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L’héritage des immigrantes italiennes au Québec

Clin d’œil à ces bâtisseuses d’ici

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Au 20e siècle, des familles italiennes ont traversé l’Atlantique par milliers pour s’établir à Montréal. Dans l’ombre, les femmes ont contribué à faire fleurir l’économie du Québec. Leurs descendantes, bien enracinées ici, s’illustrent aujourd’hui dans de nombreux domaines.

Quand le navire Leonardo Da Vinci largue les amarres au port de Naples, en Italie, la petite Margherita n’a aucune idée de ce qui l’attend. Son père a laissé derrière lui son salon de coiffure dans leur petit village de Campobasso. Sa mère – qui a le mal de mer – rêve d’un avenir meilleur au Canada. Après une dizaine de jours, en voyant poindre la ligne d’horizon de New York, Margherita, elle, ressent « un grand vertige » du haut de ses neuf ans. C’est là que la famille Morsella doit prendre le train vers sa destination finale : Montréal.

Margherita M. Morsella est arrivée le 3 juin 1965 sur la rue Clark, dans le quartier de la Petite-Italie. Elle s’en souvient comme si c’était hier. Avant de reprendre les ciseaux, son père a dû attendre six mois pour obtenir un permis de travail. Comme des milliers d’autres immigrantes italiennes, sa mère est donc allée travailler dans l’une des usines de textile situées dans ce qu’on appelait « le quartier de la guenille ».

« Je la voyais partir très tôt le matin et revenir très tard », se remémore Margherita M. Morsella. Les longues journées, la chaleur, la pression des contremaîtres pour augmenter la production… Sa mère y aura consacré 28 ans de sa vie. « On oublie souvent le travail de ces femmes immigrantes qui ont contribué au développement de l’économie. Ce n’est pas valorisé du tout, même au sein de la communauté italienne. Comment pouvez-vous oublier vos propres mères? » lance l’avocate, primée pour son implication sociale.

Les chefs d’orchestre de la communauté

Au début du 20e siècle, Montréal, alors métropole économique du Canada, a accueilli sa première grande vague d’immigrant·e·s italien·ne·s qui cherchaient à améliorer leur situation économique. Les femmes ont travaillé dans l’économie informelle, entre autres en louant des chambres aux bordanti, nom italien donné aux nouveaux arrivants, souvent des ouvriers sans famille. Des dizaines de milliers d’autres Italien·ne·s ont choisi de faire le grand voyage après la Seconde Guerre mondiale. Et à ce moment-là, les Italiennes, tout comme les Québécoises, ont pris leur place sur le marché du travail.

Comme des milliers d’autres immigrantes italiennes, la mère de Margherita M. Morsella a travaillé dans l’une des usines de textile situées dans ce qu’on appelait « le quartier de la guenille »..

Aujourd’hui, le Québec compte 326 700 personnes d’origine italienne, dont un peu plus de la moitié sont des femmes, selon les plus récents chiffres du ministère québécois de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (2016). Plus des trois quarts vivent à Montréal, en Montérégie ou à Laval.

Déambuler entre les murs de l’exposition Montréal à l’italienne du Musée Pointe-à-Callière (qui a pris fin à la mi-janvier après un an et près de 200 000 visites) nous permet de comprendre l’importance de la contribution des femmes d’origine italienne.

« On dit souvent que l’histoire a été écrite par des hommes. Les femmes en sont parfois effacées. Mais quand on regarde les objets du quotidien que nous avons exposés – comme des outils de jardinage, une machine à coudre ou des vêtements faits à la main –, on voit bien l’omniprésence des femmes », explique Samuel Moreau, chargé de projet aux expositions. Ces femmes étaient de véritables chefs d’orchestre qui tenaient à bout de bras toute la communauté.

Margherita M. Morsella accompagnée de ses parents dans la salle à manger du navire Leonardo Da Vinci, en 1965.

D’ailleurs, la mère de l’historienne Joyce Pillarella transformait sa cuisine en salle de classe pour aider les immigrant·e·s à remplir les formulaires, faute de services d’accompagnement. « Nous devons changer notre façon de voir les choses afin d’inclure le travail des femmes et d’analyser l’histoire d’une manière plus égalitaire », plaide-t-elle.

D’autres femmes de la communauté italienne faisaient le ménage dans des bureaux du centre-ville, la nuit, après une journée à s’occuper des enfants. Si les hommes ont contribué à bâtir Montréal, ses rues, ses trottoirs et ses maisons, les femmes « ont contribué à l’amélioration du statut social » des familles, fait remarquer Joyce Pillarella. Gagner plus d’argent a notamment permis à de nombreuses Italo-Québécoises de faire leur entrée dans les universités.

Des Italo-Québécoises font avancer le Québec

De fait, leur influence dans la sphère publique s’est vite fait sentir. Carmela Galardo-Frascarelli a milité avec Thérèse Casgrain pour obtenir le droit de vote des femmes au Québec. Rita de Santis a été députée à l’Assemblée nationale entre 2012 et 2018. Citons aussi l’ex-politicienne Liza Frulla, la comédienne Marina Orsini, la DJ Barbara Bonfiglio, l’animatrice Josée Di Stasio… pour ne mentionner que quelques noms parmi les plus connus.

Dans son laboratoire de l’Université McGill, la psychiatre Gabriella Gobbi fait avancer la recherche en santé mentale. Son travail a démontré que la consommation de cannabis chez les adolescent·e·s augmente les risques de dépression majeure et de comportement suicidaire. « Quand le gouvernement du Québec a pris la décision de rehausser l’âge minimal de 18 à 21 ans pour acheter du cannabis, il s’est inspiré de nos recherches », raconte-t-elle.

Il y a 24 ans, Gabriella Gobbi a choisi le Québec en raison « d’un système unique » qui permet aux médecins de faire de la recherche fondamentale tout en continuant à offrir leurs services en clinique. Une façon, selon la chercheuse, de « donner de l’espoir aux gens qui souffrent ».

Aider les autres, c’est un engagement qui revient en boucle en discutant avec les Italo-Québécoises. Le Centre des femmes solidaires et engagées du quartier d’Ahuntsic, à Montréal, offre depuis 1978 un accompagnement pour les femmes victimes de violence conjugale. « Il y a des cas de violence entre partenaires intimes tous les jours. Nous devons continuer d’en parler. Nous contribuons à la société en donnant une voix aux femmes », soutient la directrice générale, Pina Di Pasquale.

Margherita M. Morsella veut braquer les projecteurs sur toutes les femmes, en particulier sur ces Italiennes qui ont beaucoup sacrifié dans les usines de textile. « J’aimerais qu’on érige un monument en leur honneur. Elles vieillissent et sont en train de disparaître », demande l’avocate. Son souhait? Une statue qui ferait face, par exemple, aux anciennes usines transformées en lofts, pour éviter que ces « femmes d’acier » – comme elle les appelle – ne tombent dans l’oubli.