Aller directement au contenu

Au Japon, elles dénoncent le règlement strict des écoles

Le kôsoku : terreau fertile de marginalisation

Date de publication :

Auteur路e :

Temps estimé de lecture :5 minutes

Une large majorité des établissements scolaires japonais imposent un kôsoku, un règlement intérieur strict à leurs élèves. Du choix des vêtements à la coupe de cheveux, la liste de restrictions et d’interdictions peut être longue en fonction des écoles. Des voix s’élèvent aujourd’hui contre ces pratiques éducatives, jugées abusives.

« Mes cheveux devaient être attachés en queue de cheval s’ils dépassaient mes épaules, explique Hatsune Sawada, 16 ans. Ma frange coupée au ras des sourcils. » Dans son école secondaire actuelle, « il n’y a pas ce type d’interdictions. Je n’ai plus de stress ». Dans l’école primaire de Tokyo qu’elle fréquentait, l’adolescente ne pouvait pas décider de sa tenue vestimentaire ni de sa coiffure : elle devait obéir aux règles du kôsoku, un règlement intérieur qu’une grande majorité des établissements scolaires japonais, privés ou publics, instaure pour ses élèves.

En vigueur depuis la fin du 19e siècle (début de l’ère Meiji), du primaire au secondaire, le kôsoku n’est pas uniforme dans tout le pays : c’est le directeur qui décide des règles de son établissement. Les enfants doivent les respecter, sous peine de sanctions, et selon les lieux, elles sont plus ou moins sévères.

« Tokyo est plus strict », estime Hatsune. Les règles les plus fréquentes sont la tenue et la coupe de cheveux réglementaires et « parfois jusqu’à la couleur des sous-vêtements ». Les filles sont interdites de pantalons : même en hiver, les collants sont bannis. Les écharpes, bijoux et accessoires sont proscrits. La liste est souvent longue…

Hatsune et deux de ses copines du même âge dénoncent ce kôsoku, qui « nous empêche de nous exprimer. Nous voulons évoluer dans une société qui nous laisse la liberté de vivre comme nous le voulons », expliquent-elles alors qu’elles remettent au ministère de l’Éducation une enquête qui confirme le mal-être de nombreux élèves.

Une charte qui nourrit la discrimination

« Les conséquences de ce règlement intérieur ont des répercussions désastreuses sur la santé mentale des enfants », s’alarme Yûji Sunaga, l’un des fondateurs du Burakku Kôsoku o Nakusô purojekuto – le Mouvement pour l’abolition du kôsoku. Le regroupement a été créé en 2018, en soutien à une jeune fille plongée dans une profonde anxiété après avoir été contrainte de colorer ses cheveux jugés trop clairs par l’école. Sa famille avait porté plainte : une initiative rare. « Peu de personnes osent parler. Pourtant, ce type de pratiques nourrit la discrimination en marginalisant des enfants. »

En octobre dernier, le quotidien Mainichi faisait état d’un certificat réclamé aux adolescent·e·s scolarisé·e·s dans 88 des 134 collèges de la préfecture de Saitama, pour attester que leurs cheveux entraient naturellement dans les règles du kôsoku, soit noirs et raides, sans recours à une coloration ou un défrisage.

De gauche à droite, Chinatsu Naraoka, Hatsune Sawada et Miyuki Kusakabe présentent le résultat de leur enquête au ministère de l’Éducation, le 7 janvier 2022.

Il y a deux ans, le Mouvement pour l’abolition du kôsoku présentait aux médias les fruits d’une enquête réalisée auprès de 2 000 personnes, âgées de 10 à 50 ans, pour définir les règles les plus répandues dans les écoles du pays.

Deux collégien·ne·s sur trois et un·e élève du secondaire sur deux estiment avoir été victimes d’un kôsoku abusif. Environ 40 % des élèves ne naissent pas naturellement avec la couleur de cheveux exigée par le kôsoku et 20 % d’entre eux ont recours à une teinture dès le collège pour y répondre. Un enfant sur six âgé de 10 à 19 ans est concerné par le choix de la couleur de ses sous-vêtements par l’école. « La forme des sourcils doit également répondre aux exigences de l’école. » Pas de cosmétiques, pas de baume à lèvres. « Certains kôsoku interdisent aux jeunes de parler dans les vestiaires. Ou de tomber amoureux. »

Le règlement sort même de l’enceinte de l’école. « Certains enfants nous ont rapporté ne pas avoir le droit de boire de l’eau sur le chemin de l’école ou pendant le sport. Pas le droit d’aller au café ni au centre commercial. Ils doivent rentrer chez eux tout de suite après l’école, et ne pas être dehors après 18 h. » Sinon, « c’est la réputation de l’école qui est menacée ».

Environ 40 % des élèves ne naissent pas naturellement avec la couleur de cheveux exigée par le kôsoku.

Toujours selon le sondage, les collèges publics seraient les établissements les plus sévères (65 %). Et les écoles qui serrent le plus la vis sont également celles qui rapportent le plus de cas de harcèlement scolaire. Le climat favorise le terrain du harcèlement. « Dans mon ancienne école, des filles plus âgées ajoutaient de nouvelles règles », confie Hatsune.

Lawrence Yoshitaka, chercheur à l’Université Ritsumeikan à Kyoto et auteur d’un livre consacré à la communauté hafu (Japonais·e·s métissé·e·s), est inquiet. « Pénible pour tous les enfants, le kôsoku l’est encore plus pour les enfants métissés. » Marie Nakagawa, mannequin et première jeune femme noire à avoir été acceptée au célèbre défilé des Tokyo Girls, avait confié avoir été hospitalisée, enfant, parce que des camarades de classe l’avaient ébouillantée pour éclaircir sa peau.

Éveiller les consciences

Du chemin a pourtant été fait depuis les années 70. Les règles étaient alors d’une rigueur insoutenable. « Les garçons devaient se raser la tête, explique Yûji Sunaga. Le matin, le professeur attendait les enfants avec un bâton en bambou. » Bien qu’interdites par la loi, les corrections et punitions corporelles pleuvaient. Dans les années 80, les enfants abandonnent l’école à cause du kôsoku, les professeurs eux-mêmes le critiquent. Le jeune Yutaka Ozaki devient une star dans l’archipel grâce à une chanson dans laquelle il le dénonce.

À l’été 1990, les consciences s’éveillent lorsqu’un drame se produit à Kobe. Une adolescente de 15 ans décède après s’être retrouvée coincée dans le portail d’entrée du collège. Le professeur avait actionné la fermeture sans s’apercevoir que la jeune fille avait couru pour essayer d’entrer, désespérée de ne pas être à l’heure pour passer son examen. « Les retards n’étaient tolérés sous aucun prétexte, regrette Yûji Sunaga. Cette enfant a eu si peur d’être punie qu’elle en est morte. Ce n’est pas supportable. »

Yûji Sunaga pense qu’aujourd’hui d’autres pratiques sont passées sous silence : « Il n’y a pas de loi pour protéger les enfants du kôsoku. » Mais il garde espoir. Depuis plusieurs années, il remarque que des voix s’élèvent, à l’instar d’Hatsune et de ses amies. « Il est vraiment temps que cela s’arrête, ce ne sont que des enfants… »