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Reconstruction mammaire? Oui, mais plate. Merci.

Un récit troublant sur les préconceptions du corps féminin et l’autodétermination des femmes

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Marie-Claude Belzile

Février 2017, au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), Marie-Claude Belzile est prête pour son opération. À 8 h 30, c’est l’entrée au bloc opératoire, moins d’un an après la décharge électrique ressentie dans son sein et six mois de chimiothérapie. À 12 h 30 : elle se réveille après une mastectomie totale. Marie Claude a 31 ans. Comme une femme sur huit au Canada, elle a reçu un diagnostic de cancer du sein.

À 14 h 30, elle est de retour chez elle, à Montréal, sans peau qui dépasse. Comme plusieurs femmes, elle a préféré vivre sans seins à la suite de son opération. Les raisons sont multiples. Certaines femmes veulent une convalescence brève, et la chirurgie la plus courte et la moins invasive, sans corps étranger. Marie-Claude a donc opté pour une reconstruction, oui, mais plate, comme elle l’a indiqué à son chirurgien-oncologue. La reconstruction des seins (avec ou sans) fait partie du traitement.

Quelques semaines plus tôt, son réveil aurait été tout autre. « Si je n’avais pas vu la requête [de reconstruction] par hasard dans les mains de l’infirmière, je me serais réveillée avec des expanseurs », raconte-t-elle, encore choquée. Un expanseur est une prothèse que l’on insère dans le sein et que l’on remplit de liquide dans les mois suivants en fonction de l’élasticité de la peau et du volume souhaité.

Marie-Claude a eu de la « chance » de voir cette requête à temps et de la faire modifier. D’autres femmes se réveillent avec des lambeaux de peau laissés en cas de reconstruction tardive. « T’es endormie sur une table, et quelqu’un fait quelque chose auquel t’as pas consenti », se désole la patiente.

Des dizaines de femmes l’ont contactée après qu’elle eut rendu publique son expérience. La Fondation du cancer du sein du Québec « reçoit aussi beaucoup d’appels de patientes dans ce cas », comme en témoigne Jida El Hajjar, vice-présidente aux investissements et à la promotion de la santé de l’organisme. Mais aucun chiffre sur les femmes qui ont subi une chirurgie de reconstruction des seins contre leur gré n’est disponible.

Être informées

Au printemps dernier, Marie-Claude Belzile a lancé une pétition adressée au gouvernement du Québec. Elle demandait d’abord « que tous les choix en matière de chirurgie post-mastectomie soient donnés aux patientes, incluant le choix de vivre poitrine plate », pour que celles-ci soient en mesure de prendre une décision libre et éclairée.

Le docteur Bou-Merhi, chirurgien plasticien et directeur de l’Unité de reconstruction mammaire du CHUM, assure pourtant que la première question posée après l’annonce de la mastectomie est celle de la reconstruction, et que si la personne opte pour une poitrine plate, « on est d’accord ». Il appuie son propos en donnant l’exemple d’une de ses dernières patientes, « une belle femme, début soixantaine, très chic. Je pensais qu’elle allait faire la reconstruction [avec des seins] ». Finalement, elle préférait se concentrer sur son traitement et se faire opérer dans les prochaines années si jamais elle ne s’adaptait pas à son nouveau physique. « Si elle se sent vraiment bien dans sa peau, pourquoi pas? » renchérit-il.

« En éthique, on oppose le paternalisme médical au droit à l’autonomie et à l’autodétermination des patientes. Toutes les femmes doivent avoir le choix du corps qu’elles désirent. C’est de la justice sociale. »

– Sihem Neïla Abtroun, doctorante en bioéthique

Près d’une patiente sur quatre aura besoin d’une mastectomie pour lutter contre son cancer. En clinique, le plasticien note que « la majorité des femmes demande une reconstruction avec des seins et seulement 5 à 10 % d’entre elles souhaitent une poitrine plate ». En cas de malentendu, le chirurgien suggère de solliciter un deuxième avis médical.

D’un point de vue éthique, la mission des médecins est « d’accompagner la prise de décision des patient·e·s, en donnant un maximum d’informations. Mais non de guider ce choix », comme l’explique Sihem Neïla Abtroun, doctorante en bioéthique à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Marie-Claude Belzile pense que « ce n’est pas le travail des chirurgien·ne·s de dire comment on doit se sentir femme. C’est important que les médecins n’amènent pas leurs préconceptions du corps féminin en salle de consultation ».

Paternalisme médical

L’onco-chirurgien de Marie-Claude avait décidé qu’avoir des seins serait mieux pour elle. Pourtant, aucune étude scientifique n’a évalué le bien-être des femmes atteintes d’un cancer après leur choix de vivre avec une reconstruction plate ou avec de nouveaux seins. Seule la qualité de vie des jeunes femmes dont la poitrine a été reconstruite après une mastectomie totale préventive est documentée, et des bienfaits sur le moral sont notamment observés.

Les raisons invoquées par le corps médical se répètent dans plusieurs témoignages : « vous êtes jeune », « vous risquez de changer d’avis », « votre conjoint, qu’en pense-t-il? »… Le docteur Bou-Merhi perçoit aussi que l’habillement est une préoccupation pour ses patientes : « Les femmes veulent s’habiller sans avoir honte, aller à la plage en bikini. »

Sihem Neïla Abtroun explique qu’« en éthique, on oppose le paternalisme médical au droit à l’autonomie et à l’autodétermination des patientes. Toutes les femmes doivent avoir le choix du corps qu’elles désirent. C’est de la justice sociale. »

Être bien opérées

La pétition réclamait aussi que chaque « patiente ait droit aux mêmes compétences et soins que celles qui ont une reconstruction des seins ». Le docteur Bou-Merhi affirme que cette opération ne nécessite pas de plasticien·ne·s et que les onco-chirurgien·ne·s sont aptes à faire de belles cicatrices. Même s’il concède que « [ces derniers] devraient faire un effort pour ne pas laisser des excès de peau inesthétiques [en cas de reconstruction plate] ».

Être respectées

Au Québec et dans le monde entier, de nombreuses femmes subissent un déni de leur choix de vivre avec une poitrine plate. Les États-Unis ont vu naître le mouvement des flatty sisters (« sœurs plates »). Une liste de chirurgien·ne·s respectant ce choix (flat friendly) y circule. Au Québec, rien de tel encore. Mais Marie-Claude a créé la page Facebook Tout aussi femme, pour normaliser le choix de vivre avec une poitrine plate.

Elle déplore par ailleurs le manque de dialogue avec le milieu médical. Seul le comité des usagères et des usagers du CHUM lui a répondu, parce qu’elle n’était pas la première à signaler le non-respect de sa requête de reconstruction plate. À la suite de quoi, pour la première fois en 2019, cette option a été présentée lors de la Soirée bravoure du CHUM, anciennement le Bra Day, un événement annuel d’informations sur le cancer du sein. Marie-Claude y a été invitée à montrer sa poitrine plate, dans un coin plus intime destiné à regarder les seins reconstruits.

Encore aujourd’hui, des médecins décident qu’une femme se doit d’avoir des seins. Devant un refus d’avortement, on invoque l’objection de conscience. En cas de refus de vivre sans seins, on parle de paternalisme médical. En plus des violences gynécologiques, parlons maintenant des violences oncologiques.

Marie-Claude Belzile a publié en novembre 2019 le livre Penser le sein féministe (L’Esprit libre).