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Conditions de travail des femmes : des syndicalistes et des entrepreneures au diapason

D’avancées en défis

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Depuis des décennies, elles portent les luttes pour améliorer les conditions de travail et de vie des Québécoises. Des syndicalistes et des entrepreneures réfléchissent aux avancées historiques et aux défis à relever pour atteindre l’égalité sur le marché de l’emploi.

« Les entrepreneures tracent leur propre chemin, les yeux tournés vers le futur, mais le plus important, c’est ce qu’elles laissent derrière elles », affirme Anja Okuka, vice-présidente au développement des affaires et au marketing chez Café Castelo, une entreprise familiale de torréfaction de café basée dans la région de Québec.

Celle qui marche dans les pas de sa mère sur la voie de l’entrepreneuriat en sait quelque chose. « Ma mère n’a jamais eu peur de rien, dit Anja Okuka, qui a commencé à prendre du galon dans l’entreprise dès l’âge de 11 ans. Elle a montré que, même si les statistiques sont contre toi, tu peux surmonter tous les obstacles. Je tiens cela d’elle. »

Anja Okuka, vice-présidente au développement des affaires et au marketing chez Café Castelo

Les parents d’Anja Okuka ont lancé leur entreprise en arrivant au Québec d’ex-Yougoslavie, tout en apprenant le français. C’était en 1996, à une période où les conditions de travail des femmes faisaient un bond en avant au Québec. La même année, la Loi sur l’équité salariale était adoptée, après une immense mobilisation, notamment des groupes de femmes, des groupes syndicaux et du Conseil du statut de la femme.

Plus de 25 ans plus tard, Anja Okuka reprend le flambeau de l’entreprise familiale avec son frère. Elle tente aujourd’hui d’amener l’entreprise plus loin sur le plan de l’innovation et de la protection de l’environnement, tout en inspirant d’autres femmes à foncer pour mener leur projet d’entrepreneuriat. En 2018, elle a remporté le titre de Jeune personnalité d’affaires lors du Gala Jeune personnalité d’affaires Banque Nationale organisé par la Jeune Chambre de commerce de Québec. Elle s’implique aussi dans la communauté des affaires et au Centre des congrès de Québec.

« Autour de moi, il y a de plus en plus de femmes qui prennent leur place, poursuit la jeune entrepreneure de la relève. Ça surprend moins maintenant quand on voit une femme à la tête d’une entreprise, quoique les grosses entreprises sont toujours aux mains des hommes. »

Agriculture : l’obstacle de la représentation

Les gains se font également sentir dans le secteur agricole. « À présent, il y a beaucoup de femmes inscrites dans les écoles d’agriculture, je pense que c’est plus de la moitié, se réjouit Jeannine Messier, propriétaire de la ferme Équinoxe et présidente des Agricultrices du Québec. L’accès au financement est beaucoup plus facile qu’il ne l’était. Il y a des programmes, des formations, des barrières tombées. » Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que les femmes agricultrices peuvent obtenir un prêt à la banque sans la signature de leur conjoint, dit-elle pour illustrer le chemin parcouru depuis.

Jeannine Messier, propriétaire de la ferme Équinoxe, présidente des Agricultrices du Québec et membre du Conseil

Mais une barrière de taille demeure : le manque de représentation des femmes dans un secteur où le pouvoir de décision et les grandes entreprises restent principalement aux mains des hommes. « À l’Union des producteurs agricoles (UPA), les photos d’anciens présidents montrent qu’ils sont tous des hommes, il n’y a pas une femme et je ne sais pas quand il y en aura une », illustre Jeannine Messier, qui participe activement aux luttes syndicales dans le secteur. En plus d’être à la tête des Agricultrices du Québec, elle siège au Conseil du statut de la femme et au conseil de l’UPA international. Sans parler du fait qu’elle produit des asperges, des bleuets et du sirop d’érable, tout en étant mère et grand-mère.

« Souvent, les hommes qui siègent peuvent se reposer sur une femme qui tient la famille et l’entreprise, ajoute-t-elle, en pointant du doigt la persistance du partage inégal des tâches domestiques. Je pense que les femmes doivent être présentes, dire comment le milieu peut être attrayant pour elles. »

À cet effet, les Agricultrices du Québec travaillent en collaboration avec l’UPA pour atteindre la mixité, c’est-à-dire une proportion d’au moins 30 % d’élues au sein des conseils d’administration de l’UPA. Dans la province, plus du quart des propriétaires et copropriétaires des entreprises agricoles sont des femmes. Mais ces dernières sont sous-représentées aux tables de décision. Parmi les sièges disponibles au conseil général de l’Union, seulement quatre sont occupés par des femmes, calcule Jeannine Messier.

« À l’Union, on est encore vues comme des revendicatrices, des féministes enragées, dit-elle avec dépit. On est dérangeantes. Il reste du travail à faire. Et mon grand souhait, c’est qu’on n’ait plus besoin d’organisations féminines, que ça aille de soi, mais ce n’est pas demain la veille! »

Le fruit des luttes syndicales

Jessica Olivier-Nault, directrice du Service d’actions féministes et de l’équité salariale à la FTQ et membre du Conseil

« Le mythe de l’égalité atteinte est très grand, mais l’égalité n’est pas atteinte », affirme avec force Jessica Olivier-Nault, directrice du Service d’actions féministes et de l’équité salariale à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ). Sur le plan salarial, les femmes gagnent en moyenne 89 cents pour chaque dollar gagné par les hommes au Canada, selon Statistique Canada. L’écart s’accentue lorsqu’on regarde du côté des femmes racisées.

Les chantiers sont encore nombreux pour les organisations syndicales, précise Jessica Olivier-Nault, qui est aussi membre du Conseil du statut de la femme. Il reste encore du travail à faire pour valoriser et mieux payer les métiers traditionnellement féminins, comme ceux liés à l’éducation ou aux soins. Il faut aussi améliorer la conciliation travail-famille, les tâches domestiques incombant davantage aux femmes. Nous devons également prendre garde aux effets des mesures d’austérité, qui affectent principalement les femmes.

Il importe par ailleurs de s’attaquer aux inégalités de revenus à la retraite. Les femmes gagnent un revenu inférieur à celui des hommes pour toutes sortes de raisons : elles occupent des emplois systématiquement moins bien rémunérés, elles sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel, elles s’absentent plus souvent pour exercer leur rôle de proche aidante, etc. Les organisations syndicales s’impliquent aussi pour sortir de l’ombre la violence domestique, laquelle engendre toutes sortes de répercussions dans la sphère du travail.

S’il est incontestable que la syndicalisation a amélioré le sort des travailleurs, il n’en reste pas moins que les progrès sociaux réalisés n’ont pas tenu compte – ou si peu – des problèmes spécifiques des travailleuses. C’est pourquoi, depuis une dizaine d’années, des comités de la condition féminine ont été créés dans les trois grandes centrales syndicales : FTQ, CSN et CEQ.

– Roy, Monique (1979). Dossier « Pour améliorer leur vie quotidienne, les travailleuses se regroupent ».
Gazette des femmes, vol. 1, no 2, p. 15.

« La dimension du travail est interreliée avec toutes sortes de sphères, observe Jessica Olivier-Nault. À mon avis, c’est important en 2023 de penser notre action syndicale dans une perspective intersectionnelle et holistique, qui s’intéresse aux travailleuses et travailleurs dans leur entièreté, à l’intersection de systèmes d’oppression que sont le racisme, le sexisme, le colonialisme, le capacitisme et le patriarcat. »

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