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L’égalité vue par Louise Hénault-Ethier

« Dans sa pratique authentique, le skateboard est un sport par nature très inclusif. »

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Temps estimé de lecture :6 minutes

Bandeau :Photo : © Alexis Fortin

Écologiste de formation, Louise Hénault-Ethier est directrice du Centre Eau Terre Environnement et professeure associée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Elle est aussi cofondatrice de TriCycle, une ferme urbaine d’économie circulaire qui valorise les insectes comestibles. Docteure en science de l’environnement (UQAM, 2016), Louise Hénault-Ethier s’intéresse aux enjeux de santé humaine et environnementale en lien avec les pesticides. Celle qui a été cheffe des projets scientifiques pour la Fondation David Suzuki (2016-2021) siège actuellement au comité canadien chargé d’élaborer la première norme internationale ISO sur la biodiversité. Louise Hénault-Ethier est aussi membre cofondatrice du collectif féminin de skateboard Les Skirtboarders! Elle a sillonné le monde lors de compétitions et de démonstrations de planche. En 2000, elle s’est classée au 8e rang mondial de la World Cup Skateboarding. La chercheuse a eu la chance d’être analyste des compétitions de skate à l’antenne de Radio-Canada lors de la première présentation de ce sport aux Jeux olympiques de Tokyo 2020 (2021). Communicatrice sportive imagée, habile vulgarisatrice scientifique, Louise Hénault-Ethier est récipiendaire de nombreux prix et distinctions pour ses projets universitaires et entrepreneuriaux.

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Depuis l’introduction récente du skate aux Olympiques, la discipline, l’industrie et la couverture médiatique de ce sport sont-elles toujours aussi genrées?

Depuis l’invention du skateboard, il y a toujours eu des femmes qui l’ont pratiqué. Le skateboard est né des communautés de surfeuses et surfeurs. La représentation des femmes était initialement assez importante. Leur style était d’ailleurs très élégant, agile et résolument distinct de celui des garçons. Mais au fil des ans, l’essentiel de la couverture médiatique s’est déplacé vers les hommes.

Dans les années 1990, il y avait très peu de modèles féminins dans les médias spécialisés en skateboard. Au début des années 2000, il y avait plus de collectifs féminins, ce qui augmentait la visibilité des femmes. Les catégories de femmes étaient généralement présentes dans les compétitions. Mais bien souvent, elles étaient présentées très tôt le matin, alors qu’il n’y avait que peu de public sur le site.

De surcroît, les bourses offertes aux femmes sur le podium pouvaient être 10 fois inférieures à celles offertes aux hommes. Avec l’arrivée récente du skateboard aux Olympiques, un souci de parité est apparu, notamment pour les montants des bourses et le nombre d’athlètes admis dans les compétitions.

Malheureusement, les formats de compétition – axés sur les meilleurs trucs avec de gros obstacles dans le parcours de rue – ne sont pas nécessairement optimaux pour voir briller les femmes. Et les notes largement inférieures que les juges ont offertes aux femmes ont fait sourciller le public.

Les Olympiques auront à tout le moins permis une couverture médiatique améliorée du sport. Beaucoup de femmes ont eu une excellente visibilité; des modèles qui ont inspiré beaucoup de jeunes filles de la relève. Il reste à voir comment cela va évoluer dans les années à venir.

On connaît l’importance d’éduquer les filles et les garçons aux relations égalitaires, de leur transmettre des modèles exempts de stéréotypes. Dans quelle mesure la pratique d’un sport comme le skate peut-elle contribuer à atteindre ces objectifs de diversité et d’inclusion?

Les compétitions sportives sont souvent séparées selon le genre. Mais dans sa pratique authentique, le skateboard est un sport qui permet un maillage entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’un sport qui est par nature très inclusif, non seulement pour les femmes et les hommes, mais aussi pour les personnes s’identifiant à différents genres et à toutes les orientations sexuelles.

La diversité est également célébrée à travers le monde, puisque les skaters de partout partagent une passion commune qui les relie. C’est aussi un sport dans lequel on voit souvent de très jeunes enfants partager un obstacle avec des athlètes d’âge plus mûr. Ainsi, le skateboard apparaît comme un sport idéal pour inspirer les relations égalitaires.

À Montréal, nous avons d’ailleurs la chance d’avoir plusieurs événements qui favorisent la place des femmes et celle des personnes s’identifiant à la communauté LGBTQ2+, propulsés notamment par notre olympienne Annie Guglia.

Parlez-nous du collectif féminin montréalais Les Skirtboarders…

Les Skirtboarders sont un collectif féminin montréalais né en 2002 qui compte 14 femmes. Nous nous sommes rassemblées afin d’offrir un groupe sécuritaire pour les femmes dans ce sport, à l’époque majoritairement masculin. Au début des années 1990, l’acceptation des femmes dans le skateboard n’était pas toujours évidente, et plusieurs ont vécu de la discrimination et de l’intimidation. L’idée du collectif était aussi d’offrir un soutien qui facilite la pratique et la diffusion du sport au féminin.

Sous la direction de Mathilde Pigeon Bourque, le collectif a réalisé des vidéos comme Boys et Skirtboarders, le film (2007). Il a également été mis en vedette dans The Devil’s Toy Remix Montréal, réalisé par Myriam Verreault et diffusé par l’ONF, en hommage à la vidéo originale de Claude Jutra tournée à Montréal en 1969. Ce collectif a aussi effectué des tournées, dont une en Suède en 2010 et une au Mexique en 2008.

Le collectif a su présenter le skateboard au féminin au grand public, notamment avec la série télévisée Xskatera, diffusée sur Canal Vox et animée par Anne-Sophie Julien. Il a aussi propulsé la carrière professionnelle d’Annie Guglia, première québécoise en skateboard à participer aux Olympiques de Tokyo en 2021. La deuxième génération de Skirtboarders s’incarne à travers la jeune et talentueuse Maëlle Filion, fille de Rebecca Filion, qui a grandi dans un monde rempli de modèles féminins de skateuses.

Plusieurs représentantes des Skirtboarders sont maintenant retirées de la pratique compétitive du sport, mais continuent de partager de forts liens d’amitié. En rétrospective, le groupe aura contribué à la normalisation de la pratique de ce sport au féminin et à en faire un sport inclusif pour la relève.

Bien concilier vie personnelle, famille et travail, c’est possible?

Oui, mais il faut en faire une priorité pour y arriver. C’est plus facile quand on travaille dans un milieu qui valorise l’équité, la diversité et l’inclusion, ou qu’on a un conjoint qui participe activement à la vie de famille. Mais si toutes les femmes font en sorte de sensibiliser leur entourage personnel et professionnel, et de déployer des pratiques en milieu de travail qui facilitent cette conciliation, nous sommes sur la bonne voie.

Tout n’est pas encore parfait, bien entendu. On sait qu’en moyenne, les femmes continuent d’avoir une charge mentale familiale plus importante. Et il est évident que plusieurs déploient beaucoup (trop) d’efforts pour « faire leur place » ou « se prouver », alors qu’elles ont un droit d’équité fondamental. Si chaque femme – et chaque homme – en position d’influence ou d’autorité use de son pouvoir à bon escient, la conciliation deviendra plus évidente.

Dans le milieu sportif, comme dans le milieu universitaire, il reste encore des efforts à faire pour reconnaître l’excellence au féminin de façon juste et équitable. Les chercheuses commencent à jouir d’une évaluation qui ne pénalise pas les années passées en congé de maternité. Mais on ne prend pas encore en considération les conséquences à long terme de la parentalité sur la productivité scientifique. Tant qu’on mesurera l’excellence sur le plan de la productivité numérique (plus de subventions, plus de publications, plus d’étudiant·e·s, etc.), il y aura un déséquilibre fondamental dans l’évaluation entre les femmes et les hommes.

Mais en s’orientant vers de bonnes pratiques, on tend vers une société plus juste, qui facilitera la conciliation pour les femmes sans répercussions sur leur carrière.

Dans l’actualité, qu’est-ce qui vous fait grincer des dents ces jours-ci en matière d’égalité entre les femmes et les hommes?

Constater qu’il subsiste un écart fondamental entre les salaires des femmes et celui des hommes, malgré des années d’efforts pour viser l’équité salariale, est un sujet qui me choque profondément. J’ai grandi auprès d’un père fortement engagé dans l’application de la Loi sur l’équité salariale. Il faisait l’évaluation salariale des emplois à prédominance féminine pour permettre aux entreprises et institutions de rééquilibrer les salaires de façon plus juste et équitable. J’ai appris durant l’adolescence les bases de ce système pour rétablir l’équilibre.

À l’âge adulte, malgré le progrès marqué, je suis extrêmement déçue qu’on ne soit pas parvenu à un parfait point d’équilibre. J’essaie d’intégrer ce souci dans mes fonctions à l’INRS. Au-delà de l’équité salariale, il reste à établir l’équité entre les femmes et les hommes au sein du corps professoral. Car même si le nombre de femmes aux études supérieures en science de l’environnement foisonne, il subsiste un plafond de verre. Plusieurs enjeux de conciliation entre la vie personnelle et le travail les éloignent aussi du corps professoral. Ce sont des réalités sur lesquelles je peux exercer une certaine influence et qui me tiennent à cœur.

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