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Le trouble dysphorique prémenstruel : une souffrance méconnue

Coup d’œil sur un désordre difficile à cerner

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Environ 3 à 10 % des personnes menstruées sont atteintes du trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), une forme sévère du syndrome prémenstruel (SPM). Avec, au premier plan, des symptômes psychologiques lors de la phase lutéale, soit entre l’ovulation et les règles. Crises de panique, colère, agressivité, profonde tristesse, anxiété sociale, difficultés de concentration, apathie et pensées suicidaires font partie des éléments qui peuvent émerger au cours de chaque cycle.

« C’est une dépression majeure qui arrive en un claquement de doigts, résume Karine, 41 ans. Quand j’étais employée, ça se passait très mal. »

Si des symptômes physiques comme le gonflement des seins, des maux de tête, des douleurs articulaires ou de la fatigue sont aussi présents, c’est la variation des émotions qui interfère le plus avec les relations et les activités socioprofessionnelles. « Le plus difficile est l’anxiété exacerbée qui m’empêche d’avoir de l’intérêt même pour les loisirs que j’aime généralement », témoigne Caroline, 28 ans.

Un long et douloureux recommencement

Ce désordre émotionnel s’estompe jusqu’à cesser complètement pendant les menstruations et la phase folliculaire, puis revient chaque cycle, ou presque, après l’ovulation. Si cette période coïncide avec celle du SPM, très fréquent chez la population féminine, le TDPM est une condition plus rare et plus intense, souligne le psychiatre Richard Bergeron, fondateur de la Clinique SPM de Gatineau. « Il a des impacts importants sur la vie; on parle d’absentéisme au travail, d’incapacité à réaliser des tâches, de dépression sévère, parfois de tentatives de suicide. Et d’un point de vue familial, ça peut devenir très difficile. »

Des études estiment que ce trouble débute autour de l’âge de 30-35 ans et peut durer jusqu’à la ménopause. Puisque la condition est intimement liée aux menstruations, deux situations radicales peuvent la stopper : la grossesse et le retrait chirurgical des ovaires. « Des solutions qui n’en sont pas », commente le Dr Bergeron qui, à ce jour, a été témoin de seulement quatre cas intenses où les personnes atteintes ont choisi l’ovariectomie.

« Le TDPM est un problème neuroendocrinien. Ce n’est pas un problème psychologique, mais c’est un trouble dont les effets sont psychologiques. »

– Dr Richard Bergeron

Sur le banc des accusés? Les hormones, et notamment une baisse de la sérotonine, le régulateur de la sensation de bien-être. « Il y a des variations d’hormones, on le sait, mais on ne connaît pas la cause exacte du TDPM, déplore le spécialiste. De nombreuses études ont été menées depuis 25 ans avec des suppléments de progestérone, d’estrogène, les deux, des médicaments pour faire cesser l’ovulation, etc. Tout a été essayé, avec des résultats mitigés. »

À défaut d’un traitement spécifique, des contraceptifs oraux peuvent être prescrits dans certains cas pour stabiliser le taux d’hormones chez les jeunes femmes. « On a aussi parfois recours à des antidépresseurs dans les 10 jours qui précèdent les menstruations uniquement, continue le psychiatre. Mais pas n’importe lesquels, ce sont des antidépresseurs à faible dose qui ont un effet particulier sur la sérotonine. »

Priscilla Lubin, fondatrice du compte Instagram TDPMetmoi

Un trouble de santé mentale?

Si, à ce jour, la mécanique des hormones reste un mystère, les répercussions de celles-ci et la détresse psychologique qui en découle sont bien réelles. Le TDPM est-il donc une maladie mentale? La réponse n’est pas si simple. Bien que le TDPM soit considéré comme un trouble de l’humeur depuis 2013 par le DSM-5 (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ouvrage de référence en psychiatrie), plusieurs craignent une dérive.

« Le TDPM est un problème neuroendocrinien. Ce n’est pas un problème psychologique, mais c’est un trouble dont les effets sont psychologiques, souligne Richard Bergeron. Oui, c’est important que les femmes puissent savoir ce qu’elles ont, mais poser un diagnostic psychiatrique à 5, 10, voire 20 % de la population féminine est à double tranchant. »

Toutefois, cette entrée du TDPM dans le DSM-5 aura marqué un tournant. Pour qu’un diagnostic soit établi, cinq des 11 symptômes listés dans le Manuel doivent être présents pendant la plupart des cycles menstruels de la dernière année. Ces informations viennent poser les bases d’une meilleure compréhension du trouble et des personnes souffrantes qui, jusqu’à présent, ont été peu diagnostiquées et encore moins comprises.

Un manque de reconnaissance

« Le statut de trouble mental vient crédibiliser le TDPM, pense Karine. Les gens vont peut-être enfin comprendre que ça existe, c’est reconnu, on peut agir! »

« C’est certain qu’on va continuer à nous stigmatiser et à nous montrer comme une bande d’hystériques à cause de nos menstruations [rires]! Mais tant pis, au bout d’un moment, notre douleur sera prise au sérieux par les médecins », abonde Caroline, qui a pris conscience de sa pathologie seule, il y a cinq ans, après avoir méthodiquement noté ses symptômes pendant plusieurs mois et consulté des ressources sur Internet. « On m’a dit que c’était normal, c’est le SPM. Mais penser au suicide une fois par mois, ce n’est pas normal. On parle encore trop peu des maladies associées aux femmes. Mais il y a de l’espoir. Par exemple : l’endométriose. On n’en parlait pas du tout avant et le sujet fait désormais du bruit. »

Surpris, mais conscient que le TDPM demeure amplement méconnu, le Dr Bergeron souhaite que les efforts en matière de formation médicale sur le sujet continuent, notamment auprès des médecins de famille et des gynécologues, qui sont en première ligne.

Solidarité en ligne

Ces dernières années, des ressources en ligne et des groupes d’entraide sur les réseaux sociaux, majoritairement en anglais, se sont multipliés pour faire connaître le trouble.

Après avoir découvert qu’elle était atteinte du TDPM grâce à un groupe Facebook anglophone, la Française Priscilla Lubin fonde TDPMetmoi en mai 2019. Il s’agit du seul compte Instagram francophone sur le sujet au moment de l’entrevue. « Ma mission est de rendre visible cette maladie chronique et d’apporter mon soutien aux femmes francophones qui en souffrent ou qui ont un rapport difficile avec leur cycle menstruel », indique Mme Lubin, qui n’hésite pas à prendre la parole et à partager dans ses stories ses journées plus difficiles.

La réaction des internautes a tout de suite été positive. « Beaucoup utilisent ma page pour expliquer le TDPM à leurs proches ou à leur médecin. C’est comme si cette communauté avait enfin le pouvoir de valider leur douleur. » Selon Priscilla Lubin, ces espaces numériques solidaires sont un outil indispensable pour aider les personnes atteintes du trouble à s’informer, à valider leur condition et à se déculpabiliser lorsque revient inlassablement la phase lutéale, synonyme de détresse mentale.