Aller directement au contenu

Au Ghana, la COVID-19 freine la lutte contre le sida

Accès aux antirétroviraux : la vie de milliers de femmes séropositives menacée

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Oswald Elsaboath (unsplash.com)

Pour la première fois en 20 ans, la lutte contre le VIH/sida recule dans le monde. Les nouvelles infections auraient été trois fois plus nombreuses que prévu en 2020, selon le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Au Ghana, la pandémie actuelle de COVID-19 entrave laccès à l’éducation, aux diagnostics et aux médicaments, mettant en danger la vie de dizaines de milliers de femmes et de jeunes séropositifs.

Assis sur la terrasse d’une pizzeria d’Accra, cinq jeunes Ghanéen·ne·s d’une vingtaine d’années discutent, leurs yeux louchant régulièrement vers leur téléphone cellulaire. Deux étudient à l’université, trois travaillent en intervention auprès de la jeunesse. Ces jeunes ont une chose en commun : ils vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), parfois depuis leur naissance, et luttent activement contre ce virus qui semble avoir été éclipsé depuis le début de la pandémie de COVID-19.

En 2020, entre 1 et 2 millions de personnes ont été infectées par le VIH sur la planète, et 680 000 séropositifs en sont morts, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’organisation s’est d’ailleurs alarmée du ralentissement de la lutte contre le VIH en raison des interruptions de services de santé publique, concentrés sur la COVID-19. Ces effets se font surtout sentir en Afrique subsaharienne, où vivent plus des deux tiers des personnes séropositives.

D’une pandémie à l’autre

« La COVID a mis en relief les défis liés à la lutte contre le VIH », observe Priscilla*, qui a organisé la rencontre à la pizzeria. Au Ghana comme un peu partout, la pandémie a multiplié les obstacles à l’accès aux antirétroviraux (ARV), des médicaments essentiels qui permettent notamment de bloquer la transmission du virus entre partenaires, ou de la mère à l’enfant.

« Les médicaments sont notre vie, si on ne les prend pas, on dépérit », illustre Catherine, qui explique comment son état de santé s’est rapidement détérioré lorsqu’elle a nié la maladie et refusé de se soigner après son diagnostic.

Le VIH en chiffres

Selon l’OMS et ONUSIDA, environ 38 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde. Plus de 12 millions d’entre elles n’ont pas accès aux traitements contre le VIH.

Les médicaments comme les ARV ne sont généralement pas produits dans la région, mais importés de pays comme l’Inde. En 2020, outre les problèmes d’approvisionnement observés à l’échelle mondiale, les ARV sont restés coincés plus de six mois dans un port maritime du Ghana en raison de complications bureaucratiques – apparemment une confusion entre deux ministères pour l’approbation d’une exemption de taxes, selon le Réseau ghanéen des personnes vivant avec le VIH (NAP+).

En raison des ruptures de stock, les cliniques ont fourni, toutes les deux semaines, des portions rationnées d’ARV. Une logistique coûteuse et chronophage pour les personnes séropositives, qui se déplacent souvent sur de grandes distances afin d’éviter d’être identifiées comme telles dans leur quartier.

Même si Priscilla ne vient pas d’un milieu défavorisé, elle et sa famille ont dû se serrer la ceinture. Ses parents, immunosupprimés, ont cessé de travailler. Pendant les périodes de restrictions sanitaires, il fallait avoir de l’argent pour le taxi, les autobus étant proscrits.

Pour plusieurs Ghanéen·ne·s, la dépression économique associée à la pandémie a directement affecté leur sécurité alimentaire, observe l’étudiante. Les personnes séropositives cessent souvent de prendre leur médication, puisqu’il est difficile d’encaisser les puissants effets secondaires des médicaments le ventre vide.

Une stigmatisation tenace

Le taux de diagnostic perd aussi du terrain. Après les pénuries d’ARV, une rupture de stock de tests de dépistage est attendue en février en raison des mêmes problèmes bureaucratiques, observe Elsie Ayeh, présidente du NAP+. « Il y aura plus de gens infectés et de morts, parce que les personnes séropositives non testées ne feront pas attention, plusieurs n’utiliseront pas de condom, croit-elle. Le gouvernement s’implique, mais ce n’est pas assez pour atteindre ses engagements. »

Une discrimination tenace peut aussi dissuader les personnes séropositives de se faire tester ou même de prendre leur médication. Une double discrimination semble d’ailleurs saboter la lutte contre le VIH auprès d’une tranche de la population surreprésentée parmi les personnes atteintes : plus de 18 % des hommes homosexuels ghanéens sont séropositifs, et moins de 4 % de ces derniers utilisent des ARV, selon ONUSIDA. Ce bilan pourrait même s’alourdir davantage si la tendance se maintient dans ce pays très religieux, où un projet de loi strict contre l’homosexualité – déjà puni de prison – a été proposé récemment.

Au Ghana comme un peu partout, la pandémie a multiplié les obstacles à l’accès aux antirétroviraux, des médicaments essentiels.

Les organismes de lutte contre le VIH misent aussi sur les jeunes pour enrayer cette sournoise pandémie. « On a commencé à prioriser la santé des adolescent·e·s et des jeunes, parce qu’on observe que les nouvelles infections se produisent surtout à cet âge », poursuit Elsie Ayeh. Selon elle, il est fréquent que des jeunes voulant dissimuler leur état à leur famille sabotent leur suivi médical. Ou encore que des parents n’informent pas de leur condition leur progéniture infectée à la naissance.

Pour que les jeunes acceptent leur condition et brisent le silence, un groupe de plus de 500 jeunes vivant avec le VIH dans le pays a été créé – un regroupement dont fait partie la petite délégation rencontrée à la pizzeria.

« L’ONG Hope for Future Generations nous a réunis, explique Priscilla. Le groupe vise à fournir une éducation sur les droits reproductifs, une mobilisation et une plateforme pour parler des enjeux propres aux jeunes séropositifs. » Une des clés du succès de la lutte réside dans une plus grande inclusion des jeunes dans la conception des programmes à l’avenir, suggère-t-elle.

La bataille contre le VIH semble loin d’être gagnée au Ghana, surtout avec les nouveaux défis engendrés par la pandémie de COVID-19. Selon ONUSIDA, il faut d’ailleurs redoubler d’efforts partout dans le monde pour éviter 7,7 millions de décès supplémentaires liés au VIH au cours de la prochaine décennie. Les jeunes Ghanéen·ne·s rencontré·e·s se disent toutefois confiant·e·s : il existe des pistes de solution. Ils en sont la preuve vivante.

* Seuls les prénoms des jeunes ont été utilisés pour éviter la stigmatisation associée à leur statut séropositif.

** Cet article a été réalisé notamment grâce au soutien du Fonds québécois en journalisme international.