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Marie-Josée Turcotte : de sport et d’eau fraîche

« Mon meilleur compagnon, celui de toute ma vie, a été le doute. »

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Son départ à la retraite, annoncé en 2022, a été largement médiatisé au Québec. Au cours d’une carrière exceptionnelle de 40 ans à Radio-Canada, dont 37 consacrés aux sports, elle aura souvent brillé comme la seule femme dans un milieu assurément masculin. Cet aspect unique de sa carrière a été maintes fois souligné. La journaliste et chef d’antenne Marie-Josée Turcotte est vue comme une pionnière pour les femmes dans l’univers du sport et des communications.

Le mot « pionnière », c’est avec une grande humilité qu’elle le reçoit. « Pourtant, je ne faisais que mon travail. Aujourd’hui, avec le recul, je suis capable, un tout petit peu, de l’accepter [et de me dire que oui], j’étais une des premières à faire ça et que j’ai contribué à ouvrir des portes. On ne fait jamais un travail, quel qu’il soit, dans le but de recevoir des honneurs. On le fait parce qu’on aime ça, on le fait parce qu’on est bien dans ce rôle-là. »

« Mon meilleur compagnon, celui de toute ma vie, a été le doute, qui m’a bien servi d’ailleurs. Parce que quand on doute, on se remet constamment en question. C’était la surprise de voir l’effet que j’avais pu avoir. Pendant qu’on fait quelque chose, je ne pense pas que c’est ce genre de question qu’on se pose. »

Cette vague d’amour du public, de personnalités et de ses collègues journalistes n’a toutefois pas remis en question sa décision de prendre sa retraite. « J’étais prête. Je l’ai fait au bon moment. J’ai eu le privilège de finir sur ce que j’aime le plus au monde : l’animation des Jeux olympiques et paralympiques, à Pékin en 2022. Ça a été mon chant du cygne. C’est extraordinaire d’aimer ce qu’on fait jusqu’au dernier moment. Je n’ai pas le moindre regret », assure Marie-Josée Turcotte.

Une carrière récompensée

La qualité de son travail de journaliste, d’animatrice et de chef d’antenne a souvent été soulignée. Parmi ces nombreux prix et distinctions, il y a 15 prix Gémeaux, le titre d’immortelle de la télé décerné par l’Académie canadienne du cinéma et de la télévision, de multiples prix en journalisme et plusieurs honneurs pour le rôle inspirant et précurseur qu’elle a joué dans le milieu des communications et du sport. Si toutes les reconnaissances font plaisir à recevoir, la plus marquante a certainement été la remise de l’Ordre du Canada, en 2014. Elle a d’ailleurs été surprise par cette annonce, au point de croire qu’on lui jouait un tour…!

Ces quatre décennies passées dans le salon des Québécoises et des Québécois à parler de sport, Marie-Josée Turcotte l’attribue en partie à l’influence de ses parents. « Mon père est un maniaque de sport. Mais aussi un grand intellectuel. Si je dois faire une image de mon père, il est en train de lire Le Devoir, il y a du baseball à la télé et peut-être du football à la radio. C’était un passionné, qui avait aussi une plume extraordinaire. Et pour ma mère, le mot impossible n’existait pas. Ça m’a beaucoup servi pendant toute ma vie. Ma mère, c’était quelqu’un qui défonçait les portes. J’ai dû hériter de tout ça, parce que sinon, je n’aurais jamais eu cette carrière dans les sports. »

« La visibilité démontre une possibilité, permet une part de rêve. Et tout ça ne se fait pas au détriment des hommes. C’est une question d’équité, il y a de la place pour tout le monde. »

– Marie-Josée Turcotte

Pour y arriver sans jamais perdre la flamme, la journaliste, habituée aux horaires atypiques et aux innombrables voyages, insiste sur l’importance de trouver un équilibre dans ce que l’on entreprend, surtout comme parent. Dix-sept Jeux olympiques plus tard – tous des ultramarathons –, elle croit que la clé réside dans l’organisation et la compréhension. « On comprend peut-être moins la notion d’équilibre quand on est plus jeune. En vieillissant, on voit qu’il y a autre chose que le travail : la vie de famille, les loisirs, les amis, etc. C’est la beauté de vieillir, on finit par comprendre qu’on ne peut pas tout faire. »

Le voyage

Marie-Josée Turcotte n’a jamais rêvé d’une carrière en journalisme sportif. Partie seule, sac sur le dos, pour un périple de plusieurs mois après l’obtention d’un diplôme en histoire, l’intellectuelle qui lisait les journaux dans le métro s’imaginait plutôt correspondante à l’étranger. En Europe et en Afrique, inspirée par des femmes en avance sur leur temps comme Gabrielle Roy ou Simone de Beauvoir, par celles qui ont fracassé les tabous et vécu à l’encontre de leur époque, elle découvre le monde.

« Des expériences comme celles-là sont tellement formatrices […] c’est comme un rite de passage aussi. Ça nous apprend à connaître qui on est, à savoir ce qu’on veut, ce qu’on ne veut pas. Une pause comme ça, c’est très salutaire. Un voyage où chaque petit boulot – les vendanges, la cueillette d’oranges… – nous permet d’avancer davantage. Où chaque sou amassé sur la route rallonge l’aventure de quelques kilomètres », illustre-t-elle.

Celle qui s’était promis de voyager toute sa vie peut se dire : mission accomplie. Aujourd’hui guide pour Rando Plein Air, elle n’a pas encore posé ses valises. Une marche sur le mont Royal ou des randonnées de plusieurs jours à l’étranger, Marie-Josée Turcotte apprivoise cette nouvelle assignation avec enthousiasme. « En septembre, j’accompagne un groupe à Barcelone et à mon retour, je repars vers la Pennsylvanie. Ça me fait faire de belles découvertes et je rencontre des gens fantastiques. »

Apprendre à faire confiance

Des femmes comme Marie-Josée Turcotte qui font carrière dans un monde d’hommes, qui évoluent sous les projecteurs, qui sont vues, lues et entendues sur la place publique, ont des parcours qui inspirent. Elles ouvrent de nombreuses portes ailleurs, dans tous les milieux.

« Plus on aura de femmes à l’antenne, de femmes en politique, de femmes qui partagent leur expertise, plus on aura de visibilité féminine un peu partout, sur toutes les plateformes qui puissent exister, plus on aura le pouvoir de changer les choses. La visibilité démontre une possibilité, permet une part de rêve. Et tout ça ne se fait pas au détriment des hommes. C’est une question d’équité, il y a de la place pour tout le monde. »

Il faut rêver, mais ce n’est pas suffisant. Il faut agir, rappelle la journaliste. Pour changer les choses, il ne faut pas avoir peur de sortir de sa zone de confort. Mais il faut aussi apprendre à faire confiance. Si le doute a été son compagnon de toujours, Marie-Josée Turcotte a dû apprendre très tôt à faire confiance aux gens qui voyaient en elle un potentiel qu’elle n’aurait pas osé imaginer.

Au terme d’un parcours couronné de succès, la confiance et le doute ont bien servi à cette femme de tête, passionnée, empathique et généreuse. Soyons de celles et ceux qui croient en ces filles et ces femmes de la relève, pour que d’autres marchent dans les pas de Marie-Josée Turcotte et, à leur façon, changent le monde.

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