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Femmes entrepreneures : faire partie de la conversation

… et ouvrir de nouveaux chapitres

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Adam Winger (unsplash.com)

Elles ont marqué le Québec par leur audace et leur fibre entrepreneuriale. Des femmes comme Lise Watier, Monique Leroux ou Cora Tsouflidou ont été les modèles d’une génération. Au-delà des écueils, elles ont fait l’histoire par leur talent et leur ténacité. Aujourd’hui, force est de constater que les défis auxquels font face les femmes d’affaires ne datent pas d’hier. En entrevue, les membres du Conseil du statut de la femme Déborah Cherenfant et Julie Bédard sentent que les choses sont peut-être sur le point de changer.

Directrice régionale spécialisée en entrepreneuriat féminin à la Banque TD, Déborah Cherenfant a une feuille de route marquée par la volonté de laisser plus de place aux femmes en position de leadership. En 2010, elle publie les premiers articles de son blogue Mots d’Elles, qu’elle alimentera jusqu’en 2016. Lorsqu’on parcourt les nombreux articles, force est de constater que plusieurs pourraient avoir été rédigés hier. Car tous dépeignent des réalités toujours familières pour les femmes qui aspirent à se lancer en affaires, à accéder à des positions de leadership ou simplement à faire reconnaître leurs compétences.

« Je pense aux premiers textes que j’ai écrits, j’étais en vacances à Haïti, mon pays d’origine, en décembre 2010. Ça fait plus d’une décennie. Je me réjouis que ces analyses soient encore d’actualité, mais je me désole de constater que 12 ou 13 ans plus tard, on pourrait avoir les mêmes conversations, comme si rien n’avait avancé. Pourtant, on a progressé, même si on parle toujours des mêmes enjeux. L’intention derrière Mots d’Elles est toujours valide, parce qu’on a encore besoin de modèles », reconnaît Déborah Cherenfant.

Julie Bédard a été la première femme présidente-directrice générale de la Chambre de commerce de Québec, après 209 ans d’histoire. Investisseuse et entrepreneure, elle voit régulièrement les femmes se tourner vers elle pour obtenir des conseils. Elle note, elle aussi, que certains sujets demeurent d’actualité, malgré le passage du temps. Le réseautage notamment. « Comment bâtir le réseau, comment tisser des liens? On me le demande souvent. Puis vient le syndrome de l’imposteur, cette impression de ne pas être encore prête à passer à l’action. La gestion du risque est aussi différente chez les femmes, malgré tous les efforts. Chez celles qui se lancent, ce sont des questions qui reviennent souvent, encore aujourd’hui. »

Les mots justes

Déborah Cherenfant, membre du Conseil

Pour que puissent changer les choses et la perception envers les femmes entrepreneures, une analyse du vocabulaire s’impose. Lorsqu’on parle d’entrepreneuriat au féminin, les mots pour décrire les différents programmes font souvent référence à des notions de soutien, d’accompagnement, d’aide ou d’encadrement.

« C’est comme si on ne pouvait pas y arriver seule, traduit Déborah Cherenfant. D’un côté, on veut offrir davantage de ressources, mais on entretient cette idée que les femmes ont besoin d’être formées. »

Julie Bédard se questionne sur l’usage du mot parité et sur cet idéal à atteindre que plusieurs organisations se donnent. « On semble croire qu’on doit laisser la place à une femme qui n’aurait pas le même CV qu’un homme. Ce n’est pas ça. L’objectif est plutôt d’encourager la complémentarité autour d’une même table. Il faut laisser la chance à des profils et comprendre que c’est nécessaire d’avoir de la différence dans un groupe. »

Les concepts d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) sont de plus en plus présents en gestion. Les pratiques d’EDI en entreprise visent à créer un environnement professionnel où l’ensemble des employé·e·s sont traité·e·s équitablement, se sentent valorisé·e·s et peuvent  participer pleinement.

Toutefois, ce concept devrait être complémentaire aux efforts pour faire plus de place aux femmes, croit Déborah Cherenfant. « Ça donne l’impression d’englober les femmes dans quelque chose de beaucoup plus large. Oui, on fait partie de la conversation sociale, la place des femmes fait partie des changements que l’on veut voir apparaître, mais je suis de ces puristes qui croient que l’EDI est une question distincte qui doit être traitée de manière distincte. »

Miser sur la constance

Julie Bédard, membre du Conseil

Pour permettre à davantage de femmes de performer et rayonner en affaires, les deux entrepreneures croient en la poursuite des initiatives actuelles, sans pour autant multiplier les programmes existants.

Julie Bédard y voit un effort de constance. « Il ne faut tout simplement pas baisser la garde. Si on ne veut pas reculer ou faire du surplace, il faut avoir une constance dans l’accompagnement et le propos : celui qui ne heurte pas, qui n’est pas péjoratif. On s’est sophistiqué avec le temps pour avoir une constance dans l’inclusion des femmes, sans que ce soit un combat. C’est cette voie qui sera pérenne et qui nous permettra de dire : mission accomplie. »

En rétrospective, elle croit qu’il est plus facile aujourd’hui pour une femme de se lancer en affaires ou d’accéder à des postes de haut niveau que ce l’était en 1994, à son entrée sur le marché du travail. « Les leaders féminines actuelles comprennent le rôle qu’elles ont à jouer pour prendre sous leur aile de jeunes professionnelles. »

La fin d’un chapitre?

L’entrepreneuriat féminin, dans 10 ans, Déborah Cherenfant l’imagine entrepreneuriat tout court. « Peut-être qu’il faut passer par la spécificité pour que ça devienne une normalité, mais j’espère qu’on parlera d’entrepreneures qui lancent leur entreprise, tout simplement. Rareté, ou spécificité dans l’écosystème, j’espère que nous aurons plutôt une nouvelle normalité. »

Julie Bédard voit davantage de femmes dans des rôles clés d’ici la prochaine décennie. « Dans des CA, à des postes de présidente, de vice-présidente, en entrepreneuriat, des femmes investies en gouvernance. Des femmes peuvent viser à avoir des entreprises de 50 millions, 100 millions et plus. Tout est là pour être capable d’y arriver en misant sur l’entraide, la solidarité féminine et la confiance. »

Dans quelques années, qu’en sera-t-il de la pertinence des programmes spécifiques, activités et rassemblements destinés aux femmes en position de leadership? Ce ne sera peut-être plus nécessaire, conclut Déborah Cherenfant.

« Quand elles feront partie de la conversation, il arrivera un moment où on n’aura plus besoin de ces programmes. Il faut amener de la visibilité, car ces femmes existent. Je n’ai pas envie de convaincre des femmes de se lancer en affaires. Je travaille avec celles qui le sont déjà. Il y en a beaucoup, mais elles n’ont peut-être pas la visibilité que d’autres personnes pourraient avoir. Mettons en lumière celles qui existent déjà, elles ont tout pour devenir des modèles. »

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