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Culture aux aînés : le loisir de vieillir

Les arts et la culture contre l’isolement social

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Photo : Courtoisie Culture aux aînés – © Laurent Frey

En Estrie, le projet Culture aux aînés propose dutiliser les arts et la culture comme levier pour briser lisolement des aîné·e·s, favoriser le vieillissement actif, combattre l’âgisme et retisser des liens sociaux dans les communautés. Une approche unique de loisir collaboratif!

Sous l’œil de la caméra, Martine Ongenae cueille des tomates et des branches de rhubarbe dans son jardin : « Il faut cultiver son jardin dans la vie, il faut savoir offrir aux autres ce qu’on est capable de récolter chez soi. » Martine Ongenae fait partie des dizaines d’aîné·e·s qui partagent leurs histoires et leurs leçons de vie dans la série de capsules vidéo et de balados Paroles de sages! Véritable bouffée de fierté pour plusieurs, l’initiative a été réalisée dans le contexte du projet Culture aux aînés et diffusée sur les réseaux sociaux et la télévision communautaire.

L’isolement social, un déterminant de santé majeur

Lancé en 2020, Culture aux aînés mise sur les arts et la culture pour favoriser l’inclusion, la participation sociale ainsi que le vieillissement actif dans les MRC du Val-Saint-François et des Sources, en Estrie. Il s’agit d’enjeux clés face à un problème majeur du vieillissement : l’isolement social.

La recherche démontre, en effet, que l’isolement social accroît davantage le risque de mortalité chez les aîné·e·s que l’obésité et l’inactivité physique. La pandémie de COVID-19 a d’ailleurs contribué à mettre en lumière cette réalité au Québec. Outre les tragédies dans les CHSLD, de nombreuses personnes aînées confinées à domicile se sont isolées, mais surtout, elles se sont déconditionnées, c’est-à-dire qu’elles ont perdu des aptitudes ou subi un déclin de leur état cognitif, physique et mental.

Les femmes sont particulièrement à risque de souffrir d’isolement social à un âge avancé. Elles vivent généralement plus longtemps que les hommes, et elles sont plus sujettes à la pauvreté, en raison de revenus plus faibles et du fait que plusieurs ont souvent quitté le marché du travail pendant plusieurs années pour élever leurs enfants.

« L’isolement social, c’est un déterminant de santé majeur, observe Marie Dion, directrice de Culture aux aînés. [Avec ce projet], on agit de façon préventive et positive, on veut “créer” de la santé. » Outre Paroles de sages!, Culture aux aînés propose toute une gamme d’ateliers, d’activités et de spectacles avec des artistes locaux, allant de la danse créative à la peinture en passant par le cirque ou la fabrication de mandalas.

Le projet a été lancé par l’organisme Le P’tit Bonheur de Saint-Camille, qui crée des espaces intergénérationnels dans le village de Saint-Camille depuis une trentaine d’années. Depuis 2020, Culture aux aînés a joint directement plus de 7 000 personnes âgées sur le territoire des deux MRC.

Repenser le vieillissement

Au Québec, une personne sur 4 aura 65 ans et plus en 2031, selon les projections de l’Institut de la statistique du Québec. Cette situation s’explique notamment par la hausse de l’espérance de vie et la forte dénatalité ayant succédé au baby-boom. « On est parmi les États au monde qui vieillissent le plus rapidement », constate Marie Dion.

Quoique la littérature scientifique commence à peine à défricher ce champ de recherche, les arts semblent apporter de multiples avantages. Comme augmenter le sentiment de connexion ou avoir des effets positifs sur la force et l’équilibre, avec des activités comme la danse par exemple. « On privilégie la participation sociale pour contrer l’isolement », souligne Élise Nault-Horvath, agente de planification, de programmation et de recherche à la Direction de la santé publique du CIUSSS de l’Estrie.

La santé préventive commence d’ailleurs à se tailler une place dans les programmes. Un millier de municipalités, participantes du programme Municipalités (& Villes) amies des aînés au Québec (MADA), portent une attention particulière aux besoins et aux enjeux des aîné·e·s. Elles vont, par exemple, s’assurer que les trottoirs sont bien éclairés et entretenus ou que les immeubles sont pourvus d’ouvre-portes automatiques et d’ascenseurs.

Courtoisie Culture aux aînés – © Laurent Frey

Courtoisie Culture aux aînés – © Laurent Frey

La recherche sur la santé préventive liée au vieillissement a fait des avancées grâce au travail de pionnières comme Suzanne Garon, professeure à l’Université de Sherbrooke. Pour sa part, Culture aux aînés défriche de nouvelles avenues en lien avec les arts et la culture. Son approche et ses répercussions dans les communautés sont d’ailleurs suivies de près par plusieurs chercheuses et chercheurs.

« C’est vraiment un projet d’expérimentation et d’innovation sociale, donc on prend le temps de valider nos orientations avec les aîné·e·s, explique Marie Dion. Il y a un comité des sages, ceux-ci vont analyser la stratégie et nous donner une rétroaction pour être sûrs que ça correspond à leurs besoins. On voulait travailler avec les actrices et acteurs de la culture, de la santé et de la politique. C’est ça qui compte pour avoir une influence la plus forte et pertinente possible. »

L’initiative pourrait bien prendre de l’ampleur au Québec. La MRC du Granit, où se situe la ville de Lac-Mégantic, est justement en train d’adapter le projet à son territoire. « Notre souhait, c’est d’aller chercher un financement pour le rendre durable et de décrire l’approche pour le rendre reproductible », précise la directrice du projet. Selon elle, il reste toutefois du travail à faire pour éliminer une forme de discrimination de taille sous-jacente à l’isolement social : l’âgisme.

Rebâtir un tissu d’humanité

L’adage dit que l’on juge une société à la manière dont elle traite ses aîné·e·s, rappelle Marie Dion. « Les aîné·e·s ressentent de l’obsolescence. Ce qui me touche le plus, c’est de voir à quel point il y a de l’âgisme et que ça fait mal. Juste parce que nous leur donnons une place et partageons leur fierté, leur parcours, ils sont très reconnaissants de ça et ils nous encouragent à proposer des formations avec les vidéos dans les CHSLD pour que les préposés aux bénéficiaires soient davantage dans la bientraitance. D’offrir ce tissu d’humanité à ces gens-là, on a tous à y gagner et à apprendre. »

« Il y a une résilience chez les personnes aînées qui pourrait aider les plus jeunes à passer au travers de situations difficiles comme la pandémie, et qui peuvent ensuite partager cette sagesse-là, renchérit France Jodoin, une « jeune aînée » candidate au doctorat en gérontologie à l’Université de Sherbrooke. Sa thèse porte spécifiquement sur le projet Culture aux aînés. Malgré notre corps qui change, on peut faire du sport, participer à nos activités, garder nos petits-enfants, retourner aux études, travailler à mi-temps, participer [à la société] de toutes sortes de façons. Je m’attends à ce qu’il y ait un plus grand militantisme aîné en raison de cette masse démographique, qui va réclamer un meilleur vivre-ensemble. On appelle ça le pouvoir gris. Et ça, c’est bon pour tout le monde. »

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