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Entrepreneures autochtones : l’économie sociale au service des générations

Tisser les communautés

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Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Ashim D’Silva (unsplash.com)

Les femmes autochtones sont de plus en plus nombreuses à lancer des projets dentrepreneuriat. Petits moteurs économiques dans leur communauté, ces entreprises au féminin répondent aux besoins, mettent en valeur la culture autochtone et bâtissent des ponts… pour la réconciliation.

Face à leurs machines à coudre, deux artisanes s’affairent à assembler des mitaines et des mukluks, des bottes traditionnellement faites de peaux de caribou ou de phoque. Originaires de la communauté innue de Uashat mak Mani-utenam, les artisanes échangent quelques mots et éclatent de rire. Elles ont tout appris ici, à l’atelier-boutique Atikuss, une entreprise qui vise à revaloriser le travail et le savoir traditionnel des femmes autochtones du Québec et à donner un salaire équitable aux artisanes.

Josée Shushei Leblanc, fondatrice d’Atikuss, fait irruption avec un sourire rayonnant. Dans la boutique, des capteurs de rêve pendent du plafond. Sur les présentoirs trônent des bottes, des mocassins, des chapeaux et des mitaines faits de peaux et de fourrures naturelles. Les motifs de perlage ont été façonnés par des femmes autochtones itinérantes hébergées dans un refuge à Montréal. Les produits sont fabriqués par la petite dizaine d’employées de l’entreprise, mais aussi, par des femmes des 11 communautés autochtones du Québec.

Transmettre et grandir

Josée Shushei Leblanc, fondatrice d’Atikuss

« Je réalisais que les femmes gagnaient entre 3 et 5 $ l’heure à fabriquer des mocassins et que leurs filles ne souhaitaient pas apprendre ce savoir, explique Josée Shushei Leblanc sur les origines du projet. J’ai senti une urgence d’agir pour trouver une façon pour que ces femmes gagnent un salaire minimum et que ce savoir-faire perdure. »

En 2014, après avoir racheté un stock de matériaux d’artisanat, Josée Shushei Leblanc démarre Les bottes de l’espoir, une initiative qui obtient beaucoup de visibilité grâce à l’émission Dans l’œil du dragon et qui deviendra le produit vedette d’Atikuss. Après avoir calculé leur coût de revient, Josée Shushei Leblanc augmente le prix de vente des mocassins et multiplie le revenu des artisanes.

Les défis sont pourtant colossaux pour se tailler une place en tant que nouvelle entreprise. « Les institutions conventionnelles ne prêtent pas, parce que tu es insaisissable sur une réserve, explique Josée Shushei Leblanc. Tu dois donc mettre ton argent personnel. Pour te lancer en affaires [à l’époque], il fallait que tu sois un peu fou! »

Des clients quittent la boutique avec leurs emplettes. Trois préposées retournent à une table de travail, où elles fabriquent des capteurs de rêve qui iront enrichir le stock du magasin. Petit à petit, l’entreprise grandit. La pose des semelles sur les bottes sera maintenant mécanisée, ce qui permettra de produire 100 bottes au lieu de deux par jour, calcule fièrement Josée Shushei Leblanc. Et bientôt, l’équipe composée de femmes innues de Uashat accueillera également une couturière originaire du Togo.

« Je suis entrepreneure, parce que je dois gagner de l’argent pour faire ma mission », s’exclame Josée Shushei Leblanc qui cumule les prix. Cette année, elle a raflé le prix Femme entrepreneure exceptionnelle de l’année, décerné par Tourisme Autochtone Canada. Elle est également finaliste du prestigieux concours Femmes d’affaires du Québec dans la catégorie petite entreprise. Atikuss inspire dans le monde des affaires, mais pas seulement.

Depuis septembre, l’atelier-boutique est aussi un économusée. Des vidéos de caribous et d’eiders à duvet sont projetées sur les murs et les visiteur·euse·s peuvent lire des panneaux d’interprétation sur les savoirs et techniques traditionnels disposés harmonieusement au sein de l’atelier-boutique.

« Ce que je voulais, c’est qu’en sortant d’ici, les gens aient envie d’en apprendre davantage sur les Autochtones », dit-elle, en ajoutant qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour rapprocher les populations de Uashat mak Mani-utenam et de Sept-Îles. Par sa mission, Atikuss devient un moyen, selon Josée Shushei Leblanc, de tisser des liens entre les Autochtones et les allochtones de la région.

Entreprendre pour réconcilier

« Ce qu’on veut [les femmes autochtones] en démarrant des entreprises, c’est de soutenir notre communauté et les générations futures », affirme Mélanie Paul, entrepreneure et conférencière originaire de Mashteuiatsh, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

« L’entrepreneuriat, chez les Premières Nations, c’est assez récent », rappelle-t-elle en énumérant les défis structurels auxquels font face les femmes. Outre la question du financement, il y a aussi le degré de scolarité, l’éloignement de certaines communautés, le manque de services de garde, la précarité financière des mères de famille monoparentale ou le manque de modèles féminins en entrepreneuriat.

« Je pense que les femmes autochtones ont un rôle à jouer dans la réconciliation. Les femmes, en contribuant socialement et économiquement, brodent des liens. »

– Mélanie Paul, entrepreneure et conférencière

Mais la situation s’améliore. Au cours des dernières années, de plus en plus de femmes autochtones défrichent de nouvelles voies en entrepreneuriat. À Uashat, par exemple, Josée Shushei Leblanc a été suivie de Mathilda Fontaine, propriétaire de l’entreprise de couture Créations Puamun, et de Shania Gros-Louis Gasse, qui a ouvert une garderie familiale regroupant enfants autochtones et allochtones. Cette dernière entrepreneure caresse à présent l’idée de s’investir dans la fabrication de décorations pour des événements comme des mariages.

Au même titre que Josée Shushei Leblanc, Mélanie Paul fait d’ailleurs partie des pionnières dans l’univers entrepreneurial autochtone. Elle mène, de front, trois entreprises : Inukshuk Synergie, Akua Nature et Mocassins et Talons hauts. À travers ces projets, elle offre notamment des ateliers et des conférences basés sur les savoirs traditionnels et la spiritualité autochtone. Elle vend aussi des produits issus de plantes médicinales ou de petits fruits.

« De plus en plus, on voit que les femmes ont envie de se reprendre en main et de reprendre leur place, observe Mélanie Paul, en ajoutant que les femmes autochtones étaient considérées comme égales aux hommes avant la colonisation. On voit les femmes créer leur entreprise. Ce sont beaucoup des entreprises d’économie sociale, qui ont à cœur l’humain. Les femmes sont un peu porteuses du bien-être de la communauté. »

« Je pense que les femmes autochtones ont un rôle à jouer dans la réconciliation, poursuit Mélanie Paul. La « réconcili-action », c’est à travers des actions concrètes, des projets communs entre Autochtones et allochtones, qu’on pourra apprendre à mieux se connaître, à se faire confiance, et à créer des projets porteurs pour les jeunes et l’avenir. Les femmes, en contribuant socialement et économiquement, brodent des liens. »

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