Aller directement au contenu

Décider (et dessiner) la ville inclusive

L’Europe, pionnière du féminisme urbain

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :4 minutes

Bandeau :Photo : © Kinga Howard (unsplash.com)

Elles occupent les mairies et les services durbanisme des municipalités pour les rendre plus sûres et accueillantes. De Nantes, qui ambitionne de devenir la première ville non sexiste de France, jusqu’à Vienne, la pionnière du féminisme urbain, en passant par le déneigement égalitaire de la suédoise Karlskoga, tour dhorizon dinitiatives européennes inspirantes.

Johanna Rolland veut d’une cité qui appartient autant aux femmes qu’aux hommes. En 2020, lors de sa campagne pour sa réélection, la maire socialiste s’est engagée à faire de Nantes la première ville non sexiste de France en 10 ans.

Mahaut Bertu porte cet ambitieux mandat. Adjointe à l’égalité, à la ville non sexiste et à la lutte contre les discriminations, elle se sent totalement appuyée par sa maire. « Je pense qu’un homme maire pourrait avoir le même objectif, mais je ne suis pas sûre qu’il y mettrait les moyens qu’on y met », souligne l’élue nantaise.

Moins de ballons, plus d’imagination

Mahaut Bertu, adjointe à l’égalité, à la ville non sexiste et à la lutte contre les discriminations

En pensant faire du neutre, les villes ont longtemps fait du masculin, reléguant, sans en être conscientes, les filles et les femmes à l’espace privé. Et cette occupation inégale des lieux est intégrée très tôt.

« Dès l’enfance, le premier espace public que vont se partager les filles et les garçons, c’est la cour d’école. Et chez nous, elle est souvent conçue autour d’un grand terrain de soccer qui occupe la majorité de l’espace. Rapidement, les filles vont intérioriser l’idée qu’elles doivent utiliser l’espace qu’on leur laisse, sans déranger le bon déroulement de l’activité principale », se désole Mahaut Bertu.

En réaménageant ses cours d’école de façon plus égalitaire, sans placer systématiquement les jeux de ballons au cœur des activités, Nantes espère renverser cette dynamique et encourager plus de mixité. Les enfants ont été consultés et ça donne des espaces moteurs beaucoup plus variés : on retrouve des rochers, des rondins, des poutres pour tantôt s’asseoir et discuter, tantôt faire des parcours. Les corps bougent de différentes manières et les imaginations sont davantage stimulées.

Par ailleurs, pour lutter contre la précarité menstruelle et les tabous entourant les règles, la capitale des Pays de la Loire a installé une trentaine de distributrices de produits d’hygiène menstruelle gratuits. À terme, l’administration souhaite que les femmes puissent trouver ce type de distributeur à moins de 15 minutes autour d’elles.

Bien entendu, le sexisme ne sera pas éradiqué du territoire nantais d’ici 2030. Mahaut Bertu donne l’exemple du harcèlement de rue, qui ne va pas disparaître par magie. Mais la jeune élue ambitionne de faire baisser le seuil de tolérance de ses compatriotes envers ces comportements trop souvent ignorés. À travers des formations et des campagnes de sensibilisation, elle espère plus d’interventions de la part des témoins.

Au travers de la France, et même à l’international, ces idées circulent. Nantes a d’ailleurs rejoint le réseau des villes féministes, FemCities, une initiative européenne née en Autriche.

Vienne, la féministe

Si la capitale autrichienne est souvent citée comme un modèle de ville égalitaire, c’est beaucoup grâce à la fonctionnaire municipale Eva Kail. Il y a 30 ans, l’urbaniste a organisé une exposition photo à Vienne pour présenter le quotidien de filles et femmes. Elle voulait ainsi démontrer comment la gent féminine vivait sa ville différemment des hommes.

L’expo a fait son effet. L’année suivante, en 1992, Eva Kail est nommée à la tête du nouveau Frauenbüro, le Bureau des femmes. Trois ans avant que les Nations unies le recommandent, Vienne a mis en pratique la budgétisation sensible au genre. C’est-à-dire qu’elle a analysé ses budgets en fonction des effets qu’auront ses investissements sur les hommes et sur les femmes.

« En pensant faire du neutre, les villes ont longtemps fait du masculin, reléguant, sans en être conscientes, les filles et les femmes à l’espace privé. »

Ce qu’on appelle aujourd’hui l’analyse différenciée selon les sexes et intersectionnelle (ADS+) est donc pratiquée depuis plus de 30 ans en Autriche. Comme l’expliquait Eva Kail au quotidien britannique The Guardian en 2019, « Comme administration publique, si vous souhaitez offrir une meilleure qualité de vie à votre population, vous devez veiller à l’égalité des sexes. »

Le Frauen Werk Stadt (femmes, travail, ville) en est un bon exemple. Achevé en 1997, cet ensemble de logements sociaux a été construit par quatre femmes architectes. Le complexe de 357 unités comprend un cabinet de médecine, une garderie et des cours gazonnées visibles des fenêtres. Les couloirs et escaliers sont larges et éclairés par la lumière naturelle, ce qui incite à s’arrêter pour discuter. La sécurité est au cœur de ce modèle international d’aménagement urbain féministe.

Quand le déneigement est sexiste

En 2011, quand la municipalité de Karlskoga en Suède a décidé de revoir ses politiques sous la loupe de l’analyse comparative selon le genre, un membre du conseil a lancé : « on peut sauter le sujet déneigement, ça n’a évidemment rien à voir avec le genre! ». C’était sous-estimer à quel point les villes ont été conçues pour les hommes, comme le démontre la géographe Leslie Kern dans son essai Ville féministe.

L’agglomération de 27 000 habitant·e·s a réalisé que sa politique d’enlèvement de la neige avait été pensée selon les habitudes de déplacement de la moitié de sa population. Les trajets des hommes se faisaient majoritairement en voiture sur les grands axes, alors que les femmes multipliaient les courts déplacements, à pied, dans un périmètre plus restreint autour de leurs maisons.

Les élu·e·s de Karlskoga ont constaté que les femmes subissaient un nombre élevé de blessures lors de leurs déplacements hivernaux. Elles étaient pénalisées par une politique de déneigement qui répondait, sans le réaliser, aux besoins des hommes. Les routes des chasse-neige ont été redessinées pour qu’ils déneigent en priorité les rues aux abords des garderies et des écoles, puis des tours de bureaux et enfin les grands axes routiers.

Le déneigement égalitaire était né! Les blessures ont diminué et les piétons, peu importe leur genre, ont été priorisés. Car là est toute la beauté des villes féministes : elles bénéficient à tout le monde.

Bannière 50e anniversaire CSF