, 12,1 % des femmes immigrantes étaient au chômage, contre 9,7 % des hommes, 5,4 % des femmes nées au Canada et 7,4 % des hommes nés ici. Elles sont aussi moins présentes sur le marché du travail que les hommes immigrants et que les femmes et les hommes né·e·s au Canada, selon le Bulletin de l’immigration.

Vers des secteurs plus précaires

Face à ces obstacles, nombreuses sont celles qui changent de domaine (déqualification) ou qui se rabattent sur des emplois moins qualifiés (sous-qualification), ce qui se répercute sur leur intégration. « Les femmes acceptent plus facilement d’aller vers des secteurs plus féminins et donc plus précaires, si ce secteur leur garantit une autonomie financière », détaille Katia Atif.

À l’instar de Shiwa, qui a dû abandonner son doctorat. « Je ne parlais pas assez bien français, c’était difficile et le département ne m’a pas assez aidée. » C’est ainsi qu’elle s’est dirigée vers le commerce de détail et des permis de travail fermés, plus précaires.

Et ces discriminations multiples se retrouvent jusque dans le type de carrière des femmes immigrantes. « Les femmes subissent plus de préjugés liés à leurs compétences. On voit peu de femmes racisées cadres ou qui ont des postes de direction », explique Zohreh Mehdizadeh du CSAI.

Un document du Secrétariat à la condition féminine montre que certaines catégories professionnelles comme la gestion leur sont plus difficiles d’accès. En 2017, leur revenu médian est de 24 100 $, tandis que celui des hommes immigrés est de 32 900 $ et celui du Canadien moyen est de 59 800 $.

D’où vient ton accent?

« La situation est plus compliquée encore pour les femmes immigrantes et racisées. Elles peuvent être discriminées sur le genre, la religion, l’ethnicité, la langue, etc. », explique Zohreh Mehdizadeh.

L’immigrante vit une expérience des plus pénibles. Certains la décrivent ainsi : “la pire situation au Québec : être travailleur, immigrant et… femme!” […] Par ignorance de leurs droits, les immigrantes subissent bien des contraintes pour ne pas perdre leur emploi. On les retrouve ainsi sans assurance maladie, sans allocations de chômage et elles n’ont pas la moindre idée de ce que peut être un congé de maternité.

– Fabiani, Christiane (1980). Les immigrantes au Québec.
Gazette des femmes, vol. 2, no 1, p. 12-13.

Shiwa raconte avoir vécu beaucoup de discriminations liées à la langue, mais aussi à son origine. « Même pour un emploi de vendeuse, dans les trois quarts des entrevues, on me demandait d’où je venais, quel était mon accent. On me questionnait sur le voile ou la guerre. Cela me touchait énormément », raconte celle qui s’exprime pourtant dans un français clair et fluide.

Quelques années plus tard, Shiwa a aussi été renvoyée sans raison, après deux ans à tenir la boutique où elle était vendeuse pendant à la pandémie. Même si elle suspectait qu’elle subissait de la discrimination liée à son genre et à son statut d’immigrante racisée, elle ne s’est pas plainte. « Je ne connaissais pas mes droits et je ne savais pas que des ressources pouvaient m’aider. ». Elle a donc cherché autre chose, enchaînant les coûteuses demandes de permis de travail tous les 6 mois.

Le même genre de situation arrive à de nombreuses femmes qui connaissent peu ou pas leurs droits, mais aussi qui peuvent craindre de demander de l’aide ou de se plaindre, de peur d’être expulsées.

De son côté, Sasha* raconte avoir osé. Originaire de Pologne, elle a travaillé pendant deux semaines dans un café comme gérante avant d’être congédiée sans salaire. « J’ai suivi un atelier pour les immigrants qui m’a fait découvrir l’organisme Au bas de l’échelle, qui m’a encouragé à déposer une plainte. Cela a pris deux ans, mais j’ai gagné! », se réjouit-elle avec fierté. « Il est plus difficile pour une femme de se battre pour ses droits. Notre socialisation nous pousse souvent à régler les problèmes autrement », estime-t-elle.

Ces iniquités entre les hommes en général et les femmes immigrantes sont largement dénoncées par les organismes communautaires, dont Action travail des femmes, qui a récemment publié une étude sur les problèmes de la reconnaissance des diplômes des femmes immigrantes. Pour Katia Atif, cette publication vise à corriger ce qui constitue « le nerf de la guerre » et « un problème systémique ». Selon la directrice générale, un premier pas consisterait à penser les programmes d’intégration différemment pour les hommes et pour les femmes. Parce que l’intégration sociale des femmes immigrantes et leur sentiment d’appartenance à la société d’accueil passent aussi par une insertion en emploi réussie.

* Ces personnes n’ont pas souhaité partager leur nom pour préserver l’anonymat.

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