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Au Sénégal, les femmes en première ligne pour sauvegarder la mangrove

Un regroupement économique féminin pour protéger l’écosystème

Date de publication :

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Temps estimé de lecture :5 minutes

Bandeau :Photo principale : © Carmen Abd Ali

Écosystème indispensable pour la survie et le développement des populations locales, la mangrove du delta du Saloum, au Sénégal, est menacée par les activités humaines et le changement climatique. Premières mobilisées depuis les années 90, les femmes de Soucouta agissent pour sauvegarder cette richesse. Un engagement qui fédère désormais les villageois·e·s et la nouvelle génération.

« Petite, je voyais les femmes du village récolter les huîtres qui se développent sur les racines des palétuviers », se remémore Yandé Ndao, native de Soucouta. Ce petit village de 385 habitant·e·s est situé dans la région naturelle du Sine Saloum, qui possède des paysages parmi les plus beaux du Sénégal, dont une forêt tropicale typique : la mangrove.

Avec sa faune et sa flore exceptionnelles, cette ressource est essentielle pour les populations locales. Barrière protectrice contre l’océan, grenier nourricier, source d’emplois grâce aux activités de pêche, d’ostréiculture ou de tourisme, la forêt purifie aussi l’air et l’eau. Mais depuis une trentaine d’années, cet écosystème se dégrade dangereusement.

Préserver l’environnement

Au Sénégal, entre 1980 et 2005, la mangrove a perdu 31,9 % de sa superficie. En cause? Le changement climatique, avec une baisse de la pluviométrie depuis les années 70. Ce phénomène provoque la sécheresse et augmente la salinité des eaux et des terres, empêchant ainsi la reproduction des poissons.

S’ajoutent les activités humaines – surpêche et coupe abusive de bois –, « le plus grand danger », selon Yandé. « Les arbres morts, les coupes de bois, la disparition des poissons… ça m’a révoltée », raconte la grand-mère de 63 ans. Mère de deux fils pêcheurs, elle constate leurs difficultés quotidiennes. « Les poissons ne venant plus dans les bolongs (chenaux), ils partent toujours plus loin en mer et plus longtemps », se désole-t-elle.

Devant l’urgence qui plane sur les générations futures, « mère Yandé » a créé en 1998 un groupement d’intérêt économique féminin (GIEF) pour protéger la mangrove au moyen d’une exploitation rationnelle des ressources. Elles sont 44 adhérentes, les premières à se mobiliser pour la sauvegarde de la mangrove dans la région. Parmi elles, Adji Kor, 59 ans. « C’est un atout d’être ensemble : on rencontre d’autres femmes, on se soutient. Chacune y trouve son compte », détaille cette battante, qui a quitté la concession familiale de son mari pour construire sa propre maison et être indépendante.

Comme d’autres femmes du groupement, elle vient dans la mangrove à marée basse, de septembre à mai, remplir des seaux d’huîtres qui seront ensuite commercialisés dans les poissonneries de Dakar, les hôtels de la région ou lors des marchés régionaux. Ces mères de famille bénéficient ainsi d’une source régulière de revenus.

Pour éviter l’épuisement des ressources, le GIEF s’est lancé en 2003 dans l’ostréiculture. Cette solution permet de récolter des mollusques toute l’année, tout en assurant un repos biologique à la mangrove. Grâce au soutien de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), un site de transformation des produits halieutiques a aussi été construit en lisière de la mangrove. Mais là encore, depuis quelques années, faute de poisson, le site reste à l’arrêt plusieurs mois chaque année…

Volet essentiel dans la sauvegarde de la mangrove, les activités de sensibilisation se font via la radio communautaire Niombato, fondée en 2007 par le GIEF et très écoutée dans la région. Depuis 1999, une campagne annuelle de reboisement de la mangrove a lieu pendant l’hivernage (saison des pluies, en août et septembre). En 2020, deux hectares de mangrove ont été plantés. Formées par des experts, les femmes ont su peu à peu sensibiliser la population locale, y compris les pêcheurs, qui s’impliquent désormais pleinement, espérant léguer cette précieuse ressource aux nouvelles générations.

L’autonomisation des femmes

Adji Kor

Fort de son succès, le GIEF s’est dupliqué à plus large échelle, regroupant actuellement une quarantaine de villages des alentours au sein de la fédération And ligguey Niombato (« La région du Niombato unie pour travailler » en wolof). Grâce à des systèmes d’épargne sur investissement (EPI) et à des emprunts solidaires, des activités économiques collectives et individuelles se sont développées, comme la vente de poulet de chair ou le petit commerce.

Adji Kor a ainsi pu élargir ses occupations. « J’achète des poissons que je revends au marché, j’élève des animaux, je cultive mon jardin… » précise la mère de quatre enfants, très fière de compléter les revenus de son mari navigateur et de faire vivre six personnes. Si au départ les époux étaient souvent réticents à ce que leurs femmes travaillent, ils ont rapidement changé d’opinion devant les résultats!

Tous les samedis, des groupes Debbo Galle (« La femme dans son foyer » en pulaar) se réunissent. Après une causerie sur des thématiques comme l’allaitement ou encore le paludisme, chaque participante cotise à une caisse commune. L’épargne constituée est ensuite répartie au prorata entre les membres du groupe tous les 9 ou 12 mois. Grâce à ce système, les femmes n’hésitent plus à emprunter pour créer leurs propres activités. Cette diversification des sources de revenus leur permet d’engranger de nouvelles compétences, d’augmenter leurs ressources financières et d’assurer la stabilité de leur foyer. Elles y gagnent aussi une richesse précieuse : la confiance en elles.

Retour de la jeunesse

Grâce aux succès tant économiques qu’environnementaux de la fédération, ces femmes ont changé la donne. Après des années d’exode rural provoqué par la dégradation des écosystèmes, les jeunes reviennent aujourd’hui peu à peu, motivés par les perspectives, notamment dans les travaux traditionnels.

Après des études d’anglais à Dakar, Aminata Thior est revenue à Medina Sangako, village voisin de Soucouta. Animatrice au sein de la fédération depuis 2008, elle parcourt la région pour sensibiliser les femmes au changement de comportement. À 26 ans, constatant que beaucoup des productions maraîchères et fruitières se perdaient, elle a créé son activité de transformation de produits grâce au système d’épargne solidaire. « Beaucoup de jeunes ont tendance à vouloir partir, mais il y a plein de choses à développer dans nos villages », argumente la jeune femme, qui a « le sentiment d’être utile ».

Si la partie est loin d’être gagnée, surtout quant au devenir de la mangrove, la mobilisation et la prise de conscience des populations constituent des signes encourageants et bien tangibles.