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Racisme sexuel : des stéréotypes lourds de conséquences pour les femmes

Une forme insidieuse de discrimination chez les femmes racisées

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo : © Jon Tyson (unsplash.com)

Dans l’intimité comme dans la vie, au lit comme au travail, les biais racistes s’immiscent dans nos choix et nos réflexions. Les femmes racisées cumulent les oppressions, et les conséquences sont réelles dans leur vie sentimentale et sexuelle.

« Non, les préférences sexuelles ne sont pas anodines, lance Nathalie*, 35 ans, qui témoigne des situations de racisme sexuel qu’elle a vécues en tant que femme noire hétérosexuelle. Mais personne ne veut se faire dire qu’il aime ou qu’il ne désire pas tel ou tel type physique uniquement en raison de la race et des croyances qu’il lui attribue. »

En effet, il semble impossible que notre vie privée demeure hermétique à une société remplie de préjugés et héritière d’un passé colonialiste. La sexologue Anne-Claudie Beaulieu, dont l’approche est antiraciste et intersectionnelle, affirme que le racisme sexuel est souvent pernicieux. « On croit que dans le contexte intime, il s’agit de nos choix individuels, qu’on a le contrôle, mais nous sommes des êtres sociaux influencés par notre environnement. Et c’est parfois difficile à voir, surtout si on fait partie du groupe dominant. »

Puisque les standards de beauté actuels correspondent majoritairement aux caractéristiques physiques des personnes blanches, le racisme sexuel est une oppression surtout perpétrée par ces dernières, qui se retrouvent avantagées dans le contexte du dating.

Exclusion et objectification des corps

Le racisme sexuel peut se définir aujourd’hui comme un préjudice racial à l’endroit d’un·e partenaire romantique ou sexuel·le. Il consiste à favoriser ou non certaines races dans la sexualité et la vie romantique. En découlent deux conséquences majeures principales.

D’une part : le rejet sexuel sur la base de l’ethnicité. Charles Herbert Stember a notamment analysé cette dynamique rattachée aux politiques ségrégationnistes américaines qui visaient l’exclusion sexuelle par les Blancs des personnes racisées, principalement les personnes noires, pour empêcher la formation de couples interethniques et le métissage.

D’autre part, la fétichisation implique l’hypersexualisation d’une personne en raison de certains traits physiques et de stéréotypes ethnoculturels. C’est cette idée dangereuse d’un « exotisme à consommer », largement popularisée par les récits de voyage d’hommes européens qui narraient leurs relations sexuelles avec des femmes d’autres groupes ethniques.

De toutes ces situations ressortent un sentiment d’humiliation et la sensation dégradante d’avoir été envisagée comme une expérience, et non pas comme une personne.

Chaque communauté subit son lot de préjugés et la culture populaire les véhicule depuis des décennies. « Par exemple, on associe aux femmes d’origine asiatique des traits de docilité, de passivité, de féminité, comme si c’étaient des personnes qu’on pouvait compromettre sexuellement. Tandis que chez la femme noire, on voit une énergie plus forte, plus masculine, très agentive dans la sexualité », illustre Anne-Claudie Beaulieu.

Paroxysme de cette fétichisation, la pornographie exacerbe ces clichés et cantonne carrément la sexualité des femmes de la diversité à des catégories bien précises. Beaucoup de gens utilisent leur sens critique en visionnant de la porno, espère la sexologue, mais l’influence de l’industrie du X est réelle.

Une forme de racisme insidieuse, plus encore pour les femmes

Anne-Claudie Beaulieu, sexologue

Admettre l’existence du racisme sexuel est compliqué pour une majorité de gens. L’une des raisons réside dans le fait que cette objectification des corps est souvent présentée comme un élément positif. « Quand on dit : “c’est un compliment de te dire que je suis attiré uniquement par les femmes asiatiques”, on ne considère plus l’individualité de la personne, mais on érotise ce qu’elle peut représenter », analyse la sexologue.

Ines*, 29 ans, Québécoise et Maghrébine, affirme que « le racisme sexuel, c’est la double peine. À la misogynie s’ajoutent les stéréotypes raciaux qu’il faut tout le temps affronter. Le nombre de fois où j’ai dû expliquer à un homme que m’appeler “ma gazelle”, c’était non! ». Chez Ines, cette double discrimination a altéré sa confiance en elle durant plusieurs années.

Nathalie confie également avoir subi plusieurs formes de racisme sexuel dans le contexte de ses relations intimes et rencontres. « Des hommes m’ont dit vouloir coucher uniquement avec des Noires, car on est soi-disant plus sexy et sauvages. On m’a aussi dit “t’es belle pour une Noire”, sous-entendant que c’est une chose rare. Un ex a également refusé de me présenter à sa famille… »

De toutes ces situations ressortent un sentiment d’humiliation et la sensation dégradante d’avoir été envisagée comme une expérience, et non pas comme une personne. « Devrais-je rappeler que les femmes noires, asiatiques, et de n’importe quelle autre communauté, ne sont pas des expériences sexuelles? » écrivait Scarlotta Harlott en 2018 sur le blogue Je suis féministe.

En plus d’être déshumanisant, le racisme sexuel a une incidence sur la sécurité des femmes. « Si des stéréotypes sous-entendent une plus grande promiscuité, il y a cette impression de permissivité sexuelle qui fait en sorte que des femmes vont vivre des microagressions, mais aussi des situations où leur consentement n’a pas été respecté. On tente tellement de les faire rentrer dans des boîtes, que si ce n’est pas cohérent avec le stigmate, elles courent un risque de ne pas être respectées dans leurs limites, souligne Anne-Claudie Beaulieu. Beaucoup de femmes vont se sentir invalidées ou contraintes. »

Toutefois, si le racisme est une violence qui comporte de nombreuses conséquences négatives, « ces femmes développent une très grande résilience, des mécanismes de protection et d’adaptation et une compréhension des codes sociaux qu’il est important de souligner », ajoute la sexologue.

Entretenir une intimité saine

Puisque personne n’est exempt de biais, en prendre conscience est une première étape, dit Anne-Claudie Beaulieu. Si nous ne réalisons pas toujours les fausses croyances ou le racisme sexuel que nous projetons, il est essentiel de demeurer réceptif à l’inconfort d’un·e partenaire. Devant ce qui constitue une atteinte bien réelle à la dignité de plusieurs, accueillir et prioriser l’autre pour ce qu’il est – plutôt que de s’accrocher à des attentes ou fantasmes stéréotypés – demeure un gage humanisant de lutte contre les relations discriminatoires.

* L’anonymat des femmes ayant témoigné a été préservé.

Dans le cadre de cet article, la sexologue Anne-Claudie Beaulieu discute de racisme sexuel avec l’animatrice Marjorie Champagne.

Écoutez l’intégrale de l’entrevue, diffusée à l’émission Québec, réveille! du mardi 22 février 2022 sur les ondes de CKIA 88.3 FM à Québec.